
Dave Rowntree est sans conteste le membre le plus discret de Blur, mais aussi le plus surprenant. Ne se contentant pas d’une carrière dans la musique, il a en parallèle du groupe exercé le métier d’avocat. Il est également un membre actif du parti travailliste pour lequel il s’est présenté pour différents mandats, mais aussi directeur d’une société d’animation qu’il a créée. Contrairement aux trois autres membres de Blur qui sont loin d’avoir fait profil bas sur leur vie au sein du groupe, que ce soit dans la presse ou à travers des livres, Rowntree était resté plutôt discret jusqu’à la sortie cet été de No One You Know, recueil de photos qu’il a prises pendant les premières années du groupe. Plutôt que de rabâcher des anecdotes entendues mille fois, il a pris le parti de nous raconter des histoires à travers plusieurs sélections de photos évoquant les premières fois du groupe. Premiers enregistrements, premier tournage de vidéo, premiers séjours au Japon, au Mexique et aux États-Unis. Tout a été parfaitement édité avec l’aide de la talentueuse Miranda Sawyer. Si les commentaires sont peu nombreux, ils ne manquent à aucun moment tant le livre raconte lui-même sa propre histoire. On découvre la vie de Blur et de son équipe par des photos prises dans des avions, des studios télé (celles prises avec des clones de Kiss au Japon sont fabuleuses), d’autres prises lors d’interminables trajets en bus, ou bien avec des fans. Dave Rowntree nous partage dans cette interview les anecdotes qui accompagnent certaines de ces expériences vécues par le groupe, ainsi que la genèse de ce livre qui aurait pu ne jamais exister.
Comment t’est venue l’idée de te lancer dans un livre photo sur Blur ?
C’est une longue histoire. A l’époque où je les ai prises, je les stockais avec les négatifs dans une boîte en métal. Je n‘y ai plus pensé pendant un long moment. Il y a une bonne dizaine d’années, j’ai voulu les regarder et je n’ai pas réussi à retrouver la boîte. Je pensais qu’elles étaient perdues. Récemment, j’ai décidé de faire le tri dans des cartons que je n’avais jamais ouverts suite à divers déménagements. Je savais qu’ils ne contenaient que des choses sans importance, le moment était venu de s’en séparer et de les emmener à la décharge. A ma grande surprise, elles se trouvaient dans l’un d’entre eux. Ainsi que d’autres choses que je cherchais depuis longtemps (rire). Je les ai regardées rapidement, puis je n’y ai plus pensé. Pendant le confinement, Tim Burgess de The Charlatans m’a proposé de faire une de ses Tim’s Listening Party sur X. J’ai fini par en faire trois au total. Pour chacune d’entre elles, il fallait que je trouve des photos à partager sur X pour illustrer l’écoute. J’ai donc parcouru ce lot de photos sans grande conviction car d’après mes souvenirs elles étaient sans grand intérêt. J’avais tort, beaucoup étaient géniales. Elles racontaient une histoire inédite sur le tout début de Blur, une des périodes les plus excitantes du groupe car il y avait beaucoup de premières fois, comme la découverte des États-Unis. Je me suis dit que je pouvais peut-être en faire un livre.
Ta compagne semblait avoir du mal à te croire quand tu lui a parlé de ce projet, pourquoi ?
Elle s’est moquée de moi car ce projet était en contradiction totale avec le fait que je n’ai aucune mémoire. Elle n’a pas tort, je n’ai que de vagues souvenirs de cette époque (rire). Mais c’est principalement parce qu’elle croyait que j’allais écrire mes mémoires et que les photos allaient illustrer le livre.

Tu sembles avoir acheté un appareil photo sur un coup de tête au moment où les choses commençaient à bouger un peu pour le groupe. Y avait-il une volonté de documenter cette période ?
On ne peut que documenter la période que tu vis en prenant des photos. Mais ce n’était pas vraiment mon objectif. Par contre j’avais conscience du côté éphémère qu’il y avait à être dans un groupe qui commence à être connu. A l’époque, pour la majorité d’entre eux, ils plaçaient un ou deux singles dans les charts, avec un peu de chance, un album se vendait un peu derrière, puis l’heure de la dégringolade arrivait vite avec ta maison de disques qui te vire et la reprise de ton travail au supermarché. Il faut réaliser qu’une partie de ces photos, les plus anciennes, montre un tout petit groupe qui produisait une musique qui n’était pas à la mode. Et je voulais garder des souvenirs de cette période, car dans mon esprit il était fort probable que nous n’irions jamais plus loin car nous étions en décalage avec la scène de l’époque.
