Le 4 Avril 2019, le troisième (et dernier) album de Codeine fêtait le vingt-cinquième anniversaire de sa sortie dans une indifférence générale (merci Daniel Yeang pour la piqûre de rappel). C’était l’occasion de rassembler quelques souvenirs et d’évoquer la lenteur d’une musique dont la beauté reste à couper le souffle.
Après quelques mots sur Codeine, relisez en fin d’article l’interview intégrale réalisée pour Magic Mushroom n°9, au printemps 1994, accompagnée d’une playlist dédiée au groupe ici.
C’était un mois de janvier. En 1994. J’avais interviewé le groupe l’été précédent, Place des Vosges, à Paris, au moment de la sortie de son deuxième album. Le magazine m’avait accordé un petit encadré. Et puis, voilà. Une putain d’intro à la basse. Un truc élastique qui vous métamorphose en petit pois sauteur ou un truc dans ce gout-là. Le morceau s’intitulait Cannonball et avait pris d’assaut les ondes nationales. Alors, il fallait rattraper l’affaire. Ça tombait bien, les Breeders étaient en studio pour enregistrer un single inédit. On m’a donc envoyé à New York. Et c’était ma première fois. Et j’imagine que j’ai été comme tout le monde la première fois. « Bon sang, mais c’est comme dans les films ». Les taxis jaunes, Manhattan qui se découpe sur l’horizon en arrivant de Kennedy Airport, la fumée qui s’échappe des trottoirs, les sirènes la nuit dans la rue, un café servi dans un gobelet EN CARTON. J’étais accompagné par la regrettée Pat Bellis, l’attachée de presse de Labels, qui avait quelques anecdotes raconter vu qu’elle avait bossé pour les Smiths chez Rough Trade. Sur place, on retrouvait Dennis Morris, une autre légende, ex-chanteur de Basement 5 et ler photographe qui a immortalisé en premier Bob Marley sur le sol anglais et suivi les exactions originelles des Pistols. Il habitait alors Paris mais était venu plus tôt pour shooter (dans à peu près tous les sens du terme, j’imagine) Primal Scream.
Aujourd’hui, je peux l’avouer. Les Breeders, je m’en fichais un peu. Même si elles m’ont permis d’emprunter une route enneigée jusqu’à Woodstock en… Limousine. Même si on a attendu dans un studio toute l’après-midi et que Dennis Morris avait tellement fumé d’herbe qu’il n’a pris que des photos floues – il a même fini par oublier tout son matériel dans la Limousine au retour… En fait, j’avais réussi à caler pendant le séjour une rencontre avec Codeine – Codeine et Breeders partageaient alors le même label en France. Le lendemain du fiasco de Woodstock (j’avais obtenu 20 minutes d’une interview assez nulle, pendant laquelle Jo Wiggs avait passé tout son temps à rouler des pelles à son amie Kate Schellenbach), j’avais rendez-vous avec John Engle, le guitariste de Codeine. Le groupe, je l’avais découvert deux ans plus tôt, très exactement je pense entre les sorties de l’album Frigid Stars et du mini-LP Barely Real. Je suis à peu près sûr que c’est Daniel (un autre Daniel) qui m’en a parlé la première fois. Bien sûr, un peu snob, j’avais décidé que Codeine était bien supérieur à Slint (ce qui est bien sûr une évidence, mais pouvait quand même passer pour de la mauvaise foi à l’époque). Sur le premier album, tout était parfait – en particulier le titre, la première chanson D et le verso de la pochette. Sur Barely Real aussi. A côté de certaines de ces chansons, Atmosphere de Joy Division résonnait comme un hit de Boney M. Je ne suis pas sûr que j’avais entendu auparavant des morceaux aussi lents, d’une lenteur à couper le souffle. Des morceaux aussi beaux aussi, dans lesquels tout avait son importance (en particulier les erreurs et les accidents).
