« Free Will And Testament – The Robert Wyatt Story » de Mark Kidel (2003)

Robert Wyatt
Robert Wyatt / Photo : Renaud Monfourny

Ici, la musique est placée au centre. De l’image, du récit, d’un peu tout. Comment pourrait-il, d’ailleurs, en être autrement. Au tournant du siècle, Mark Kidel a donc filmé pour le compte de la BBC Robert Wyatt en studio, interprétant en compagnie de sept autres musiciens – et de Paul Weller, en plus, à la slide pour le dernier morceau – cinq extraits de son répertoire : Sea Song (1974), Gharbzadegi (1986), September The Ninth (1997), Left On Man (1991) et Free Will & Testament (1997). Pas de coupe, pas d’artifice de montage : simplement quelques gros plans plus appuyés sur le regard du maître qui, les yeux grands ouverts – il ne les cligne que fort peu, c’est saisissant – scrute on ne sait trop quoi. Un texte ancien qu’il aurait pu oublier, l’inspiration du moment qui pointe à l’horizon, la beauté fugitive qui nait sans cesse du plaisir du jeu collectif, malgré tout. Sans doute un peu de tout cela. Sur les soixante-huit minutes que durent ce documentaire, ces réinterprétations en direct occupent donc une bonne moitié du temps. Entre les notes, quelques fragments s’entremêlent pour les contextualiser et retisser, de manière assez lâche mais toujours pertinente, quelques-uns des fils biographiques : les témoignages admiratifs des proches ou des pairs (Hugh Hopper, Noel Redding, Brian Eno, Phil Manzanera et puis Alfreda Benge, évidemment, son épouse/muse/âme-sœur/mère protectrice de presque toujours), les images d’archives des trop rares apparitions télévisées. Wyatt raconte lui-même comment, lors de sa seule convocation à Top Of The Pops en 1974 pour ponctuer le succès relatif de sa reprise de I’m A Believer, son obstination à refuser les mises en scène euphémisées du handicap imposées par la production et à demeurer dans son fauteuil à l’écran s’est conclu par une sentence de bannissement à vie.

De temps à autre, Kidel filme son sujet, incertain et vulnérable, en train de tâtonner sur son clavier. Ou bien de consulter quelques pages d’un vieil album photo autour duquel traine aussi des dessins d’enfance. A ces moments-là, il est toujours tentant de déceler dans le regard enthousiaste et décidé d’un enfant d’une dizaine d’années, émerveillé par sa rencontre de quelques secondes avec Thelonious Monk à la sortie d’un concert ou dans les contours naïfs et parfois effrayants des monstres griffonnés en couleurs pastel par le rejeton rebelle d’une famille bohème les prémisses de ce qui va suivre : les passions musicales jamais démenties à la fois pour les formes les plus libres d’expression improvisée ET pour l’efficacité fascinante des tubes pop qui agrègent une génération ; l’aboutissement fugace des fantasmes rock au sein de Soft Machine et tous les excès qui les accompagnent, découverts au cours d’une tournée américaine ou le groupe de Canterbury partage l’affiche avec Jimi HendrixWhy Are We Sleeping ? s’interrogeaient-ils en chansons, après plusieurs semaines de veille quasi-ininterrompue boostées aux amphétamines. La suite aussi, plus dramatique. Le récit glisse pudiquement sur le point de bascule. Quand bien même Kidel serait-il tenté de s’y appesantir qu’il serait bien en peine de l’alimenter en souvenirs sensationnalistes : Wyatt lui-même n’en a conservé que des bribes indistinctes, noyées dans un déluge de ce mélange de Tequila et de liqueur Southern Comfort prescrit par Keith Moon. La mixture, explique-t-il, qui lui donnait le courage et l’inconscience requis pour monter sur scène. Et pour sauter du quatrième étage en juin 1973. Avec le recul, Wyatt n’évoque plus que la douleur et l’opportunité. Batteur était encore un rôle social explique-t-il, désormais impossible à tenir. Il fallait donc, désormais, se consacrer plus intensément encore aux chansons. Celles qui occupent donc de toute leur majesté gracile et de leur humanité bouleversante le premier plan de ces images qui parviennent – c’est déjà beaucoup – à en saisir un peu de la beauté. Wyatt n’y est jamais aussi présent que lorsqu’il joue, entouré de ses musiciens alors que les péripéties se dérobent dans les lignes de fuite.


Free Will And Testament – The Robert Wyatt Story (2003) de Mark Kidel, invité spécial pour les 10 ans du festival Musical Ecran, sera présenté en présence du réalisateur Mercredi 6 Novembre à 18h15 et Samedi 9 Novembre à 15h30 au Théâtre Molière à Bordeaux.

Une réflexion sur « « Free Will And Testament – The Robert Wyatt Story » de Mark Kidel (2003) »

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *