Ce n’est pas toujours le cas, mais pour certains groupes, certaines chansons, vous vous souvenez très précisément du moment où vous les avez écoutés pour la première fois. Je n’en ai pas le temps et vous n’avez sans doute pas l’envie que je dresse une liste exhaustive de toutes ces fois-là. Mais bizarrement, je me rappelle très bien que j’ai découvert The Lovecats de The Cure (le groupe m’était déjà familier) un soir de l’automne 1983, vers 22 heures, sur un petit poste de radio dissimulé sous mon oreiller alors que j’écoutais l’émission Feedback de Bernard Lenoir. Oui, vous vous en doutez – et j’en ai déjà parlé : je me rappelle aussi très bien de la première fois où j’ai écouté Felt et de quelle chanson il s’agissait. Pas exactement de la saison, mais du jour – un samedi en toute fin d’après-midi, de retour de l’une de ces expéditions parisiennes que nous menions avec Laurent et Gilles au moins une fois par mois, selon un rituel très précis : départ de la gare de Porchefontaine, changement à la gare de Viroflay Rive Gauche pour prendre un train pour Montparnasse et puis, la tournée des disquaires selon un ordre immuable (L’Évasion, FNAC Montparnasse, New Rose, Crocodisc) avant de rentrer par la ligne C du RER que l’on attrapait à Saint Michel. Au retour, c’était chacun chez soi pour écouter les trouvailles du jour – on ramenait tous au moins un disque à chaque fois. Ce jour-là, j’étais tombé le premier dans les bacs « occasions » de L’Évasion sur la compilation Pillows & Prayers, version « picture disc ». Je ne sais pas pourquoi je l’ai achetée – disons que je ne sais plus quel est le groupe que je connaissais déjà et qui m’a poussé à prendre le disque. En revanche, je sais que je ne me suis jamais remis de l’intro de My Face Is On Fire – les roulements de tom, cette guitare d’une clarté aveuglante, la voix détachée qui ne ressemble à aucune autre : j’ai à peine 16 ans et je n’ai pas encore piqué les disques du Velvet et le premier Television qui sont dans les casiers de mon frère ainé, alors je ne sais pas encore. Ce jour-là, j’ai écouté cette chanson en boucle – j’apprendrais quelques années plus tard que son auteur déteste cette version et c’est pour cela qu’il l’a réenregistrée et rebaptisée, mais je m’en moque, elle reste pour moi “la première fois” – et j’ai décidé de faire de Felt mon groupe favori – c’était un peu comme ça à l’époque entre mes amis et moi, il fallait que chacun ait son groupe favori, celui qu’il défendrait envers et contre tout.
Je l’ai déjà fait (trop) souvent, ici ou là, alors je ne raconterai pas encore une fois l’histoire de Felt, la légende digne d’un western de John Ford, l’admiration des pairs, les attitudes et décisions volontairement suicidaires, le mystère entretenu avec un certain talent – à tel point que pendant quelques minutes, à cause de leurs origines communes et d’une certaine ressemblance physique, on s’est demandé si Lawrence et Martyn Bates d’Eyeless In Gaza n’étaient pas frères… Felt a réussi à être tellement différent des autres qu’il reste l’un des rares groupes de l’histoire à avoir divisé jusqu’à ses propres fans – il y a eu dans les années 1980 et même dans les années 1990 des joutes homériques entre les thuriféraires de la période dite Cherry Red et ceux du chapitre Creation (certains avaient aussi décidé de n’aimer que le tout dernier album, paru sur Él Records). Même après l’avoir rencontré – pour le premier album de Denim, à la toute fin de l’automne 1992, et il a bien sûr immédiatement marqué son excentricité en refusant un Coca-Cola servi à la pression et non en bouteille –, Lawrence est resté fascinant, même si j’ai fini par comprendre qu’il s’était fait rattraper par le personnage qu’il avait lui-même créé. Je ne sais pas si je finirai par publier ce livre à son sujet – à ce titre, je suis un peu le Kevin Shields de la littérature rock –, mais je crois que Felt compte parmi les meilleurs sujets sur lesquels écrire si l’on s’intéresse de près ou de loin à la scène indépendante des années 1980 bien sûr, mais aussi aux écrivains beat, à Andy Warhol, à Dennis Wilson, à Michel Polnareff, au punk, à la musique électronique, à Wire, aux surréalistes, à Sniffin’ Glue, à Brian Eno, aux disques Elektra des années 1960 et à leur graphisme, aux mannequins britanniques, aux poètes français… Dans cette playlist, vous retrouverez peut-être un peu de tout ça, au détour de chansons parues sur les seuls singles ou maxis de Felt – faces A comme faces B – et qui témoignent des personnalités plurielles de ce groupe dirigé, qu’on le veuille ou non, par un homme singulier.
tu ne sais pas si je finirai par publier ce livre à son sujet lol c’est vraiment une arlésienne ce livre sur felt ,cela fais plus de 10 ans que l’on attend que tu l’écrive , avec le confinement tu as du avoir le temps de rattrapé le retard ? le boulon l’annonce pour courant 2020 lol https://leboulon.net/felt/ moi je crois que au mieux tu l’aura écrit pour 2043
POUR INFOS : dépêche toi décrire ce livre sur FELT car tu risque d’etre fortement devancé par un ami à moi qui a déjà ecrit et dactylographié 250 pages soit 2 chapitres sur felt ,il prepare lui aussi un livre en français chez un éditeur suisse qui est bien distribué en france (l’ami en question est un ancien journaliste d’un magazine franco suisse)