On avait récupéré au fanzine Magic Mushroom le CD de The White Birch à la toute fin de l’année 1993. Et vous savez quoi ? Tout était parfait, en particulier le gris de la pochette dont j’avais décidé qu’il était un hommage à celui de la pochette de Still de Joy Division. Et puis, il y avait les premiers mots de Kitchen Light : « first a kiss then a fall » (moi, il ne m’en faut pas plus que ça pour tomber amoureux d’un disque). Quand j’ai su que je partais à New York en janvier, j’avais donc demandé la possibilité d’une entrevue. Je ne sais plus trop par quel miracle, ça avait pu se faire. Ou plutôt, on m’avait donné un numéro de téléphone – je crois que je ne savais même pas qu’il s’agissait de celui de John Engle. J’avais appelé un matin, une femme avait répondu (je compris ensuite qu’il s’agissait de la femme qui pose avec John sur le remake de la pochette d’Un Homme Et Une Femme pour le single avec Bastro — Codeine y signait une douloureuse reprise d’À L’Ombre De Nous de Pierre Barouh – j’ai envie de chialer à chaque fois que je l’écoute). Elle m’avait passé John, donc. Le rendez-vous avait été fixé pas très loin de mon hôtel – j’y étais allé à pied – en fin d’après-midi, dans une sorte de restaurant – je me demande en fait s’il ne s’agissait pas d’un autre hôtel. On s’était assis et il avait commandé un hamburger – il n’avait pas un sou et crevait la dalle, c’est moi qui ai payé. On a bien discuté pendant une heure. Sans doute plus. On a parlé de la difficulté d’être batteur pour Codeine – on aurait pu aussi parler du fait que Chris Brokaw avait d’autres aspirations et qu’il était surtout parti pour cela —, de Sub Pop, d’Everett True, le journaliste anglais qui a signé au sujet de Codeine l’un de mes articles favoris de tous les temps – cela commençait par l’idée de déséquilibre qu’entrainait le fait d’être un trio (j’avais essayé de piquer cette idée pour la première biographie que j’ai écrite pour Spring, mais c’était bien sûr nettement moins brillant) –, de la timidité du leader Steve Immerwahr, d’Harry Nilsson (le groupe avait commencé en jouant une reprise de Without You). Je me souviens très bien du moment où John m’a dit que l’idée originelle « c’était de sonner comme Dusty Springfield repris par Jesus And Mary Chain ». J’avais failli tomber de mon siège. On s’était quitté en se serrant la main. J’ai ensuite publié l’interview dans un numéro de Magic Mushroom – celui avec le citron en couverture, je crois. J’avais dû égratigner Les Inrocks parce qu’ils avaient dit du mal de The White Birch. Et puis, au mois de mai, à l’Arapaho, à Paris, j’ai revu John. Codeine y jouait un concert. Un concert parfait. Juste après, nous avions échangé quelques mots au stand t-shirts — pour me remercier du hamburger, il m’en a offert un (il me semble qu’il y a un chat dessus), qui, comme tous mes autres t-shirts, est aujourd’hui dans un des cartons empilés au garage. Les disques de Codeine, eux, ne sont pas dans des cartons, ni les trois albums, encore moins les 45 tours. Je n’ai pas acheté le somptueux coffret publié en 2012 (déjà), « When I See The Sun » (c’est la phrase qui débute Pea, une des pierres angulaires de Frigid Stars, chanson que Diabologum a d’ailleurs reprise et qui m’a permis de découvrir l’importance d’un silence en musique). Il compile à peu près tout ce que le groupe a enregistré : albums, singles, faces B, démos, Peel sessions etc. Il m’a fait de l’œil lors de mon dernier séjour parisien, accroché qu’il était au mur de la boutique Pop Culture, rue Keller. J’ai hésité. Et pourtant, je sais qu’il ne faut jamais hésiter. Car je finis toujours par le regretter.
Pour compléter le tableau, l’interview réalisée pour Magic Mushroom n°9, printemps 1994.
