Le grunge en France, rétrospectivement ? Il y a quelqu’un ? oh ? hého ? Il y a quelqu’un ?
Non, je ne crois pas, on est directement passé à autre chose parce qu’on est trop des petits malins. En France dans les années 90, le rock c’est devenu la fusion, un truc grotesque avec des types en short qui hurlaient en suant. Ah si, je me souviens un peu de groupes qui avait du matos mais pas trop de chansons, leurs noms commençaient aussi en D mais je ne les citerai pas. Il y en a même eu un qui avait un nom de la première brebis clonée, et encore eux, ils auront presque une décennie de retard, c’est vous dire l’affligeant niveau. Il y a bien Noir Désir, qui viennent de découvrir Fugazi et en renverseront un peu partout à la truelle sur leur célébre album Tostaky mais bon, on est plus au lycée, on est plus ou moins à la fac ou dans des écoles pour petits bourges, bref on tente plus ou moins et comme qui dirait de faire des études alors le toast, on le décline plus ou moins poliment. On est quand même en France, un pays dans lequel Nevermind de Nirvana a été distribué et plutôt bien vendu. Je vais les voir au Zenith d’ailleurs au printemps, en revenant d’un enterrement (ça ne s’invente pas…) et c’est proprement époustouflant, il y a même Teenage Fanclub en première partie, le seul concert pas top d’eux que j’ai vu mais bon, passons.
Mais dans le rock du cru, on a beau découvrir l’Amérique, quasiment rien ne se passe, c’est fort étrange. On a déjà fait un tableau complet un autre jour, il s’est passé des choses par la suite, mais pour le moment, je reste de mauvaise foi. Il n’y a rien et on se fait bien chier. On est en 1993. Bon, il n’y a pas rien. Il y a Dominique A, Katerine, Rosebud, Lithium, tous les gens que je connais jouent dans un groupe et/ou font un fanzine mais rétrospectivement, on se fait quand même bien chier. Je détestais Lucie Vacarme, les beaux gosses de la noisy pop made in France, mais moins que Welcome To Julian, ces vieux beaux bisontins. En fait j’étais juste jaloux, ils faisaient des disques et nous non.
Chacun faisait son truc dans son coin, et justement le coin de Diabologum c’était un peu le nôtre aussi. Pas géographiquement, non, mais c’était quelque part rassurant et excitant de savoir qu’à quelques kilomètres, des individus séduisants achetaient les même disques que nous (des disques de Nick Cave ou de Royal Trux et beaucoup d’autres) et en infusaient leur groupe. Sans mettre les patins d’usage.
Alors je ne sais plus du tout comment (ça fait deux mois que je tente mais ma mémoire est bloquée) j’ai récupéré une advance tape du premier album de Diabologum, mais je l’écoutais en boucle, comme un fanzine sonique. D’ailleurs les membres du groupe (Michel Cloup (en partance de Lucie Vacarme), Arnaud Michniak, Anne Tournerie et Pierre Capot font une émission de radio baptisée Infra. Et prolongent l’expérience (sic) en faisant un disque, ça ne ressemble à rien mais aussi à beaucoup de choses qu’on aime, c’est spontané, bourré de références à la pop culture et ça nous fait, mine de rien, une grosse respiration. Je crois que j’écris, tout aussi spontanément une chronique du disque (manuscrite et probablement navrante d’amateurisme) que j’envoie au journal Les Jours qui vient de paraître et qui me semble plutôt cool. Elle restera lettre morte.
C’était un après-midi semblable aux autres, pochette de Glen Baxter, diversement reçu mais qui ne se vendra pas ou presque.
Prenons un morceau, le premier : Comme un Infriste. Sur un riff grunge blues que n’aurait pas renié Beck quelques temps plus tard, des gens parlent d’un air morne, de café, de temps, de rien et tout à coup, comme un avis de défaite, mais joyeux :
Vous êtes des nigauds, nous sommes des moins que rien, vous êtes des zéros et nous sommes des moins un.
Et puis le morceau reprend et le petit doigt du milieu (il y a une batterie démente aussi, de cuisine) se métamorphose en un solo de guitare à tomber de sa chaise, sortir dans la rue et faire des roulades.
L’année d’après, Diabologum remet ça, nous sommes peu à être sur la jante de l’impatience, disons Renaud Sachet, moi et les 2/3 des acheteurs du premier album, selon les chiffres fanfarons de l’époque, ça nous fait un peu moins de 500 personnes. C’est beaucoup, ce n’est pas trop.
Et là, le tube. Les Garçons ont toujours raison. 1994.
Le tube qui ne fut pas le plus bel accident industriel de tout le rock « français ». Et pourtant, il y a tout : une chanson pop imparable, des guitares dégoutantes avec là encore, un solo à se relever la nuit pour aller saloper des arrêts de bus en milieu rural, un duo garçon/fille plus que charmant (trop chou mignon dirait la jeune garde), tout est parfaitement plaçé entre Lio et Gumball. C’est imparable et ça l’est resté. Pop et Grunge, un tube en or massif.
Et alors ? Il ne se passe pas grand chose de plus. C’est dommage, pour une fois qu’un groupe n’a pas cinq ans de retard sur les choses en cours. Lenoir le passe quelques fois, mais ni Lithum, ni Virgin/Labels qui distribue, ne semblent prendre conscience, et n’y voyez pas le fruit d’une imagination excessive, du potentiel gigantesque de ce premier single extrait du Goût du Jour, album moins folklorique et plus construit que le précédent. Qui connaitra un sort à peine plus reluisant que le premier. Faute d’un investissement promotionnel d’envergure. Pays de cons, pays de sourds. Presque trente ans plus tard, on en chialerait encore d’incompréhension, et on n’en envie pas moins ceux qui vont découvrir ça d’une oreille vierge.
Pour les nombreux malheureux qui n’auront pas commandé à temps cet artefact sublime, comprenez qu’il est déjà épuisé, comprenant les deux albums plus les maxis d’époque (avec quelques faces B qui ne devraient plus le rester), séchez vos larmes, les disques seront à nouveau disponibles à l’automne, cette fois ci en sachets individuels.