De l’importance d’être prétentieux

Combien d’auteurs énoncés dans « The Booklovers » de The Divine Comedy avez-vous réellement lu ?

The Divine Comedy
Illustration : Mathieu Persan pour https://www.theretrocomedy.com/

Aussi incroyable que cela puisse paraître, fût une époque où apparaître cultivé, voire franchement prétentieux, était une arme de séduction, aussi bien chez les filles que chez les garçons. Conséquence directe d’une adolescence solitaire (et d’un physique parfois ingrat), passée à lire Oscar Wilde, Salinger ou Françoise Sagan, à regarder des classiques hollywoodiens ou des films de la Nouvelle Vague, cette revanche des « eggheads » initiée en partie par Morrissey trouva pleinement écho dans la musique de nombreux groupes des années 90, qui de Pulp (« We learned too much at school », Mis-Shapes) aux Manic Street Preachers (« Libraries gave us power », A Design For a Life) en passant par Belle & Sebastian, revendiquèrent pleinement ce snobisme intellectuel et firent du droit à la culture une revendication quasi-politique, avec une naïveté parfois touchante.

Bien entendu, il n’y avait là rien de révolutionnaire, si ce n’est que ces groupes ne s’adressaient pas à une élite sophistiquée, mais à une jeunesse issue de toutes les classes de la société (ne jamais oublier le concept de classe lorsqu’il s’agit de groupes britanniques, on y revient toujours), qui voyait dans la culture un moyen de « ne pas être comme tout le monde », pour suivre le credo de Ray Davies.
Avec la chanson The Booklovers, et son énumération de quelques 70 auteurs « classiques », Neil Hannon poussa le snobisme à son paroxysme, au risque de passer pour un cuistre tête-à-claques, d’autant qu’une enfance privilégiée au calme de la campagne nord-irlandaise ne lui donnait même pas le droit d’en faire un geste politique. Paru sur le troisième album de The Divine Comedy, et écrit à l’origine de manière ironique, ce morceau n’en demeure pas moins une fantastique liste de lecture dans laquelle trouver refuge pour sortir d’une époque où la gratification immédiate et la simplification de la pensée dominent trop souvent. Vingt-cinq ans après sa sortie sur l’album Promenade, il subsiste dans le classicisme assumé des textes et des arrangements une intemporalité aussi rassurante que démodée, parfois un peu énervante, comme les films de Merchant Ivory.
Réduire Promenade à un maniérisme facile serait dommage, car un disque qui vous donne envie de lire, de dévaler une colline à vélo, de manger des fruits de mer et vous saouler, ou de crier Geronimo sous la pluie, devrait être considéré comme un manuel de savoir-vivre. Quand le monde paraît trop laid et stupide, une simple écoute de The Booklovers ou Tonight We Fly suffit pour se rappeler que la beauté et l’intelligence entourent ceux et celles qui prennent le temps de les chercher dans un livre, un film, un paysage de campagne ou les souvenirs d’étés passés dans une maison d’enfance.
Voici donc un quiz idiot, pour voir à quel point vous aussi pouvez prétendre à ce snobisme intellectuel un peu suranné. Essayez d’être aussi honnête que possible avec vous-même, en ne cochant que les auteurs dont vous avez lu au moins une œuvre complète. Vous n’avez probablement plus quinze ans, donc « avoir vu le film », lu une version abrégée, étudié un extrait en terminale, ou simplement voir de qui il s’agit ne compte pas. En 1999, lors d’un entretien paru dans The Guardian, Neil Hannon admettait que lui même n’avait lu que 20 % de la liste. Make it easy on yourself.

Merci à Mathieu Persan / www.theretrocomedy.com
The Divine Comedy sont en concert lundi 28 octobre à la Salle Pleyel à Paris.

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