Beaucoup de ces photos montrent un groupe qui a l’air heureux, innocent qui découvre la Chine, les États-Unis. Ces moments étaient-ils plus rares par la suite ?
Oui, mais j’avais déjà arrêté de prendre des photos du groupe à ce moment-là. De toute façon je n’aurais jamais documenté un des membres hurlant qu’il voulait quitter le groupe (rire). Mais je trouve qu’être un membre Blur est encore fun en 2025. Ce que j’aime dans ce livre, c’est de voir des amis s’amuser, faire des grimaces, car la période s’y prêtait. L’excitation d’enregistrer un premier single, un premier album. C’était une période stimulante et excitante, surtout nos premières visites aux Japon et aux États-Unis. Nous ne connaissions ces pays qu’à travers des images vues à la télévision. Mais nous savions que ce n’était qu’une facette de la réalité. Nous voulions découvrir ce qu’étaient vraiment ces pays. Nous avons eu la chance d’y passer beaucoup de temps dès nos débuts. Le Japon du début des années 90 était encore imprégné de sa culture historique. La nourriture était exclusivement japonaise, les panneaux de direction ne comportaient pas de traduction en anglais, la majorité des gens ne parlaient aucune autre langue. J’avais parfois peur de me perdre et de ne pas avoir de recours pour retrouver notre hôtel (rire). Nous adorions ce sentiment. Certaines photos montrent à quel point les Japonais sont accueillants et amicaux.

Les photos des fans Japonais sont impressionnantes. Notamment celle avec un groupe de jeunes filles portant des t-shirts Blur et soufflant dans des kazoos. Vous n’étiez pourtant qu’un petit groupe de la scène indé à cette époque.
Ça nous a pris par surprise. Beaucoup de nos fans n’avaient jamais mis les pieds au Royaume-Uni, mais ils adoraient les groupes anglais. Ils fantasmaient notre pays de la même façon que nous fantasmions le leur. Nous étions un des seuls petits groupes à tourner là-bas à l’époque et ça a dû jouer en notre faveur. Beaucoup nous ont dit avoir apprécié notre venue. Depuis nous vivons une histoire d’amour avec ce pays.
Montrer des photos de tourisme sans aucun membre du groupe est un pari risqué, mais réussi. Nous avons l’impression de découvrir le Japon, les USA et le Mexique en même temps que vous. Était-ce ton but ?
Ces photos font partie intégrante de l’histoire que je souhaite raconter à travers ce livre. Il y avait 600 photos au total. Ma première idée était de ne garder qu’une sélection des photos du groupe. J’ai rapidement trouvé que c’était une erreur, car on avait l’impression de regarder un album photo de Blur plutôt que de lire un livre avec un fil conducteur. Par exemple, le chapitre consacré aux USA commence avec notre avion qui arrive à Vancouver. On y voit des photos prises à travers le hublot, notre passage aux Chutes du Niagara et bien d’autres choses. Cela montre à quel point notre séjour était épique. Idem pour le train à grande vitesse au Japon. C’était une expérience folle pour nous. J’ai donc ajouté une photo du train prise sur le quai.
J’ai l’impression que Graham est plus présent que les autres membres du groupe dans ce livre. Du moins, c’est lui qui se détache le plus au niveau du charisme, des expressions. Y a-t-il une raison particulière à cela ?
Graham et moi vivions dans la même rue à l’époque. Nous passions beaucoup de temps ensemble et nous étions particulièrement proches au début de Blur. Il venait souvent à la maison avec une bouteille de vin, mais pas uniquement pour profiter des plats de ma femme qui est une excellente cuisinière (rire). A l’époque, il adorait être pris en photos et faire l’idiot. C’est pour cette raison qu’il est presque le personnage central. Et encore j’ai laissé beaucoup de photos de lui de côté. Il a une énergie débordante, aujourd’hui encore. Il ne tient pas en place.
Jamais je n’aurais imaginé qu’en coulisses il vole en quelque sorte la vedette à Damon.
Je me suis fait la même réflexion. Graham a une personnalité de pop star. Pourtant Damon est une des personnes les plus charismatiques que je connaisse. Quand il rentre dans une pièce, tout s’arrête et il devient le centre d’attention. C’était déjà le cas avant que nous ayons du succès. Ça nous a été très utile sur scène d’avoir quelqu’un qui attire tous les regards. Ce n’est pas à moi que ça risquait d’arriver (rire). Mais n’oublions pas Alex qui, à l’époque, avait tout pour être un mannequin, notamment une structure osseuse parfaite.

