
« Un wagon bouge à peine,
l’autre wagon fait la fête »
Purée, mais quel disque. Ce sont les premiers mots qui me sont venus très naturellement alors que je jonglais hier entre le semainier de l’arrière-magasin – lister, trouver les liens, agencer les titres pour trouver un sens, un message à l’amie Clara de Paris Banlieue et l’écriture d’un texte sur un autre disque (qui devait prendre place ici mais qui est du coup un peu reporté). La chanson Hypnose brève que j’avais placée dans le peloton de la semaine s’est mise en boucle sans que je m’en rende compte et a interrompu ce petit ballet dominical. Sans doute que je voulais être un peu sûr, c’est plus de 6 minutes quand même, pas vraiment un truc pop. Après cette écoute répétée inattendue, j’ai tout laissé tomber pour visiter le bandcamp d’Èlg et la Chimie.

D’abord, apprendre la date de sortie (3 novembre, mince le temps passe vite, c’est presque la vie d’un disque de nos jours, ça, 20 jours) et puis lancer l’album dans l’ordre. Bon, quelle clarté dans le son, l’impression qu’il n’y a pas – comme souvent, plusieurs strates de sons à taillader à la machette pour arriver à la moelle. Cette frontalité totale n’empêche pas le détail infime et frappe directement la tête comme une masse. Les voix, les percussions sont claires, vont dans le même sens d’un propos incroyablement poétique, sombre et évocateur. Il y a du gospel dans ses envolées, de la chanson, du théâtre, du zeuhl peut-être, du saxophone, et cette impression d’écouter de la musique pour la première fois : une musique de vides, de pleins et de déliés (juste ce qu’il faut). Comme une réinvention.
Réinvention d’Èlg lui-même, peut-être, il faudrait lui demander, lui dont la chronologie m’avait quand même échappé jusqu’ici, tant son œuvre semblait serpenter entre les disciplines, les styles et les cases. Je l’avais bien vu avec son groupe jouer au DMTDR il y a plusieurs mois, mais parasité par un relou à blouson noir dans le public – une fois n’est pas coutume, le concert m’avait glissé entre les mains, envahi que j’étais d’ondes négatives. Des profondeurs du fais-le-toi-même à ce disque d’un implacable aboutissement lumineux, jamais je ne me serais douté. Une incroyable liberté semble traverser les 35 minutes d’Immense éboulis rouge qui annonce parfaitement la couleur de cette incandescence à combustion lente qui vous ensevelit. Comme de la lave.
Lentement, sans bruit, pas de prise en otage du son, Èlg et la chimie pose les choses et s’en remette à la confiance absolue qu’ils ont dans leurs compositions et le peu d’instruments qu’ils convoquent pour cette cérémonie. De celle qui réanime l’idée qu’on se fait d’un rock bizarre et d’une chanson marginale des années 1970, mais quand on a dit ça on n’a pas fait le quart du chemin, parce que le disque évoque aussi des chemins de traverse inédits dont les sonorités pourraient très bien nous balader entre Bamako et le Jura, Duluth et Modestine, en passant par Bahia, entre la scène d’un théâtre, un feu de camp, un carnaval et une comédie musicale canadienne expé. Et puis il y a ce chant à trois voix, dont celle de Marie Nachury, chanteuse soul qui peut passer d’une registre hésitant à quelque chose de majestueux et déployé : ça surprend, ces envolées lyriques hyper rares sur nos terres. Il y a une magie qui se crée dans ce doux et violent à la fois fatras, c’est assez ouf.
Je parlais que tout cela était au service d’un propos, mais là encore, sans jamais que le disque cède aux bavardages, aux commentaires, aux champs déjà labourés. Tout semble à sa place pour raconter l’époque, ce que nous vivons, pas d’imitations de temps révolus, pas de grilles de lectures toutes faites, une poésie du temps présent qui nous fait basculer dans une dimension peuplée d’atmosphères si diverses qui font sens : des visions, des égarements, des étonnements, on ne sait pas toujours de quoi ça parle, mais en fait si. Immense éboulis rouge est comme une évidence.
Je vous l’avais dit, purée, mais quel disque.
![]()