Si on avait dit aux frères Reid, lors des premiers concerts des Jesus and Mary Chain au printemps 1983, qu’ils se produiraient encore sur scène près de quarante ans plus tard, la chose leur aurait certainement semblé tout à fait improbable. On peut même trouver miraculeux que les deux enfants terribles d’East Kilbride soient encore debout aujourd’hui après avoir traversé tant de tempêtes. Les innombrables engueulades allant parfois jusqu’à la violence physique, les récurrentes descentes aux enfers dans les affres de l’alcoolisme et la fatigue engendrée par une vie d’excès en tout genre auraient dû avoir leur peau. La séparation du groupe en 1998 n’aura pourtant été qu’une pause, et depuis leur reformation en 2007, les démons du passé semblent avoir été définitivement exorcisés. En témoignent leur présence régulière sur scène et la sortie de Damage and Joy en 2017, leur premier disque en presque vingt ans.
A écouter : Transmission#68, un entretien avec Jim Reid réalisé par l’équipe de Section26 et Nicolas Sauvage à La Rodia à Besançon lors du passage de la tournée Darklands de The Jesus And Mary Chain.
Depuis leur reformation, les deux compères se sont assagis : nous ne sommes plus au temps des concerts de 20 minutes tournant à l’émeute, des coups de pieds de micro dans la tête des gens du premier rang et des bagarres sur scène. Jim et William sont désormais des pères de famille dans leur soixantaine, et l’époque est loin où ils trompaient l’ennui en gobant des acides dans des hangars désaffectés de la banlieue de Glasgow avec Douglas Hart et Bobbie Gillespie. Mais c’est peut-être mieux comme ça. N’ayant aujourd’hui plus rien à prouver à personne, seule la musique semble l’avoir emporté sur tout le reste. Et finalement, je me demande même s’il n’est pas plus intéressant sur le plan strictement musical de les voir jouer aujourd’hui plutôt qu’en 1985.
Six ans après leur tournée-hommage au fabuleux Psychocandy (1985), voilà qu’ils viennent tout juste d’enchaîner plus de vingt dates à travers l’Europe, consacrées à la célébration de leur tout aussi mythique album Darklands (1987).
Pour ma part, j’avais réservé depuis six mois mes places pour leur concert à la Rodia (Besançon), de peur d’une prise d’assaut. J’ai craint jusqu’au dernier moment l’annulation du concert pour cause de mesures anti-Covid. Mais le concert a bien eu lieu.
J’avais 7 ans quand Darklands est sorti et je n’ai pas écouté les Jesus and Mary Chain avant l’âge de 24 ans, avec la découverte épiphanique de Just Like Honey dans Lost in Translation de Sofia Coppola, un film qui n’est certainement pas pour rien dans la résurrection du groupe. En 2007, l’année de leur reformation, j’avais pris une claque monumentale au festival de Rock en Seine, où les frères Reid – accompagnés de Loz Colbert de Ride à la batterie, de Mark Crozer à la guitare rythmique et de l’éternel Phil King à la basse – avaient enchaîné un nombre impressionnant de tubes, joués à un niveau sonore démesuré. Ce très grand moment avait occasionné chez moi une conversion esthétique définitive.
J’ai revu les Mary Chain deux fois par la suite (à la Route du Rock à Saint-Malo en 2017, puis en 2018 au festival This is Not a Love Song à Nîmes), mais j’avais été incommodé à Saint-Malo par une horde d’abrutis ivres morts qui avaient gâché la fête en beuglant comme des veaux pendant tout le set. À Nîmes, j’étais si près de la scène que je me suis retrouvé derrière la façade, n’ayant que le son des amplis, à tel point que j’entendais distinctement le bruit du pied de micro de Jim Reid frappant la scène… Je ne pouvais pas rester sur de si mauvaises impressions et je n’ai pas hésité à faire le pèlerinage à La Rodia à Besançon pour oublier ces souvenirs malheureux. Et le moins qu’on puisse dire, c’est que je n’ai pas été déçu du voyage.