Ils utilisent des larmes plutôt que des notes et viennent de New York. Jamais, de mémoire d’érudit, nous n’avions écouté une musique si lente et touchante. Avec The White Birch, Steve Immerwahr, John Engle et le nouvel arrivant, Doug Scharin poussent encore un peu plus loin leur formule magique dévoilée sur Frigid Stars et Barely Real : silences et apartés, bruit lent et mélodieux, chant poli et touchant. First a kiss, then A fall…
Cure for pain
John Engle : J’ai rencontré Steve pour la première fois en 1987. Il allait à Oberlin, la même fan que mon frère. Il habitait chez nous, il avait une chambre chez mes parents. Lorsqu’il a vu que je possédais un magnéto quatre pistes, il a tout de suite voulu enregistrer quelque chose. Je crois qu’il était dans une période assez difficile sur le plan sentimental, sa petite amie venait de le quitter. Il m’a demandé si je connaissais cette chanson d’Harry Nilsson, I Can’t Live If Living Is Without You. Nous nous sommes enfermés dans la chambre de mon frère et nous avons enregistré une version de près de neuf minutes, très lente. Pour la batterie, nous avons utilisé ce que nous pouvions, nous tapions sur les murs. Le lendemain matin, il y avait un mot des voisins dans notre boîte aux lettres : « S’il vous plaît, pourriez-vous éviter de reprendre du Harry Nilsson? » Nous n’avons plus rien fait pendant quelques temps. Ensuite, Steve a trouvé un travail dans un studio 24 pistes. Nous avons alors profité pour enregistrer deux, trois trucs. Mais nous n’étions pas encore un vrai groupe.
Comment avez-vous franchi le pas?
Dans des circonstances assez rocambolesques ! Bitch Magnet devait donner un concert à Boston, au mois d’août 88. Sooyoung, qui était également à Oberlin, avait sympathisé avec Steve qui n’arrêtait pas de lui parler de ce que nous avions enregistré. Sooyoung a dû croire que le groupe existait réellement et lui a proposé de venir jouer en première partie. Je n’avais pas parlé à Steve depuis un moment lorsqu’il m’a appelé : « Ecoute, John, j’ai une idée fantastique, Nous allons vraiment former un groupe, nous allons jouer très, très lentement. Nous pouvons déjà jouer sur scène à Boston ! Qu’en penses-tu ? » A vrai dire, je n’en pensais pas grand chose… (sourire). Mais Steve tenait absolument à son idée. Et quand Steve tient à quelque chose, tu ne peux plus t’en sortir… Chris Brokaw était originaire de Boston, mais étudiait lui aussi à Oberlin. Il est devenu notre batteur. Nous avons donc joué puis nous avons disparu ! Steve est parti en tournée en Europe avec Bitch Magnet pour faire leur son sur scène. Ils n’avaient pas assez d’argent pour le payer, aussi, en contre partie, il leur a juste demandé de citer le nom de Codeine lors des interviews.
Et cela a porté ses fruits…
Reinhardt de Glitterhouse est tombé sur un de ces articles. Il a appelé Jon de Bitch Magnet pour savoir si les fameux Codeine étaient encore sous contrat ! Il est entré en contact avec nous, nous a demandé si nous pouvions lui envoyer une cassette. C’était huit mois après le concert de Boston, la seule chose que nous avions faite alors sous le nom de Codeine ! Nous lui avions donné ce que nous avions enregistré en 24 pistes. Il a aimé, a décidé d’inclure le morceau Castle sur les Endangered Species sortis en été 89 et nous a même donné 500 dollars ! Ensuite, nous avons fait une première version de Pea avec Bitch Magnet pour la face B de leur single Valmead sur Communion. Puis, nous avons enregistré avec Mike McMackin sur un 8 pistes dans son sous-sol les quatre chansons qui allaient devenir la première face de Frigid Stars. Reinhardt nous en a demandé quatre de plus pour pouvoir sortir un album…
Penses-tu que Glitterhouse et Sub Pop soient les meilleurs labels pour promouvoir la musique de Codeine ?
