A l’heure où se projeter dans le futur devient de plus en plus compliqué et où le repli sur soi est une contrainte de vie universelle, la tentation de se tourner vers un passé doré (et souvent imaginaire) est immense. Ce « retour aux racines », plus que dangereux en politique, l’est tout autant quand on parle de création, mais comment envisager l’avenir quand on est coincé chez soi ?
En construisant des ponts entre les âges et les lieux, comme dans cette reprise où David-Ivar / Herman Düne interprète pour nous Workin’Woman Blues de Valerie June (2013), artiste de Memphis dont le mélange d’Americana, de gospel et de folk-blues transcende les époques et les genres, depuis chez lui à Vinegar Tree, un quartier de San Pedro en Californie où Charles Bukowski finit ses jours.
A lire ci-dessous : la chronique de Notes From Vinegar Hill, nouvel album de Herman Düne.
Installé aux États-Unis depuis 2015 avec sa compagne Mayon Hanania, David-Ivar sort cette semaine Notes From Vinegar Hill, quatorzième album de Herman Düne – déjà, dans lequel il nous fait partager son « rêve américain » californien. Entre Hollywood, l’océan et roller-skates, Snoop Dogg et tamales (ces délicieux petites papillotes fourrées), le voyage imaginaire est assuré. Dans LA Blues, les chœurs évoquent les Mamas and Papas, et il cite Nicki Minaj, mais nous rappelle également qu’il y a des choses plus importantes à faire. Car David-Ivar est aussi humble qu’honnête, et chante aussi bien la claustrophobie engendrée par l’isolement que l’angoisse d’être immigré dans un pays politiquement hostile, où les collines brûlent et où aller chez le dentiste est un luxe qu’il ne peut s’offrir. Avec humour et tendresse, il nous convie dans son jardin, où l’on aimerait s’installer avec une bière sous le pêcher pour bavarder en oubliant l’actualité, sous l’œil de l’Inspecteur Morrison, son chat noir (que l’on entend sur le titre Ballad Of Herman Düne) et que l’on voit sur la pochette de son album.
L’album, composé et écrit pendant le confinement, est extrêmement riche, évoquant aussi bien Crosby Stills Nash & Young que Beck ou Lee Hazelwood, tout en restant fidèle à l’identité d’Herman Düne. On retrouve les mélodies douces amères, les secondes voix féminines et les chœurs aériens (assurés par Caitlin Rose et Mayon, qui signe également le clip du single Say You Love Me Too), les cuivres (signés John Natchez) et la pedal steel (assurée par Spencer Cullum III)… D’un bout à l’autre du disque (dédicacé à David Berman), comme dans sa carrière de musicien, de dessinateur et de plasticien, David-Ivar fait son devoir d’artiste, parfois torturé mais souvent amusé, qui voit pour nous du sens dans les détails du monde qui nous entoure, afin de le rendre plus beau, ou simplement plus tolérable. L’avant-dernier titre de l’album, le mélancolique People Say I Could Have Done Great Things, évoque une gloire qui aurait pu être, alors on a envie de lui dire d’enlever le « could », car ces « grandes choses », avec ce disque, il les a largement accomplies.