L’underground dance électronique UK a toujours été marqué par un certain nombre de caractéristiques saillantes : science du breakbeat, usage des basses et infrabasses, importance du MC, influences dub et dancehall, pratique du rewind, etc. Le tout croisé avec le canon techno/house en provenance des USA, conférant à cette une scène une véritable insularité générique : des premiers productions bleeps aux formes les plus contemporaines de bass music, en passant bien évidemment par le hardcore UK, la jungle, le UK Garage, le grime ou le dubstep, une certaine logique de continuité peut en effet être repérée, par-delà les mutations inhérentes à la succession de ces différents courants ou sous-courants. C’est tout l’objet d’une série d’articles[1] rédigés en quasi- temps réel par Simon Reynolds pour Wire tout au long des années 1990, avec une conclusion en 2005 à propos des scènes grime et dubstep. L’occasion pour lui d’y forger une hypothèse théorique forte, celle d’un continuum hardcore qui lui permet précisément de saisir l’unité esthétique, matérielle, sociologique et géographique de tout un pan de la rave et post-rave UK. « (…) une généalogie musicale apparue à la fin des années 1980 qui, dans les années 1990 et 2000, a subi de rapides mutations et donné lieu à une succession de genres de dance music (…) c’est aussi une subculture, une sorte de macroscène qui tire sa cohésion d’une infrastructure durable composée de radios pirates, de clubs, de promoteurs de raves et de disquaires spécialisés, mais aussi de rituels et de procédures (…) pour la plupart hérités de la culture des sound systems jamaïcains (…). »
Une hypothèse qui a pu polariser un certain nombre de discussions et débats au sein de la critique culturelle anglophone – en témoigne un colloque sur le sujet organisé à l’Université de East London, et les nombreux articles qui ont eu pour ambition d’interroger la catégorie élaborée par Simon Reynolds. Et que l’excellente initiative des éditions Audimat nous permet d’appréhender aujourd’hui avec le recul nécessaire : en regroupant la totalité des articles rédigés pour Wire, ainsi que les différents textes et interventions qui lui sont liés, Hardcore constitue une plongée stimulante à l’intérieur de ce qui pourrait assurément être considéré comme l’un des points hauts de la culture pop britannique . « Je peux donc affirmer sincèrement que c’est le mouvement musical le plus génial auquel j’ai pu assister de première main. »
Une somme aussi passionnée qu’érudite qui permet en effet d’accéder à tout un pan, mal connu ici, de l’underground dance UK : Unique 3, Spiral Tribe, Omni Trio, Photek, Dizee Rascal ou encore So Solid Crew, autant de noms qui évoquent une succession de séquences qui auront toutes réinvesti la tendance accélérationniste portée par l’utopie techno originelle. Ceci en prenant appui sur le multiculturalisme propre à la société britannique, et sur le « modernisme populaire » qui habite son inconscient esthétique. Et c’est précisément pour ces raisons que le continuum hardcore peut être réinscrit à l’intérieur d’un autre récit, qui en englobe les coordonnées et qui permet de le mettre en perspective : celui des musiques populaires anglaises et leur génie de l’hybridation, que l’on évoque la northern soul, PIL et Metal Box , les expérimentation dub électroniques de Mark Stewart ou Richard H. Kirk, ou encore la bass-indus de Scorn ou Kevin Martin. Bref, une hypothèse qui fonctionne à un double niveau – subcultures dance électroniques/macro-récit pop – et qui confère à ce recueil de textes toute sa portée.
Hardcore de Simon Reynolds est sorti aux éditions Audimat.
[1] https://www.thewire.co.uk/in-writing/essays/the-wire-300_simon-reynolds-on-the-hardcore-continuum_introduction