GY!BE dans le train Saint-Flour-Chaudes-Aigues / Béziers

Un disque, un train.

Photo : Clément Chervrier
[Aumont-Aubrac]

La première fois, ce fut pour eux.
La première fois que j’écrivis plus loin qu’une chambre, ce fut pour eux.
Il y avait longtemps déjà qu’on n’espérait plus les voir. On appelait ça le hiatus. On avait pas mal besoin d’eux, on ressentait ce besoin.
Je les avais vus un soir d’avant, tournée Yanqui U.X.O., à l’affiche avec (smog), c’était à Clermont-Ferrand et ça n’arrive plus. Une soirée dédiant la poésie à l’intelligence, ou l’inverse, je ne sais plus trop. J’étais allé seul à ce concert. On est un peu seul dans cette musique, seul et pas seul, seul et complètement là, complètement dans le tout de la masse sonore, dans la durée, comme dans une chanson qui est le monde.
Je n’en parlai pas.

[Marvejols]

Et les années sans leurs concerts furent les premières années des miens, centaines d’heures dans des camions et des trains, à jouer des centaines de chansons. Et dans les camions, et dans les trains, j’ai une vingtaine de témoins, tu écoutes quoi ? Godspeed, j’ai tout écouté dans ces camions et dans ces trains mais rien autant que la musique de Godspeed You! Black Emperor.
Une musique de transport, qui s’écoute fort.
J’ai le souvenir d’un trajet qui avait pris des heures entre les puys enneigés pour prendre des photos promo, Slow Riot for the New Kanada Zero en boucle dans le lecteur, cinq âmes trempées dans l’habitacle, jongles avec la buée et les plaques de glaces, et je pense que j’aurais aimé ces photos si elles n’avaient servi à rien, si elles étaient restées sans destination, sans plan promo, sans dossier de subvention.
J’aurais bien aimé, sans doute, faire des choses qui ne servent à rien. Faire des choses pour personne et pour tout le monde, pas même pour soi.

[Banassac-la-Canourgue]

Ça s’est trouvé comme ça.
J’aimais bien l’idée que nos morceaux aient des développements longs, parfois sans chant, et de plus en plus fort, de plus en plus fort. Les egos se calmaient, parce que personne ne pouvait croire qu’il pouvait faire ça tout seul. C’est un truc précieux dans un groupe quand ça arrive. C’est quelque chose comme une pratique, à faire.
Et dans le genre boussole de ce genre, j’avais donc Godspeed You! Black Emperor, sans photos promo et sans casques, sans chant, sans rien que de l’ambient joué sur des amplis à 12, interrompu par de lentes, longues, violentes montées, strates sonores empilées en anti-Spector : trois guitares, violon, violoncelle, deux basses, deux batteries et toujours d’autres sons qui passent, des cuivres, des field recordings, des fonds de piano.

[Campagnac]

Et donc, quand ils sont revenus d’abord avec des concerts puis avec des disques, j’ai peu à peu cessé de vouloir être dans des groupes. J’ai voulu 1/écrire que la musique sauve la vie d’elle-même 2/à commencer par la leur 3/avant de jouer les chansons des copains 4/enfin 5/et rien d’autre.
On laissera les autres être des artistes ou des créateurs. C’était comme ça qu’on m’apostrophait gentiment dans la famille aux portes du Morvan, et comment il va l’artiste, comment elle va la musique ?
Bien, elle va bien, elle ne va nulle part, elle roule, elle ne fait qu’être jouée. Ça, je suis à peu près sûr de ne l’avoir jamais répondu. Il n’y a pas de mode d’emploi de ça.
Mais le groupe préféré du fils de quatre ans d’un de mes amis est Godspeed You! Black Emperor. Le musicien préféré de cet ami est Bill Callahan. On se débrouille.

[Séverac-le-Château]

Plus question de groupe.
Plus de réunions de groupes.
Des associations libres qui font que parfois tu joues, parfois non, parfois des gens écoutent, parfois non, parfois des chansons, parfois non.
Même si toute musique est chanson. Même si tout son est musique.
Même si les sons du train ou du camion sont musique de Godspeed, qui sort donc ce mois-ci un grand disque de transports de plus, God’s Pee AT STATE’S END! avec tout l’humour et toute la poésie, les deux choses les plus sérieuses au monde, les deux choses qu’ils n’oublient jamais.
Une plage s’intitule Job’s Lament, une autre First of the Last Glaciers. Un passage évoque Lana Del Rey, un autre évoque New Order (quiz). Et c’est encore un disque immense.

Photo : Clément Chevrier

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