En cercle restreint, nous nous sommes demandés il y a quelques temps déjà comment passer ce cap. Il fallait marquer le coup, d’une façon ou d’une autre. Comment témoigner de ces milliers d’enthousiasmes échevelés, de bonne ou mauvaise foi, partagés avec vous ? Quelques idées émergèrent, graphiques, éditoriales, fantaisistes. Puis quelques mois ont passé. Et à l’image de notre leitmotiv des débuts – « on fonce, et on verra après »- , on a décidé en toute dernière seconde de demander à quatre collaborateurs d’aller s’ébrouer sur ce petit exercice d’autocongratulation à notre place. Bien plus intéressant que ressasser les dossiers poussiéreux nous-mêmes. Quatre collaborateurs arrivés en cours de parcours, deux filles et deux garçons qu’on a rencontrés au fil du temps, qui sont devenus partie entière d’une histoire dont ils n’ont pas connu le début. Mieux encore, en dehors de papiers qu’ils ont signé et qu’on est fiers d’avoir publié, ils sont devenus des amis, des personnes chères sur lesquelles on peut compter. Autant que les autres, les historiques, toujours fidèles. Et nous voilà, 5 ans plus tard, plus du tout 26 mais bien plus, prêts à continuer tant qu’on le pourra en toute indépendance bénévole. Vous n’y avez pas cru au départ ? Nous non plus, mais on s’en reparle dans cinq ans.
Thomas Schwoerer
5 ans par Clément Chevrier
Il y a cinq ans pile, ce n’était plus seulement une porte qui se claquait, plus seulement l’accueil légitime d’une colère longtemps contenue face à la médiocrité sans vergogne. Il y avait eu événement, il y avait eu fin de l’aventure réelle d’une RPM devenue simple nom, coquille, marque – les marques, on les achète et on les vend, on les exhibe sur les t-shirts ou sur l’élastique des slips.
Les marques sont dénuées d’esprit, désolé. Preuve, elles s’achètent.
S’était fomenté en première suite de cette colère Mushroom, puis le présent site, Section26, par des rédacteur·ices libéré·es “des contraintes du marché et des petits patrons de presse” (comme l’expliquait de façon limpide un premier bilan ici un an plus tard). Une bouffée d’air courageuse. Un esprit libertaire hérité du fanzine des origines, de tous les fanzines en réalité.
Mais si vous lisez ces lignes, vous connaissez sans doute cette histoire. Et si vous ne la connaissez pas, passons, ce n’est pas l’essentiel, ou plutôt ce n’est pas tout. Ce qu’il faut retenir tient dans cette nécessité absolue et pourtant dérisoire : rendre compte de ce qui atterrit sur des bouts de pétrole en forme de disque, sur des paquets de paquets d’octets, sur des bouts de pétrole raffinés sous forme de bandes magnétisées parfois, et qui a su émouvoir au moins une fois, au moins quelques minutes, suffisamment l’un·e des membres de la rédaction de Section26 pour que le moment de cette émotion devienne le moment de l’écriture d’un article, billet, chronique, interview, etc. que le site chaque fois accueille.
Un site qui, lui, est animé d’un esprit qui a des cousin·es, frangin·es, ami·es, et pourtant son seul visage. Je ne crois pas au concept d’âme, alors j’emploie “esprit”, mais vous pouvez user du terme qui vous convient, tant qu’il permet de contenir cette idée : s’asseoir les yeux dans les yeux avec le réel d’une émotion esthétique, la retranscrire avec plus ou moins de détours, de tours, avec toujours la plus grande sincérité – sinon autant se taire, franchement – et la plus grande attention. Tout cela bénévolement, évidemment, au prix de soirées, de nuits, de matinées – chacun·e ses routines d’écriture et ses disponibilités – en sachant qu’il n’y aura pas de titre putaclic, que les quelques blagues seront drôles, les tacles rares et justifiés, les enthousiasmes aussi réels que les disques, que certains articles seront plantés ou plus faibles, que ce ne sera pas grave, et que l’écriture ne périmera pas en deux ans – pas plus que le réel.
La rédaction, ou le collectif, ou Section26, disons, s’agrandit par cooptation – pour moi, ça a été Xavier, et puis Christophe me connaissait déjà un peu, aussi –, les gens passent, restent, donnent de leur envie et de leur temps, parfois s’éloignent des colonnes sinon de l’énergie et de l’attention, aidés par ce qui fait que tout tient et dont on ne parle jamais – organisation, coordination, relecture, mise en ligne, maintenance du site, graphisme, iconographie, community management, etc. Et donc s’emboucanent comme de juste en l’absence d’un patron : avec respect. Et donc se tiennent au-dessus de cette idée, la contemplant sans toujours savoir quoi en faire, héritée du sous-titre de la RPM : la modernité.