Tu sais, lorsque Glitterhouse s’est manifesté, nous avons juste trouvé ça cool. Nous ne connaissions pas d’autres labels européens ! Nous nous sommes retrouvés sur Sub Pop grâce aux connections avec Glitterhouse. Frigid Stars devait sortir chez ces derniers à l’origine. Reinhardt en a envoyé quelques exemplaires à Bruce et Jonathan. Je crois qu’ils sont restés assez dubitatifs au départ. Et puis, ils ont adoré la pochette du single Pick-Up Song. Ils étaient prêts à sortir l’album mais pensaient très sérieusement qu’il fallait rajouter quelques guitares… grunge. Je leur ai répondu que je n’en voyais pas l’utilité. Mais ils insistaient, ils voulaient nous renvoyer en studio avec Jack Endino. A l’époque, je ne savais même pas qui c’était. J’étais persuadé qu’il s’agissait de deux types, Jack et Dino ! J’ai commencé à m’énerver : « Non, nous n’irons pas en studio avec vos deux branleurs ! » Après cet épisode, Bruce et Jonathan sont passé une dizaine de jours à écouter le disque et ont fini par craquer. Ils avaient déjà passé trois années à écouter Touch Me, I’m Sick, ils cherchaient une autre direction, avant même que le grunge explose au niveau médiatique ! Ils furent les seuls, avec Glitterhouse, à montrer un quelconque intérêt à ce que nous faisions ! Lorsque nous avons signé sur Sub Pop, nous avons eu pas mal de publicité : nous n’étions pas du Nord-Ouest et Steve n’avait pas de cheveux longs… Ils nous traitent bien et prennent soin de nous. Et puis, jamais personne ne nous a fait d’autres propositions. (Rires.)
Après une année 1990 bien remplie (deux singles et un album), vous n’avez sorti qu’un split 45 en 1991. Que s’est-il passé ?
Je crois que nous sommes un groupe paresseux ! Non, en fait, après ses études, Chris est reparti vivre à Boston. Steve travaillait à plein temps et il avait du mal à se libérer. Nous ne pouvions pas nous voir très souvent. Et puis nous avions parfois dus difficultés à écrire de nouveaux morceaux… Cela peut nous prendre beaucoup de temps. A l’été 92, par exemple, nous avons essayé d’enregistrer un nouvel album, mais nous n’étions pas contents de notre travail, de nos compositions. C’est pour cela que nous n’avons sorti qu’un mini LP, Barely Real…
Juste après la sortie de ce disque, Chris vous a quittés…
En fait, il jouait déjà avec Thalia (Zedek, ex-Live Skull et Uzi) lorsque nous avons commencé sérieusement Codeine. Mais Come, leur groupe, a mis plus de temps à se mettre en place. Puis est arrivé un moment où il ne pouvait plus mener des deux de front. A partir de l’été 92, il pensait de plus en plus à Come. Il préférait s’investir dans un projet où il pouvait écrire des morceaux et jouer de la guitare. Parfois, les batteurs ne font que recevoir des ordres, leur rôle n’est pas toujours valorisant. Son choix est compréhensible.
Tu parlais de difficultés pour composer. Est-ce pour cela que vous êtes souvent amenés à faire des reprises ?
Dans un certain sens… Je n’aime pas particulièrement en faire… New Year’s sur Frigid Stars est un morceau de Sooyoung. Il l’avait enregistré sur mon quatre pistes. Nous l’avons choisi parce que c’était une excellente chanson. Mais c’est vrai que nous n’avions plus de compo pour compléter l’album ! Nous avons tout fait pour qu’elle sonne comme du Codeine ! Il l’a ensuite enregistré pour le premier LP de Seam, j’adore leur version. Promise Of Love est un morceau d’un groupe américain de la fin des années 70, MX 80 Sound. Je crois que nous sommes restés très proche de l’originale. Elle ressemblait un peu à ce que nous faisions mais avec un côté jazz. L’atmosphère qu’elle dégageait collait parfaitement avec ce que nous voulions rendre dans Barely Real…
Pourquoi avoir choisi de reprendre A L’Ombre De Nous sur le single avec Bastro?
