Ça commence mal : le premier coup de – “au” serait peut-être plus pertinent – cœur de l’année 2024 date de 2023. Ça ne continue guère mieux : à l’aune d’une biographie succincte, on n’en apprend guère sur l’auteure de ce disque – a priori, une sorte de deuxième premier album (la formule est je l’avoue un peu tirée par les cheveux car le premier disque “n’est qu’une” collection de maquettes enregistrées pendant le confinement de 2020). Un disque dont heureusement le titre en catalan confirme l’origine et annonce, lui, la douceur. Foravila, donc. Qui “signifie campagne, nature, monde rural, où la vie s’écoule au rythme du soleil et des saisons…”
Sorti à l’origine en vinyle sur le label barcelonais El Genio Equivocado – dont le nom est aussi génial que son mot d’ordre : “Musique pour un Monde dans lequel personne n’écoute” –, Foravila a trouvé refuge l’automne dernier en format cassette sur une nouvelle structure clermontoise, Les Disques Bleus Enregistrements. Une union qui finalement ne surprend guère lorsqu’on sait qu’au moment de son exil catalan, Olivier Garciaphone – musicien puydômois aussi surdoué que trop discret – a donné la réplique à Hola Lis sur une jolie confession acoustique chantée dans la langue de Molière, Notre Besoin D’Amour – morceau final de la fameuse collection de démos, Primavera Dosmilveinte, uniquement disponible en format numérique. Et une union qui dans un sourire un peu amer nous fait aussi forcément nous dire que ce disque aurait trouvé une place précieuse sur feu le label artisanal auvergnat Kütu Folk… Mais le temps n’est plus à ce genre de regrets.
Depuis la ville du Quartier Chinois et de l’absinthe en vente libre, la ville de l’inspecteur Pepe Carvalho et de la basilique qui n’en finit pas d’être construite, la ville qui a vu naitre les chupa-chups et leur logo signé Dali, la ville des festivals Sonar et Primavera Sound et enfin la ville de musiciens aussi talentueux que Raúl Refree et Nacho Umbert (dont le Ay inaugural fête cette année ses 25 ans), la musicienne Elisa Bernal a imaginé les contours de onze chansons où des espoirs mélancoliques finissent toujours par rimer – comme le titre l’annonçait – avec des lieux bucoliques. Accompagnée par une poignée de copains musiciens aux chœurs – des compatriotes tous inconnus au bataillon, exception faite du Néo-zélandais James Milne, alias Lawrence Arabia –, elle chante un folk (mais pas que) du XXIe siècle, avec des guitares toutenbois d’une élégante discrétion et des arpèges électriques qui brillent dans la pénombre, comme sur la tourneboulante chanson d’ouverture The Passenger. Plus loin, les nappes contemplatives doublées dans un final étourdissant par des aplats de guitares clair-obscur de El Primer Moment auraient très bien pu se glisser entre deux scènes du génial long-métrage Perfect Days de Wim Wenders – ou dans un des ascenceurs du Lost In Translation de Sofia Coppola).
En anglais, en castillan, en catalan, Elisa dit les mots dans un murmure, sur le ton de la confession et toujours comme une invitation à la connivence. Il y a parfois un violoncelle qui ajoute une touche joliment dramatique au décors bienveillant, comme sur Nueva Relación, ou une rythmique acrobatique qui s’invite à ce lendemain de fête – Farewell et ses accents de Cocteau Twins champêtres. De drôles de synthés jouent en boucle le temps d’un Party All Night qui résonne comme la bande originale d’une fin de rêve éveillé alors que la silhouette de l’immense Beth Orton plane sur un dernier morceau aux senteurs boisées, On The Radio. C’est la fin alors ? Non, pas vraiment. Plutôt le début d’une histoire, celle d’un album réalisé avec quelques bouts de ficelles, des regards complices, des hésitations et une poignée de convictions, des arrangements qui filent des frissons et des mélodies qui dessinent des sourires sur les lèvres. Un disque dont on n’a pas fini de faire le tour – le nez au vent et les espoirs en bandoulière.
Tres interesante article. Des belles chançons, emouvants et originals. Une belle voix, un futur encouragent.
Je suis surpris de ne pas avoir encore vu d’article de Christophe Basterra, éminent spécialiste de la pop oblique espagnole, sur les Pipiolas qui ont sorti l’un des meilleurs albums de 2023