La pop qui existe révélée à elle-même depuis le post-punk, disons, cette pop qui a conscience qu’il y a un avant, un maintenant et un peut-être, et qui est capable pourtant de persister un peu dans l’existence et dans l’esthétique jusqu’à atterrir donc sur les supports susmentionnés et donc dans nos oreilles d’auditeur·ices qui seules, rappelons-le, la font exister : une chanson qu’on n’entend pas n’existe pas. Et quelque chose qui existe passe son temps à changer, comme le présent site et ses désormais montagnes d’archives en libre accès peuvent en témoigner – des montagnes qui ne seraient rien sans l’investissement quotidien, invraisemblable et inspirant de Thomas pour que Section26 vive.
Nous croyons tous·tes, profondément, chaque fois que nous écrivons, qu’il y a maintenant quelque chose qui n’existait pas et qui a lieu, et qu’il s’agit d’en parler, parce que nous l’avons rencontré, nous nous sommes rencontré dans cette rencontre, parce que par là nous parlons de ce que c’est d’être, et d’à quel point c’est rendu un peu plus formidable par la musique qui nous émeut, qui nous a ému·es et qui va nous émouvoir.
Comme quand une chanson surgit pour la première fois sans même avoir de titre, sans que le guitariste ne connaisse la grille, et que pourtant tout est là, pleinement. Il y a un siècle, un auteur qui touchait sa bille sur la musique parlait de “sentiment océanique”. Nous essaierons pour un moment encore de parler du sentiment qui surgit quand surgissent des chansons comme celle-là.
5 ans par Valérie Bisson
- Depuis que j’ai entamé ma deuxième moitié de siècle, je constate avec un amusement surpris que le fatum remet sur mon chemin la majorité des individus que j’ai pu côtoyer au cours des primes années marquant la fin de l’adolescence. Faut-il y voir une sorte de boucle céleste signifiant que le temps n’existe pas et que seuls vivent les ramures souterraines qui nous relient par-delà les apparences ? Quoiqu’il en soit, c’est de cette manière, par hasard donc, que j’ai rejoint, voilà presque trois ans, l’équipe de Section26. Le groupe d’irréductibles résistants, de ceux qui ont fait les riches heures de la RPM, démissionnaires des systèmes et discours dominants, dépourvus de vision autre que monétaire, m’a ouvert ses portes, ses pages html et ses soucis d’organisation collective durable. A leurs côtés, j’ai embrassé une autre dimension politique et militante qui engage le bénévolat, l’implication, l’écoute et la pleine présence, une sorte d’économie solidaire et durable vouée à la Pop. Ici et là, j’ai trouvé un espace ouvert accueillant mes lignes viscérales d’écriture et ma curiosité musicale insatiable qui ne demandait qu’à reprendre du service. Là se trouve tout ce qui nourrit la libre expression. Section26 ou ce qu’il faut de courage.
- Dans le vaste marché de ce qui peut pénétrer mon conduit auditif et séduire l’espace d’écoute entre mes deux oreilles, il m’est difficile et pourtant évident de faire des choix discriminants, l’historique palimpseste de ma data musicale a vite fait de dire blanc ou noir. Mes nuances ne se lassent cependant jamais d’être dérangées ; quoi de mieux qu’un texte pour éclairer et accompagner mon intolérance ? Alors, avec Section26, avec Big Thief, il y a du blanc et du noir, il y a le gris du crayon passé et repassé de l’esquisse, il y a le diamant qui creuse le sillon, il y a l’ouvrage sans cesse remis sur le métier et les derniers coups de gomme qui laissent apparaître l’essentiel de la ligne.
J’aurais pu choisir mon tout premier article publié par section26 car les premières fois ont toujours le goût suave et doux de la transgression et des possibles à venir. J’ai finalement opté pour celui qui a servi de support à l’expression d’une résonance entre des espaces-temps épars et étirés, l’album Ein mann ohne feind de KG, qui véhicule à la fois l’espace de frottement de l’entre-deux, mon admiration pour l’expression sans concession d’une liberté absolue et la farouche et déterminée création d’une identité unique et singulière.