Un Homme Et Une Femme est l’un des films préférés de Steve. Il mourrait d’envie de reprendre cette chanson. J’aime bien le fait qu’il chante en français avec un accent allemand mais je crois que notre version est très maladroite. Ce 45 tours était destiné au marché européen. Nous avons fait ce plagiat de la pochette pour attirer l’attention du public. En fait, c’est moi et ma copine que tu peux voir en train de s’embrasser ! Mais nous avons réalisé après coup que cette pochette était celle de la version américaine, complètement différente de l’européenne ! (Rires)
Toutes vos compositions sont signées Codeine : travaillez-vous vraiment de façon démocratique?
Je ne pense pas que démocratie soit le terme approprié… Je parlerais plutôt de dictature avec permission de poser quelques questions ! (Rires) Non, j’exagère. Steve écrit tous les textes et compose presque toutes les musiques. Nous partons toujours de ses idées. En fait, il enregistre tout sur un 4-pistes et nous discutons des arrangements. Nous cherchons toujours à nous diriger vers la simplicité, à éviter les excès dont nous n’avons pas besoin. Chacun apporte son grain de sel, même si à la base, toutes les chansons restent de Steve.
W sur Barely Real est un morceau un peu à part…
En fait, c’est une interprétation de David Grubbs (ex-Bastro, aujourd’hui Gastr Del Sol) d’un de nos morceaux, Wired, qui se trouve sur notre nouvel album. David joue très bien du piano, il est très agréable à écouter. Nous avons composé ce titre en été 1992, et nous avons pensé lui envoyer, juste pour voir ce qu’il pourrait faire. Bien évidemment, il a tout modifié : la musique entrait par con oreille gauche et sortait par la droite complètement déformée par sa vision. Nous avons adoré le résultat, aussi avons-nous décidé de l’inclure sur Barely Real. Je pense qu’il permet à ce disque de prendre une autre dimension : son ambiance est complètement différente et surprend. J’aimais bien cette idée de donner l’avant-goût d’une prochaine chanson de Codeine…
Vous considérez-vous comme un groupe de rock ?
Le rock est vraiment un ensemble très large, qui englobe énormément de styles. Des gens nous écrivent pour nous dire à quel point ils aiment vraiment ce que nous faisons : « Vous n’êtes pas comme Nirvana, mais j’aime bien vos chansons quand même ». (Rires) Certains penses que nous ne faisons pas de rock. Pourtant, nous sommes influencés par des groupes de rock…
Votre nouvel album, The White Birch, semble encore plus lent que ses prédécesseurs…
Oui, je crois que c’est le disque le plus lent que nous ayons réalisé à ce jour ! Je n’ai plus de matériel hi-fi chez moi, aussi je n’ai pas vraiment pu le réécouter attentivement. Mais lorsque je l’ai entendu dans un magasin de disques, c’est la première sensation qui lie soit venue à l’esprit… Je crois que certains morceaux sont vraiment excellents. J’adore Smoking Room en particulier. Il est toujours bien de terminer par un disque par une chanson un peu différente et celle-ci est parfaite pour achever un album.
Sur scène, vous avez cette réputation de jouer parfois plus lentement que sur disque…
Quand nous jouons, nous sommes complètement imprégnés mentalement pas notre musique. Je crois que nous sommes l’un des rares groupes à pouvoir ralentir un morceau quand l’inclination naturelle serait de les accélérer. En concert, nos chansons peuvent donner cette sensation d’un avion énorme qui décolle au ralenti. J’aime bien cette image…
Les tempos lents sont les plus difficiles à tenir pour un batteur. Ceci expliquerait-il également la présence d’un nouvel arrivant sur l’album, après Chris et Josh ?
