J’ai eu l’amour des correspondances. Très tôt. Par lettres, par papier et par encre. Puis le numérique m’a offert une ligne d’horizon adorable. Tellement… presque trop. Parfois, je voudrais voir ressurgir certaines de mes correspondances : Audrey, Thierry, Julia, Emma ou Alexandra. D’autres, je voudrais les faire disparaitre, les voir mourir sous mes yeux – définitivement. Mais les réseaux sociaux sont des caisses enregistreuses et des coffres-forts impeccablement verrouillés. Mon orgueil serait celui de Kafka – mettre tout dans le feu et ne plus y penser.
J’aime Lili Brik et Maïakovski, Camus et Casarès, Paul Celan et Ingeborg Bachmann. Je hais Henry Miller et Anaïs Nin – les pleureuses éternelles – Morand et Chardonne – les vieux messieurs aigris et médiocres. Bref, liaison dangereuse qu’aimer la correspondance. Et ma liaison de cœur – c’est dire adieu. Tourner la page, pour toujours. Et quel bonheur de penser que, début avril, dans un amas de fragrances de pollen, Talitres va rééditer un retour et me donner tort. A Life Full of Farewells. On parle souvent de Peter Milton Walsh dans ces pages ; mais on en parle jamais assez. Ce disque de The Apartments est une splendeur, à la fois lumineux, gai. Il est aussi, marbré de chagrins et illuminé de détresse. Cet album m’a souvent sauvé la vie lorsque je plongeais, tête la première, dans des catastrophes sentimentales. Une bravoure. Bravoure, aussi, que de se rendre dans le désert des Mojaves, dans cet horizon sec, ocre et magistral. C’est le panorama du livre posthume de Simeon Wade, ouvrage dialectique où l’on revit la rhétorique de Michel Foucault, livrée dans la Vallée de la Mort. C’est fou, libre et passionnant. Après ce périple, Foucault se mit à reprendre nombre de ses écrits. La route est immense sur le chemin du savoir et ce livre est beau, beau lorsqu’il retranscrit cet incroyable panorama. Je commençais ce billet par la correspondance. Et la plus belle, sans doutes, est celle de Paul Celan et Ingeborg Bachmann. Il faut revoir, alors, les lèvres pulpeuses et inoubliables d’Anja Plaschg prononcer les lettres de Bachmann et recevoir les réponses froides, décisives de Celan, plantées dans son regard. The Dreamed Ones (Die Geträumten) de Ruth Berckermann est un film documentaire où l’on voit de jeunes personnes lire une correspondance et être, peu à peu, envahies par ces lettres, ces voix – ces présences. L’écrit possède alors la vie, il la cisaille et la contourne. Il la rend, définitivement, plus belle.