Captured Tracks propose aujourd’hui une réédition deluxe d’Oshin, le premier album de l’un des groupes les plus emblématiques de son roster, DIIV. En 2012, l’influent label new-yorkais — grâce auquel nous avions déjà découvert Beach Fossils ou Wild Nothing — en faisait les nouvelles coqueluches du rock indé. Dix ans et deux albums plus tard (Is The Is Are en 2016 et Deceiver en 2019), Zachary Cole Smith et sa bande sont toujours aussi attendus, et c’est avec une pointe de soulagement que nous avons appris, au fil de cette conversation partagée à Lyon en mai dernier, que leur quatrième effort ne devrait plus trop tarder. Quelques heures avant leur concert au Ninkasi Gerland et dans un échange plus proche du bavardage que de l’interview, trois des quatre membres ont laissé s’échapper, entre les lignes, quelques indices sur ce qui nous attend…
Comment avez-vous vécu le retour sur scène post-Covid ?
Andrew : J’ai eu le trac à nouveau. Ça faisait longtemps que je n’avais pas stressé avant un concert, ce qui pouvait m’arriver avant, mais seulement pour de gros événements… Là j’ai eu le trac, mais ça s’est envolé après quelques dates.
Ben : À un moment, on pensait qu’on ne ferait plus jamais de concerts à l’international, donc je suis reconnaissant d’être de retour.
Cole : Oui, on pensait vraiment que c’était fini, qu’il fallait qu’on se trouve un nouveau job.
Ben : Parce que les tournées ont été annulées deux fois. Il y a eu la première fois, on a attendu, ça a recommencé et on s’est vraiment demandé si ça allait un jour se débloquer…
Cole : On s’était habitués à ne plus jouer sur scène. C’était étrange de reprendre, je me sentais vraiment bizarre lors des premiers concerts.
Ben : Oui, c’était bizarre, surtout quand les gens portaient encore des masques. On se demandait si on n’était vraiment censés faire ça, si c’était une bonne idée, et en même temps on avait besoin d’argent… Ça semble plus normal maintenant.
Andrew : J’ai joué dans des petits clubs à Brooklyn pendant toute la pandémie. Enfin, pas toute la pandémie [les autres rient], mais à partir de 2021 je pense.
Des concerts illégaux ?
Andrew : Les deux ! Ça a commencé illégalement, mais à New York, les concerts ont repris légalement à partir de début 2021 il me semble. Il n’y a malheureusement plus tellement de lieux illégaux à New York, ça craint, mais il y a des house shows. Je me souviens très bien du premier, je suis entré et je me suis dit : « Tiens, personne ne porte de masque, c’est dingue. » Je n’y ai plus pensé jusqu’à ce que je ressorte et là, voir des masques à l’extérieur m’a étonné. J’étais si facilement retourné à la vie d’avant… Suite à cette soirée, je me suis dit : « C’est bon, quand tout ça sera fini, on se réadaptera très vite. »
D’ailleurs, comment avez-vous vécu la pandémie en tant que groupe ? Avez vous continué à jouer ensemble ?
Ben : Pas au début, mais assez rapidement, après six mois peut-être.
Andrew : Je suis sûr qu’on bossait tous sur des projets solo, non ? [Ils hochent la tête.] Des projets bizarres, les projets des autres… Puis on s’est retrouvé en 2021, on a commencé à écrire l’album suivant, qui est d’ailleurs presque fini. Presque. L’écriture, pas l’enregistrement.
En Octobre 2020, vous avez publié une vidéo sur Youtube, Auto Session, dans laquelle vous jouez quelques titres de votre dernier album, Deceiver. Était-ce une manière pour vous de compenser l’absence de concerts ?
Ben : Oui, en quelques sortes. A la base, ça devait être un concert pour un magazine mais le projet est tombé à l’eau, alors on a décidé de l’enregistrer nous-même. Ça nous amusait de voir si on était capables de fabriquer la vidéo de A à Z, et je crois que ça a ouvert un nouveau champ de possibles pour nous. Après ça, on a commencé à tout faire nous-mêmes.