Tout d’abord, à 18 heures, mes camarades de Section 26/ A Certain Radio et Radio Campus Besançon avaient organisé une émission radio en direct (que l’on peut écouter ici sur Rinse France) avec Jim Reid en personne. Interviewers et interviewés étaient en grande forme. Les anecdotes ont fusé allégrement et Jim Reid, particulièrement disponible et loquace, s’est bien prêté au jeu et n’a pas manqué de nous éclairer sur l’époque de naissance de Darklands. Plus de 30 ans après la sortie de l’album, le discours de Jim est toujours aussi passionné et intransigeant et le bonhomme paraîtrait presque guéri de sa légendaire timidité. On retiendra cette anecdote de Jim, rappelant qu’à l’époque de l’enregistrement de Darklands, leur label avait tenté de leur imposer le bassiste de Tears For Fears qui s’était mis à slapper sans vergogne sur un de leurs titres, horrifiant les deux frères qui le firent virer fissa. On s’étonnera aussi du contraste entre la radicalité esthétique revendiquée par les frères Reid et leur ambition assumée de devenir, selon les mots de Jim, « un groupe comme les Beatles et les Rolling Stones », déclarant son incompréhension pour ces groupes « qui se réjouissent de ne jouer que pour douze de leurs potes ». Avec des disques comme Psychocandy et Darklands, l’idée était bien dès le début de rentrer pour toujours dans l’histoire de la pop. Pari gagné.
Après une première partie assurée par les Écossais de Rev Magnetic, les Mary Chain se font attendre dans une certaine fébrilité. Les deux amplis Orange de William marqués d’un stencil « JESUS » sont installés à l’extrême droite de la scène, la lumière se tamise, les machines à fumée s’enclenchent, la scène prend la couleur bleue de la couverture de Darklands. Dans la salle, on peut entendre coup sur coup l’hypnotique Weissensee de Neu! et une version live du Rock and Roll du Velvet Underground, jusqu’à ce que William, suivi de Jim, Justin Welch (ex-Elastica et actuel Piroshka, batterie), Phil King (basse) et Scott Von Ryper à la guitare rythmique entrent sur scène. Jim, qui n’a guère changé malgré le passage des années, porte un pantalon et une veste sombre. Son frère, comme l’a remarqué leur ancien bassiste John Moore dans une interview récente pour The Guardian, ressemble aujourd’hui à Pedro Almodovar, mais avec la coupe de cheveux de Buzz Osborne des Melvins et des lunettes à grosses montures noires qui lui donnent des allures de savant fou échappé de son laboratoire.
Alors qu’en festival, le groupe entier occupe habituellement le devant de la scène, les musiciens, ce soir, sont disposés légèrement en retrait, de part et d’autre de la batterie, tandis que Jim se tient seul, très proche du public. On s’étonne de cette configuration quand on connaît la timidité maladive de Jim et sa terreur de la scène, dont il a maintes fois expliqué qu’elles ont jadis été les raisons principales de sa consommation d’alcool et de cocaïne avant de se produire en live. On se souviendra aussi qu’au tout début de l’histoire du groupe, Jim ne voulait absolument pas chanter, pas plus que son frère, et qu’il sera finalement devenu frontman par accident. Le hasard fait parfois bien les choses. Jim salue le public et annonce que le groupe va jouer l’intégralité de Darklands, puis qu’ils feront un autre set composé de titres extraits de leurs différents albums et singles.
Le concert commence en douceur avec Darklands, chantée sur l’album par William mais qu’on prend aussi plaisir à voir interprétée par un Jim aussi appliqué qu’habité. Même intensité pour Deep One Perfect Morning, chanson rarement entendue en live, ce qui la rend d’autant plus savoureuse. Vient ensuite l’immense Happy When It Rains, très bien jouée même si on aurait aimé davantage de puissance sonore, plus de basse et surtout plus de guitares. Le fait de jouer intégralement un album enlève bien sûr l’effet de surprise de l’enchaînement des titres, mais comment ne pas s’enthousiasmer pour un monument comme April Skies ou pour la superbe Cherry Came Too, que j’aurais pensé ne jamais voir un jour jouée sur scène et sur laquelle William exécute à la perfection l’un des plus beaux solos de guitare de l’histoire de la pop, avec cette économie de moyens qui laisse la musicalité l’emporter sur la surenchère technique. Mais les titres de Darklands qui m’auront le plus touché dans ce concert auront été les plus lents. J’ai notamment trouvé magistrale la réinterprétation de On The Wall, au rythme synthétique lancé par Brian Young depuis un pad, qui apporte une dimension encore plus hypnotique. Encore une fois, on a plaisir à entendre Jim chanter avec une intensité toute particulière ce titre que William avait originellement interprété sur la version album. Il faut aussi saluer le travail impeccable sur les lumières, qui contribue beaucoup à la création d’une atmosphère particulière, en parfait accord avec la musique. En guise de fin de ce premier set, on aura eu la joie d’avoir pu entendre la bouleversante About You, jouée dans les conditions similaires à celles du disque, avec Scott Von Ryper à la guitare acoustique.
