Il y a quelques semaines (autant dire dans une autre vie – c’était au mois de mai je crois), j’ai déjà écrit toute ma fascination pour l’Américain Matt Fishbeck, un esthète comme on n’en croise plus aucun dans l’univers de la musique pop, taillé dans l’étoffe d’un héros d’un film de Pasolini – si tant est qu’il y ait des héros dans les films de Pasolini, mais c’est une autre histoire. Une fascination qu’est venue nourrir ce matin, presque au réveil (Matt Fishbeck est de ceux qui font attention au décalage horaire, une qualité assez rare pour être soulignée), la réception d’une reprise via un lien YouTube. Mais reprise n’est sans doute pas le mot le plus juste. Il s’agit plutôt d’une relecture.
Une relecture d’une chanson de The Durutti Column, Tomorrow (ici rebaptisée Another Tomorrow), extraite de l’album Circuses & Bread (1986). Une relecture à la fois bouleversante et magnifique d’une chanson à l’origine bouleversante et magnifique – ce qui après tout n’est pas étonnant puisqu’on doit au projet inventé par le guitariste funambule Vini Reilly beaucoup de chansons bouleversantes et magnifiques, le plus souvent portées par une voix d’une blancheur translucide et des arpèges d’une clarté aveuglante…C’est amusant parce que c’est par le biais d’une autre reprise de The Durutti Column que j’ai (presque) découvert Holy Shit, le groupe précieux né de l’imagination de Fishbeck. Une reprise si chaotique et nonchalante – et donc, parfaite – que cette version de The Missing Boy continue de m’obséder des années après – heureusement, elle existe sous la forme d’une vidéo live capturée au MIDI Festival en 2006 et c’est comme une expérience que de la voir ou la revoir à satiété, tant les musiciens qui jouent ce soir-là sur scène sont d’une beauté absolue…
Le 4 août dernier, Vini Reilly a fêté ses 66 ans. Et aujourd’hui, on se dit que cela relève presque du miracle car la fragilité physique du bonhomme – une fragilité aussi belle que celle de ses arpèges – laissait à penser qu’il serait peut-être l’un des premiers acteurs de l’incroyable épopée de Factory Records à tirer sa révérence. Finalement, même s’il passe le plus clair de son temps à se taire – mais il n’a jamais été très bavard –, lui est encore là, témoin privilégié d’une époque qui a révolutionné pas mal de choses (ma vie et peut-être les vôtres aussi), quand nombre d’acteurs essentiels sont déjà tombés – Ian C, Rob G, Tony W, Martin H, Annik H et quelques autres. Alors, à l’aune de cet hommage matinal habillé par les images d’un film pour moi jusque-là inconnu, Un Homme Qui Dort de Bernard Queysanne, d’après Georges Perec et avec Jacques Spiesser (merci à Bertrand Loutte pour le tuyau, ma cinéphilie se réduisant à quelques citations de films de Carax pour tenter d’impressionner la gente féminine – et c’est, comme pour les cassettes, toujours un fiasco), on se dit qu’il est encore temps de réhabiliter la discographie de The Durutti Column, dont le seul LC mériterait de figurer dans n’importe quelle liste de meilleurs albums de tous les temps – cela dit, il ne faudrait pas non plus oublier Another Setting ou Without Mercy…
Mais avant cela, il faut consacrer un peu de temps à l’écoute de cette reprise, de cette mélodie dont la beauté désabusée donne encore un peu plus de force aux mots qu’on imagine très bien avoir été griffonnés un jour par Vini Reilly sur un bout de papier déjà froissé… Et c’est bien sûr sous un soleil à son zénith, alors que l’été bat son plein et que les cœurs palpitent toujours plus vite, que Matt Fishbeck offre sa version monochrome d’une des plus belles chansons jamais offerte à l’amour déchu : “All I wanted was your time / All you really gave me was tomorrow / When tomorrow never comes”.
Merci christophe de réhabiliter Vincent Gerard…si tenté qu’il en ai besoin!
La colonne Durruti semble toujours vivante aux dernières nouvelles de Dave Haslam: un futur album pré-posthume ? 😉 From Paris with Love – Vîet