Sept années de vie pour trente minutes de musique. Il n’en fallait pas moins. Sans doute parce que, au-delà même des contingences matérielles inévitables qui ont pu ralentir ou entraver parfois le chemin d’Olivier Perez et de ses camarades, ce troisième album, presque inespéré, de Garciaphone porte en lui les traces d’une beauté qui n’aurait pas pu surgir autrement que dans la durée longue des retouches, des détours et des hésitations. A l’instar de la peinture incandescente qui orne la pochette – et témoigne au passage des talents graphiques de Perez – les dix chansons semblent ici s’esquisser et s’estomper dans un même mouvement, laissant deviner entre les mots et les notes les émotions en clair-obscur, sans chercher à les figer.
Dans ce flux musical à la fois irrésolu et riche d’une foule de précisions, chaque détail compte et apporte du sens. Au point que l’on oublie rapidement les quelques références désormais lointaines aux maîtres anglo-saxons qui ont pu donner l’impulsion initiale à cette inspiration désormais toute personnelle : Elliott Smith pour l’art de l’équilibre entre les modes, mineur ou majeur ; Jason Lytle pour le chant qui réussit à incarner une humanité fragile (Better And Better) ou The Shins, parfois, dans ces vers qui ne parviennent pas toujours à contenir le sens et ces enjambements inattendus qui sous-tendent la continuité du discours.
Sans complaisance ni longueur superflues – la forme canonique des trois minutes est presque scrupuleusement respectée – chaque morceau contient pourtant son lot de surprises ravissantes et de contre-pieds subtils, que l’on doit aussi à la présence d’accompagnateurs anciens – Zacharie Boissau et Clément Chevrier (un habitué de nos pages, ndlr)– ou plus neufs (Mocke Depret). C’est très peu et c’est beaucoup quand, dans les interstices de ces trames folk classiques, souvent en fin de chanson, se glissent ainsi de petits décalages harmonieux entre les cordes et la mélodie (Someone Else’s Dreams), des notes de claviers aux dissonances dignes de Robert Wyatt (Conditional Love) ou des stridences de guitare en liberté (Weathercocks). Autant de variations qui permettent de se prémunir contre toute linéarité uniforme, comme pour mieux prolonger les inflexions d’une voix qui semble refuser d’abolir la tension entre l’assurance formelle – ces lignes mélodiques résolument gracieuses et inattendues – et les incertitudes touchantes qui se nichent dans l’évocation poétique d’un être au monde mal assuré, ou du moins empreint d’une continuité incertaine avec un passé. C’est suffisamment rare pour être salué : ici, le choix de l’anglais n’entrave en rien l’expression intime et claire de sentiments précisément contrastés. Le déni et la persévérance dans l’erreur (The Human Form), le poids des névroses héritées (My Genes And Education). Pour une suite d’une telle élégance et d’une telle beauté, on est prêt à attendre sept années supplémentaires. Ou même davantage s’il le faut.