De leurs débuts tonitruants dans les années 90 où ils brûlaient une effigie de Morrissey devant sa maison de disques – et devant les photographes des tabloïds anglais, à leur adoubement par le roi de l’Oasis, Noël Gallagher, en passant par le coup d’accélérateur donné à leur carrière par Fatboy Slim qui signait un remix de Brimful Of Asha, on pouvait aisément ne retenir qu’un énorme nuage de fumée épaisse, de la poudre de perlimpinpin pour un gogo indie (comme moi), des cônes d’encens pour touristes musicaux (comme moi). Cornershop, c’était et c’est évidemment beaucoup d’autres choses qui valent bien mieux que ce parcours en pointillé.
Car Cornershop est sans doute un des groupes les plus constants et inventifs de la pop anglaise, qui, dans un monde plus équilibré et moins fasciné par les longues plaintes de faux perdants (suivez mon regard hagard), aurait dû embrasser une reconnaissance affectueuse et totale aussi bien critique que publique. Vous me direz, il y a pire que leur situation finalement confortable d’éternels outsiders. Et leur dernier disque est ce petit coffre à bijoux, cette boîte de Quality Street de la publicité d’antan, remplie de bonbons de toutes formes, de tous parfums, de toutes couleurs… Et si la tarte à la crème serait de résumer la bande à Tjinder à leurs influences croisées indo-pakistanaises et britannique, il serait plus juste de les décrire comme une auberge espagnole ouverte aux quatre vents puissance 10000 : le bhangra certes, mais aussi la Jamaïque par le reggae, le dub, et le ska primitif à cuivres, la pop à guitares, la soul et le hip hop, la dance sous toute ses formes (disco surtout) et cette science subtile du novelty, toute british, qui adosse à des chansons simples et immédiates une bonne dose d’humour pince-sans-rire. Et Tjinder d’y ajouter des paroles au sens politique aiguisé : plutôt que vous raconter des cracks, plongez-vous dans ce fabuleux récit du Guardian.
Cornershop, c’est donc la fête des sens. D’un groupe aussi généreux et multi-pistes, il est aussi aisé de faire sien certaines de ses facettes au détriment d’autres : je serai plus porté vers les détails groovy, ces petits sons de caisse claire qui cognent la cadence, vers ces petites guitares rocky loureediennes (Cash Money), ses choeurs en apesanteur (Everywhere That Wog Army Roam), et ce chant en apparence monocorde du chanteur (Slingshot, réminiscence du lointain 7:20am Jullendar Shere, leur chef d’oeuvre), vers les fameuses Seventies anglaises chères à Lawrence revisitées à coup de flûtiau tourbillonnant de générique TV sur Highly Amplified)… Le magasin du coin de la rue reste ouvert, H24, il ne reste plus qu’à se servir, à piocher selon ses envies. Et l’Angleterre de redevenir le temps de leur album cet Eden incomparable, ce jardin accueillant et vivifiant, celui dans l’herbe de laquelle on aime (se) rouler.
England Is A Garden by Cornershop