On peut remercier les frères Reid d’être restés au plus près du disque originel et de de ne pas nous avoir fait subir l’expérience que Jim Reid avait vécu lors d’un concert de Lou Reed à New York, où le père de Transformer s’était fait une joie de massacrer ses propres chansons dans des versions affreuses pour le seul plaisir de faire chier son public.
Ce premier set nous a donc livré ses moments de grâce. Mais la deuxième partie du concert va se révéler exceptionnelle, pour ne pas dire fabuleuse, tant les Mary Chain vont régaler le public de titres rarement joués, piochant allégrement dans les faces B les plus inattendues.
La deuxième partie du concert est proprement folle, avec, alignés à la suite et dès le départ, des morceaux mirifiques comme Happy Place, Everything’s Alright When You’re Down, et l’immense Taste of Cindy. Tout se passe comme si, après l’exercice imposé de l’interprétation de Darklands, le groupe s’était mis à l’aise et n’hésitait désormais plus à lâcher toute l’énergie contenue auparavant. On jubile d’être physiquement transpercés par la fuzz de William, qui a enfin poussé les potards de sa pédale Shin Ei au maximum. Le public s’excite et des gamins présents dans la salle déclenchent même un pogo. On ne boudera pas non plus notre plaisir à l’écoute de Gold Help Me, très beau titre jadis chanté par Shane McGowan, alors invité sur Stoned and Dethroned. Mention spéciale aussi pour une version revisitée de façon particulièrement heureuse de Up Too High, qui comptera comme un des grands moments du concert. On a même droit à Moe Tucker, que Linda Reid (la sœur de Jim et William) avait interprété sur l’album Munki, et à l’excellente Come On, un des titres-phares de Stoned and Dethroned. Le set se termine en véritable apothéose avec cet attentat sonique qu’est Kill Surf City, finissant d’emporter l’enthousiasme du public.
La salle en redemande et les Mary Chain reviennent nous offrir l’immense Just Like Honey, accompagnés d’Audrey Bizouerne, la chanteuse des Rev Magnetic. Et, comme si nous n’avions pas déjà été assez gâtés, le concert se termine en incendie avec l’abrasive et jubilatoire Never Understand, un de leur titres les plus punk.
On peine à croire que vingt-deux (!!!) titres ont été joués ce soir, tant le temps semble être passé à la vitesse de l’éclair. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les frères Reid ne se sont pas payés la tête de leurs fans avec une setlist aussi impressionnante, nous faisant prendre conscience du nombre de tubes compris dans leur catalogue. Quand on pense à toutes les chansons prodigieuses qu’ils n’ont pas jouées (Some Candy Talking, You Trip Me Up, The Hardest Walk, Cracking Up, Halfway to Crazy, Between Planets, Head On, Sometimes Always, Reverence, Girlfriend, Psychocandy, Upside Down, Don’t Ever Change etc,. sans compter les bons titres de leur dernier album), on est pris de vertige.
Les frères Reid avaient initialement prévu de sortir un nouvel album en 2021 mais le Covid en a décidé autrement. Rendez-vous l’an prochain pour un nouvel album et une nouvelle tournée ?
je n’ai vu qu’une fois en concert le groupe c’étais le 14 decembre 1989 à Cologne,en Germany pour la tournée de l’album AUTOMATIC , j’avais 17 ans en 1989 , j’en garde un bon souvenir et mes oreilles aussi ,ce fut un magma sonores ,sa jouer tres fort