Comme tu dois le savoir, Josh joue avec un groupe qui s’appelle Antietam et il était hors de question qu’il nous rejoigne définitivement. En fait, il est venu nous dépanner pour les concerts européens, et quelques concerts aux USA. D’ailleurs, après, nous avons même utilisé d’autres personnes pour certaines prestations. Nous avons passé huit mois é trouver le type adéquat. Nous avons du faire passer des auditions, et franchement, je ne souhaite cela à personne, même pas à mon pire ennemi. Comme tous les musiciens de New York, nous avons passé une petite annonce dans le Village Voice, juste pour voir qui pourrait bien y répondre : « Codeine cherche batteur. Il doit être un peu paumé, mais bien élevé ». J’ai eu un nombre incalculable de messages sur mon répondeur, tous les flippés du coin ont dû m’appeler : « Ok, vous cherchez un batteur, je suis votre homme… » Je les rappelais pour leur demander s’ils connaissaient notre musique, pour les prévenir de notre style bien particulier. Les gars s’en fichaient, tous me répondaient : « T’inquiète pas, coco, je peux jouer n’importe quoi : disco, funk, rock. Je maîtrise tout parfaitement. » Je raccrochais sans donner suite. Six personnes se sont présentées à une répète… Steve et moi commencions à jouer un de nos titres, et là, invariablement, c’était un désastre. Comme ils étaient à une audition, ils s’imaginaient qu’ils devaient nous épater. Nous les regardions, stupéfaits : « Tu sais, je ne pense pas que nous aimerions que tu fasses ça sur un de nos morceaux… » Et le type repartait avec ses baguettes sous le bras. Et puis, Doug s’est présenté. En fait, c’est un ami de Chris, il était présent à notre premier concert !
Lui n’a eu aucun problème pour jouer ce que vous lui demandiez ?
(Sourire) Nous agissions avec nos batteurs comme les sergents-formateurs des Marines. Quand tu entres là-dedans, ils te détruisent pour mieux te former ensuite. Nous avons effectivement dû expliquer à Doug ce que nous attendions de lui. Et maintenant, il est parfait : lent et régulier. D’ailleurs, je le soupçonne d’apprécier plus que nous la lenteur de nos morceaux ! (Sourire) Sur le nouvel album, Mike nous a demandé de jouer un titre, Washed Up, encore plus lentement. Lorsque nous l’avons réécouté, Steve et moi le trouvions presque trop lent. Un comble ! Mais Doug était enthousiaste, il nous a certifié que le tempo était parfait. L’élève est devenu plus fort que le maître…
Vous semblez, en particulier sur The White Birch, accorder beaucoup d’importance au silence.
Absolument ! Chaque fois que la chanson s’arrête, tu as ce silence qui s’impose, emplit l’espace. Le son d’une seule note de basse qui peu à peu s’estompe est essentiel. La place que nous laissons dans nos morceaux peut donner naissance à des éléments visuels… Il faut savoir s’immerger dans ces espaces. Sur Barely Real, W s’achève, suivi de ce long silence qui précède Promise Of Love, une chanson très élégante. J’adore cet enchaînement… Les impressions que peuvent offrir un disque dépendent alors de ton humeur, c’est primordial selon moi. Je crois qu’il est très important, dans les chansons, d’accorder une place au temps, de prêter attention à l’espace…
Jusqu’à présent, vous avez toujours enregistré avec Mike McMackin à la production…
Oui, même notre première maquette en 24 pistes ! Il peut comprendre notre musique. Le son de nos enregistrements est très important puisque notre instrumentation est très dépouillée… il parvient parfaitement à donner du relief à l’ensemble. Il va venir avec nous sur la tournée européenne en avril et en mai. Tu connais Greg Sage, le chanteur des Wipers ? Il nous a écrit il y a deux ans pour nous dire qu’il aimait vraiment ce que nous faisions. Je savais qui c’était mais quanta j’ai appris cela à Steve, il est devenu fou ! Il vit en Arizona aujourd’hui et veut produire quelques morceaux. Nous allons tenter l’expérience cet été… Cela peut être intéressant.
Vous semblez apporter une attention particulière à vos pochettes…
Oui, complètement. Je crois que celle de Frigid Stars était une excellente idée. Nous désirions une pochette qui soit immédiatement identifiable. Un disque t’offre différentes informations sonores et cet ensemble ne sera traduit que par une seule information visuelle. Il faut vraiment y penser soigneusement. A l’écoute d’un disque, j’ai toujours des images en tête et j’aime qu’elles renvoient à la pochette. Lorsque j’écoute Closer de Joy Division, je pense toujours à cet ensemble immaculé, lorsque j’écoute Grotesque de The Fall, je vois toujours ce visage complètement déformé.