Cole : Oui, c’était empouvoirant. On s’est rendus compte qu’on pouvait filmer des trucs, les éditer, faire le son… On s’est partagé les tâches, on a chacun pris des responsabilités différentes. Tu sais, la tournée de Deceiver a été abrégée, on a très peu joué aux Etats-Unis, en Europe ça a été raccourci de moitié… Je crois qu’on avait envie de montrer aux gens qu’on était un meilleur groupe qu’il y a quelques années.
On a pu vous voir dans une autre vidéo, celle réalisée avec la marque de vêtements Enfants Riches Déprimés. Vous y jouez du contenu exclusif, et je me demandais si ces extraits pouvaient être des indices sur votre album à venir ?
Ben : Ça vient d’une démo qu’on a abandonnée, peut-être pas abandonnée, mais sur laquelle on n’a pas persévéré. On fait beaucoup de choses en même temps, et quand on a été approchés par ces gens, je ne sais pas comment on a choisi ce morceau, mais on s’est dit que c’était l’occasion d’en faire quelque chose. On en a joué une version de dix minutes, donc c’était en partie de l’improvisation, mais de là à dire que c’est un indicateur pour la suite, c’est difficile.
Andrew : C’est probablement un peu plus heavy que ce qui est à venir.
Cole : C’est plus rock. C’est d’ailleurs pour ça qu’on n’a pas travaillé dessus, parce que ça sonnait comme notre musique d’avant. On a fouillé dans nos démos, on en a tellement, enregistrées à des périodes différentes… Ce morceau avait quelque chose de trop rock, j’avais dit « Fuck that song », mais en fait il y avait tout qu’il fallait pour cette vidéo alors on s’est juste remis dessus pendant une journée.
Andrew : On peut dire que pour le nouvel album, on utilise nos trois premiers albums comme une palette de référence. Ce titre, à mon avis, piochait un peu trop dans Deceiver. Ça te donne une idée de ce vers quoi on va…
Peut-être que les guitares sont devenues un peu plus heavy sur Deceiver mais au final, je trouve que vous êtes toujours restés fidèles à votre son. Votre esthétique s’inspire beaucoup de la scène rock alternative des années 90. Êtes-vous capables de dire pourquoi vous aimez tant cette période ?
Cole : C’est sûrement juste parce que c’est la musique avec laquelle on a grandi.
Ben : Je pense que c’est la période durant laquelle nos goûts musicaux se sont formés, alors ça avait du sens d’y retourner.
Cole : C’est la raison pour laquelle on joue de ces instruments-là, parce qu’on a grandi en écoutant de la musique à guitares. Du coup, quand on avait dix ou onze ans, on a voulu apprendre la guitare et maintenant, voilà ce qu’on fait, on joue de la guitare, de la batterie… On a pris toutes ces décisions à l’époque. Aussi, on écoute peu la musique d’aujourd’hui…
Ah oui ? Je voulais justement vous demander quels groupes actuels vous intéressaient…
Andrew : Probablement aucun des groupes importants que tu pourrais connaître. J’écoute ce qui sort en rap, le nouveau rap qui sonne comme du vieux rap.
Ben : J’ai écouté beaucoup de musique électronique dernièrement. Je n’écoute pas beaucoup de rock. Comme Cole l’a dit, si j’écoute du rock, j’ai l’impression d’avoir déjà entendu ça toute ma vie.
La semaine dernière j’ai vu ce groupe qui m’a fait penser à vous dans son esthétique, Momma…
Cole : Ah oui, Momma ! On devait jouer ensemble en décembre dernier pour le nouvel an à Los Angeles, mais elles ont eu le Covid je crois, alors elles n’étaient pas là, mais tous les groupes avec lesquels on a joué pour le nouvel an au Lodge Room sont des groupes qu’on aime : Julie, Dummy… [Scott Gilmore, Cryogeyser et Ian Sweet complétaient l’affiche.]
Je retrouve aussi ça chez Wednesday…
Cole : J’adore Wednesday…
Andrew : Je ne connais pas.
Cole : Ils font une sorte de country shoegaze, c’est vraiment bien.
Ben : Un peu comme Mojave 3 ?
Cole : C’est comme si Mojave 3 jouait Deceiver. Ça sonne comme Deceiver.