Certaines photos montrent clairement un groupe qui s’ennuie pendant de longs trajets en bus. On y voit Graham et Alex jouer aux Lego pour passer le temps par exemple. Comment vivais-tu ces instants ?
Les distances entre deux salles de concert étaient ridiculeusement énormes aux USA. Au bout d’un moment tu n’as plus de films à regarder ou de livres à lire, et il faut s’occuper pour tuer le temps. C’est comme ça que tu en arrives à jouer avec les Lego. Je me souviens encore de la plus longue, entre Minneapolis et Vancouver. Cela nous a pris trois jours. De mon côté j’ai eu la chance de ne pas trop m’ennuyer car j’adore jouer au bridge. Et trois membres de l’équipe qui nous accompagnent en tournée étaient également obsédés par ce jeu qui te fait perdre toute notion du temps. En arrivant à Vancouver les trois autres Blur étaient au bord de la dépression nerveuse, alors que j’ai demandé au chauffeur si on pouvait encore rester un peu dans le bus pour finir la partie (rire).
Vous avez l’air tendu sur les photos prises backstage.
C’est effectivement autre chose que de l’ennui qui ressort. La majorité a été prise entre les balances et le concert. Les deux sont généralement séparés de deux heures, et il est impossible de se détendre car le stress commence à monter. Tu n’as pas vraiment le temps de partir faire quelque chose prêt de la salle ou de rentrer à l’hôtel. A l’arrivée, tu as quatre personnes en pleine crise d’anxiété enfermées ensemble dans une loge.
On croise des membres de l’équipe du groupe dans tes photos. Certains travaillent-ils encore avec vous aujourd’hui ?
Oui, la majorité. Ils ont grandi avec nous au sein du groupe. Bon après il faut avouer qu’on les paie généreusement, c’est probablement la raison de leur longévité à nos côtés (rire).
Miranda Sawyer, journaliste et écrivaine réputée, a édité ce recueil de photos. Est-ce une amie de longue date ?
C’est une bonne amie à moi. On se connait depuis les débuts de Blur. Avant de me mettre sérieusement au travail sur le livre, je voulais le regard extérieur de quelqu’un qui nous connaît depuis longtemps pour me dire si les photos valaient la peine d’être publiées ou pas. J’avais quelques doutes sur le fait qu’elles pouvaient intéresser des gens. Je suis allé chez elle avec ma fameuse boîte en métal, et elle a été ravie de les découvrir. Elle a trouvé que l’idée d’en faire un livre fantastique. Elle m’a demandé si je savais comment j’allais m’y prendre. Ma réponse étant négative, elle m’a dit de ne pas m’inquiéter, qu’elle allait pouvoir m’assister. Elle l’avait fait pour d’autres par le passé, son aide a été précieuse. Notamment pour ses retours sur l’introduction que j’ai rédigée, et sur les différentes variations de la mise en page.
As-tu continué à documenter la vie du groupe dans les années qui ont suivi ce qui est proposé dans le livre ?
Pas vraiment. Je prenais de moins en moins l’appareil photo avec moi. J’ai fini par le ranger dans un coin et ne plus y toucher. Ce n’était pas par manque d’intérêt, mais juste le fait qu’il fallait tout le temps l’avoir avec moi et gérer le stock de pellicules, les développements etc. Je n’avais pas beaucoup d’argent à l’époque et ça me coûtait relativement cher. Et puis j’avais l’impression qu’au lieu de profiter de certains bons moments, je cherchais plutôt à les capturer. Mais au moins, contrairement à maintenant avec les téléphones portables, on essayait de capturer le monde différemment. Car chaque clic sur un appareil photo coûtait de l’argent. Chaque photo était précieuse. Tout le monde ne sera pas d’accord, mais je pense que ça nous forçait à plus nous engager avec le monde qui nous entourait. Avec le recul, je regrette de ne pas avoir continué à photographier la vie du groupe.

Parmi toutes ces photos, lesquelles te rappellent tes meilleurs souvenirs et pourquoi ?
Damon et Graham figurent ensemble sur mes deux photos préférées du livre. La première est une photo prise dans le métro. Ils ont tous les deux une coupe au bol et se forcent un peu trop à paraître cools et nonchalants. Je les adore sur cette photo. Pour moi ce sont les mêmes personnes que celles que je connais aujourd’hui. Je les vois de la même façon. La deuxième est une photo prise sur une montagne russe. J’étais dans le wagon derrière eux. C’était dans un parc d’attraction aux USA. L’excitation lorsque le wagon démarre et commence à monter est pour moi comparable à l’ascension de Blur. Ça encapsule parfaitement ce qui se passait dans nos vies : la joie, le plaisir, tout y est.
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