C’est toujours étonnant de se rendre compte que des gens qu’on ne connait pas vraiment nous connaissent suffisamment. Suffisamment pour se permettre de recommander un disque – et recommander un disque, c’est chose risquée quand la musique occupe depuis plusieurs décennies une place démesurée dans une vie. L’histoire commence donc par un message reçu sur les réseaux sociaux, message d’un ami “virtuel” avec lequel on échange depuis des années sans jamais s’être croisés – alors qu’il nous est arrivé de fréquenter les mêmes lieux, les mêmes concerts –, un ami virtuel nommé Frank G. qui écrit juste : “Je pense que tu devrais aimer”.
Évidemment, il était bien en dessous de la vérité – mais évidemment, il le savait déjà. Car la découverte de Fleur Bleu.e a vite tourné au coup de foudre – et aux souffles au cœur. Vite ? Des arpèges de guitare réverbérés, une boîte à rythmes (je crois) qui joue Be My Baby en mode ralenti ; une voix qui s’évapore, comme celle de Françoise Hardy au début des années 1970 – ce que confirmera en presque fin de parcours la beauté dévastée d’Horizon. Mais avant, c’est L’Été Ivre qui s’achève et l’affaire est déjà pliée. Je ne connais rien de ce groupe dont j’apprends juste qu’il est un duo – et ça dit en fait déjà beaucoup. Une fille, un garçon, “main dans la main” (ou pas) et vraiment, on ne veut pas en savoir plus. Alors, on a envie de croire qu’ils passent du temps à imaginer des titres parfaits – et oui, c’est important, les titres parfaits – puisque l’on sait bien sûr que l’on ne baptise pas une de ses chansons L’Été Ivre sans mesurer l’émoi que sa seule lecture peut provoquer – sans même parler des souvenirs et des images qui se bousculent au portillon. Et on imagine – peut-être qu’on se trompe mais après tout qu’importe – aussi les disques qui peuplent leur discothèque (spleen) idéale. Car tout au long de ses dix chansons (et un morceau caché) interprétées dans les langues de Molière ou Shakespeare avec la même sensibilité, le tandem rêve une pop atemporelle, comme avant lui Cocteau Twins ou Slowdive, Broadcast et aussi Memoryhouse – tenez, un autre duo masculin-féminin qui a éclairé façon clair-obscur le tout début de nos années 2010 (et il faudrait reparler bientôt de ces premiers EP’s absolument bouleversants). Entre arrangements toujours discrets – une nappe de clavier, quelques notes de piano– et des guitares à la fragilité étourdissante qui résonnent comme une pluie d’étoiles et évoquent les fantômes évanescents de Maurice Deebank ou Vini Reilly, Delphine Lucy Lam et Vlad Swann signent la bande originale parfaite de crépuscules qu’on souhaite éternels. Et surtout, laissent entrevoir la possibilité d’amours qu’on croyait impossibles.
Une merveille …