Grand Veymont, aussi mirifique que son nom, nous tenait la main depuis deux ans et deux très beaux disques aux plages faites des plus sûrs matériaux, Terry Riley et Stereolab — et tout ce que ça implique — en grossier résumé. Des matériaux qui avaient pour unique défaut de dicter parfois trop visiblement la structure du bâtiment et l’écoute de l’auditeur, sans que ce dernier puisse toujours les oublier au profit de l’écriture du duo. Il fallait prendre le temps, s’immerger, laisser résonner les échos inconnus, et rencontrer alors des hymnes de poche planqués sous le décor, des chants plutôt que des chansons, qui donnaient invariablement envie d’enchaîner avec Albert Ayler dans le casque ou les enceintes.
Empiriquement, c’était bon signe : ce que l’on range dans une poche, c’est le précieux ou le léger.
Empiriquement, c’est aussi une constante des disques publiés par l’indispensable label Objet Disque : ça vibre longtemps après l’écoute, peu importe le chemin, peu importent les détours.
Un nouvel album, qui est aussi un morceau unique de quarante minutes, vient de sortir la semaine de la mort de Florian Schneider. Ce n’est pas faire injure que de le signaler, car on change de catégorie et d’ambition : Persistance et changement contourne avec respect le référentiel antérieur de Grand Veymont, et son penchant programmatique, pour emprunter d’abord les plus pastoraux des sentiers de Düsseldorf (ceux de Ralf und Florian et d’Autobahn) avant de proposer à l’auditeur d’embarquer dans un calme véhicule, loin donc de ses précédents arpents, sans révolution ni bûcher. Une autre vitesse, une autre durée, qui permettent d’entendre autrement sa voix. Qui permettent d’entendre sa voie propre.
En ouverture s’égrènent la première séquence électronique, évocatrice par son groove mais originale, un premier chant, des motifs de flûte, encore un chant, puis des entrées, des disparitions. Tout semble finir par s’éteindre, tout semble finir par revenir, ou par pouvoir revenir. Ce n’est plus une ouverture, ça ne l’a jamais été, le morceau a toujours été là. Les éléments ont le temps d’être et de ne pas être, puis d’être de nouveau, d’évoluer, timbres, mélodies en boucles ou en motifs éloignés, dispersés, isolés. On se pince tellement c’est fin, tellement c’est beau, obsédant, amical, sans épate — généreux.
On s’en rend à peine compte, une batterie entre, repart, on entend Grand Veymont, encore, toujours. Être et ne pas être, encore.
J’ai écrit et j’écris encore « véhicule ».
Discourir, décrire, conviennent mal à la manière dont la musique de Grand Veymont existe sur Persistance et changement : on voudrait faire le plus haut bruit pour que tout le monde l’écoute et en profite, mais ce ne serait toujours que du bruit, on voudrait se taire alors, en pariant sur qui saura la rencontrer grâce à la splendide pochette, grâce au titre, grâce au nom Grand Veymont, grâce aux algorithmes.
On ne sait pas trop. Aucun moyen n’est suffisamment habile pour être sûr. Pourtant, on est sûr d’une chose : le dernier disque de Josselin Varengo et de Béatrice Morel Journel est l’un des plus beaux cadeaux que vous puissiez (vous) faire.