Quel regard portez-vous sur votre label, Captured Tracks, après dix ans de collaboration ?
Cole : On les aime beaucoup, c’est la famille. En fait, notre contrat est terminé et nous n’en n’avons pas signé de nouveau pour l’instant. Ce label a été extrêmement important pour moi et probablement beaucoup de monde, pour la découverte de la musique à New York entre 2009 et 2013… De très bons groupes sont sortis de ce label. Ils faisaient grandir des groupes partis de rien, ce qui était génial et en fait très rare. Beaucoup de labels aujourd’hui veulent juste ce qui est cool. Eux, ils créaient le cool.
C’est vrai qu’à l’époque, on allait sur leur site et on écoutait tout ce qu’il y avait de nouveau, à l’aveugle…
Cole : Bien sûr, je faisais ça aussi.
Vos albums sont toujours illustrés d’œuvres d’art, ce sont de beaux objets. Est-ce important pour vous le lien entre ce que l’on écoute, et ce que l’on voit de l’album ?
Andrew : Évidemment.
Cole : Pour moi, les meilleurs albums sont ceux qui créent leur propre univers. On a grandi à une époque différente : quand on avait un CD, on parcourait tout le feuillet, on l’étudiait, on cherchait des indices à propos des membres du groupe, de leur musique… Mais peut-être que c’est un truc de boomer…
Ben : Même si la musique n’est plus tellement consommée de cette manière, on a un bel objet pour ceux qui le veulent. Même si ça représente peu de monde, je pense que certains lisent toujours le feuillet. C’est d’ailleurs mon cas : dès que j’ai un nouveau disque, je le mets sur la platine et je parcoure tout ce qui l’accompagne en même temps que je l’écoute.
Cole : Bien sûr, c’est la meilleure partie !
Andrew : Tu ne peux pas penser à un disque sans te figurer sa couverture. Si je te dis Nevermind, tu vas au moins penser à du bleu. Le subconscient joue un rôle important dans la création de cet univers.
Le 24 juin sortira une réédition d’Oshin, à l’occasion de ses dix ans. Vous allez y ajouter plein de souvenirs…
Cole : Oui, voilà un album pour lequel l’aspect visuel a été très important. On a travaillé avec notre ami Parker Sprout, qui est un artiste visuel. J’ai réuni beaucoup de choses que j’avais gardées de cette époque comme des photos ou des livres, et il a fait une nouvelle œuvre pour la pochette, basée sur ces éléments. On y a mis des réflexions personnelles, et plein de vieilles photos. Tu sais, les gens qui vont acheter la réédition ont déjà accès à l’album en ligne, ils ne vont pas l’acheter pour l’écouter, mais pour l’objet dans son entièreté. Il y a des démos, des enregistrement live dont un titre exclusif, c’est quelque chose de très immersif. C’est ce à quoi j’aurais aimé que l’album ressemble dès le départ, sauf que notre budget était si serré à l’époque qu’on avait juste pu glisser une feuille de papier dans la pochette.
Comment vous sentez-vous lorsque vous pensez à ces dix dernières années ?
Ben : Vieux [ils rient]. C’est comme quand on pense à la pandémie, tellement de choses se sont passées qu’il est difficile de résumer.
Cole : Je dis toujours ça, mais ça semble bien plus long que dix ans. Même si c’est long, ce n’est que [il compte jusqu’à dix avec ses doigts].
Ben : Ça semblait être avant être un temps incroyablement long et maintenant… C’est comme cette phrase que disent toujours les vieux : « Plus tu vieillis, plus ça passe vite ». C’est vraiment le cas.
Je me disais que peut-être ce sentiment était lié au fait que j’aie un travail de bureau, assez routinier, mais si même vous le dîtes…
Cole : T’inquiète, ce n’est pas que toi.
Ben : Ça me fait penser à quand on se prépare à partir en tournée : tu fais ta valise, tu achètes un adaptateur, un chargeur de téléphone et tous ces trucs, la tournée semble être cet énorme événement du futur, et puis bien avant que tu ne le penses, te voilà de retour à la maison, la tournée est finie. Bon, pas là maintenant, on est en plein dedans, mais dans trois semaines on se dira : « Wow, what the fuck. »