5 ans par Viktor der Panini Joe
Ce fameux sticker jaune et rond, très probablement aperçu dans les toilettes d’une salle de concert, a directement attisé ma curiosité. Je me suis donc tout bêtement rendu sur le site, et la découverte fut sans grande surprise puisque j’avais déjà entendu quelques bruits de couloirs vantant sa qualité éditoriale. Arrivé sur place, je ne savais plus par où commencer. Il m’a fallu choisir dans pléthore de billets, articles ou dossiers écrits par autant de passionné.es. Ma première balade numérique sur le site fut l’occasion de lire un dossier sur Peter Hook et ses reliques Joy Divisionesques écrit par Philippe Dumez. En continuant mes visites de façon ponctuelle au début, et de plus en plus régulières par la suite, j’ai compris la genèse du truc, une poignée de gens qui écrivent quand elles le souhaitent, sans jamais tomber dans le sempiternel procédé du média qui révèle le groupe – l’artiste à la mode. Bref, sans pression. Ces gens qui se lèvent le matin, qui vont bosser, mais qui ont cette envie irrésistible d’écouter de la musique, d’en parler, de la voir jouée. Cette joyeuse bande éparpillée aux quatre coins du pays, qui doit sûrement pour certain.es se voir, s’appeler, organiser des trucs au quotidien qui font du bien. Section26, c’est aussi la capacité collective d’imaginer des rubriques, des formats, des émissions de radio pour que jamais, prescripteur.trices, lecteur.trices ou auditeur.trices ne se lassent. Un quotidien pop moderne qui englobe largement bien d’autres registres musicaux, souvent plus souterrains, sans jamais s’enfermer sur une ligne bien définie. J’avoue qu’après un premier Sous Surveillance consacré au groupe Scarlatine (rédigé en pleine pandémie, ça ne s’invente pas), et vu le temps consacré depuis, je suis tellement content d’avoir pu voir cette fenêtre s’ouvrir et de continuer d’écrire sur des groupes ou projets solo que j’ai envie de voir se diffuser. Mention spéciale à Thomas S., cet homme à trois cerveaux et dix bras. Que la fête continue, c’est reparti pour au moins cinq ans…
5 ans par Coralie Gardet
Ce ne sont pas les élèves les plus cools du lycée que l’on trouvait à l’espace Presse du CDI le midi, après la cantine ; à vrai dire, on n’y trouvait pas grand monde. Je me revois feuilleter dans ces fauteuils délaissés mon premier précepteur musical : les Inrocks. J’y découvrais chaque semaine de nouveaux visages, prenais en note des noms que je retrouvais le soir sur YouTube. À la fin de chaque numéro, la liste des concerts à ne pas manquer, dont les trois quarts se déroulaient à Paris. Annecy ne faisait pas partie de la carte du rock indé et ainsi je découvrais – avant qu’Instagram n’intronise le terme – le FOMO, la peur de rater quelque chose ou plutôt, dans mon cas, la conviction d’être en train de tout louper. Le mot tant rabâché « orientation » me donnait la nausée mais j’entrevoyais pour la première fois une perspective louable : écrire sur la musique, partager la musique.
Ma fidélité aux Inrocks s’érodait au fur et à mesure que leur rubrique musicale s’affinait mais Rock&Folk me semblait trop classique, Gonzaï trop cynique. C’est la RPM, trouvée par hasard chez un buraliste, qui prit le relais et assouvit mon appétit. Accolées à de petites images carrées, des dizaines et des dizaines de courtes chroniques se succédaient et, au fil des pages, je me découvrais des affinités avec certains rédacteurs – Xavier Mazure d’abord, ce qui n’a pas changé. J’utilisais Deezer, où certains albums étaient associés à leur chronique dans ce qui me semblait être un partenariat merveilleux. J’écoutais des albums pour la première fois en lisant les mots de Xavier ou d’Etienne Greib et en pensant souvent, dans un frisson : « Mais oui, c’est exactement ça. »
Arrivée à Paris, où je rattrape des années de frustration en écumant les salles de concert, je rencontre Alexandre Gimenez-Fauvety, qui contribue alors à la RPM et m’encourage à écrire ma première chronique, celle qui constituera, plus tard, mon ticket d’entrée dans l’équipe de ces rédacteurs aux noms si familiers, tout juste échappés du magazine susmentionné pour fonder, plus proche de leurs aspirations, Section26. Je découvre grâce à eux la chance d’être informée en avant-première de l’actualité des artistes, de les rencontrer. Thomas Schwoerer, qui mène la barque, nous incite à communiquer sur ce qui nous touche, à mettre de nous-mêmes dans nos papiers. C’est, je crois, cette permission donnée à des journalistes expérimentés comme à l’absolue novice que j’ai été d’écrire sans autres règles que celles du cœur, qui fait de Section26 un media foncièrement indépendant et donc, au fil des ans, invariablement pertinent. Finalement, c’est sans doute mieux de ne pas en avoir fait un métier.