La pochette du nouvel album est très austère…
En fait, le titre du disque nous a été inspiré par le nom d’un peinture que nous voulions utiliser. Steve avait vu dans un livre une reproduction de The White Birch, un tableau impressionnant. Aujourd’hui, il appartient à un riche collectionneur d’art du Michigan. Steve a écrit à son avocat : « Bonjour, notre nom est Codeine, nous sommes un groupe de rock mais nous n’encourageons l’utilisation d’aucune drogue illicite. Nous n’avons qu’un budget modeste, mais nous voudrions utiliser ce tableau. » La réponse ne s’est pas faite attendre, négative… Nous avons décidé de conserver le titre. Nous avons pensé alors à une pochette carbone, j’avais une idée très précise : des lettres placées en bas, très espacées. Steve a remarqué que le résultat risquait d’être trop similaire au Still de Joy Division. Aussi, nous avons rajouté une petite photo de bouleau blanc, que je suis allé prendre à Central Park. Je crois que cette pochette a un aspect un peu plus chaleureux que les précédentes, même si l’ensemble reste très… froid. Nous sommes toujours Codeine… (Sourire)
Tu parles souvent de Joy Division…
Il y a deux mois, je parlais avec un ami des chansons qui peuvent changer le cours d’une vie. La première fois que j’ai entendu Exercise I, j’ai immédiatement pensé que c’était bien plus qu’un simple chanson… Je suis très impressionné par Ian Curtis. Parfois, je regarde les photos, il est si jeune, si beau… Ses textes étaient extraordinaires. Ils étaient comme un poing tendu devant le visage de Dieu ! Ceux de Steve sont plus… communs. Heu non, pas communs. Steve est plus simple, il aime surtout évoquer la solitude du jeune homme dans sa chambre. De toute façon, Codeine est un groupe sur l’acceptation de la vie ordinaire.
Vos influences seraient-elles plutôt britanniques ?
Vers 87/88, Steve vouait une passion aux Jesus And Mary Chain ! La façon dont il écrit les morceaux est vraiment très simple. Nous utilisons des accords très pop. Steve adore les balades, il est très romantique. Il aime bien Frank Sinatra et vénère Dusty Springfield. Pour lui, je crois que c’est l’artiste ultime. Il m’a passé le virus… Sinon, même si cela ne s’entend pas je pense être le plus grand fan de The Fall qui puisse exister… Pour décrire ce que nous faisons, steve aime bien dire que nous sonnons comme Dusty Springfield repris par Jesus & Mary Chain.
On cite souvent le Spiderland de Slint lorsqu’on parle de Codeine…
(Sourire) En fait, Steve, ainsi que sa petite amie, sont très proches de David Grubbs et lui rendent souvent visite. Il habite à Louisville dans le Kentucky. Steve y était lorsque Slint enregistrait Spiderland. Il parlait souvent avec Brian et Britt. Il y a dans cet album une atmosphère, un esprit similaire au nôtre. Mais Spiderland est un peu plus complexe sur le plan musical. J’ai entendu dire que Slint venait de se reformer. Mais pour les avoir rencontrés et les connaître un peu, tu ne peux jamais savoir ce qui va arriver. Brian et Britt sont des personnes très introverties. Je crois que je suis plus sociable… (Sourire) Steve également… Mais lui ne peut être que Steve, il ne peut agir que comme Steve le ferait.
Que penses-tu des groupes comme Idaho, Red House Painters ou Hurl ?
Lorsque Frigid Stars est sorti, le chanteur des Red House Painters nous a envoyé une cassette et une lettre pour nous dire qu’il adorait notre musique. Au concert de San Francisco, il est venu parler avec Steve… Leurs chansons ne sont pas si mal, elles sont peut-être un peu plus organique que les nôtres. Lorsque nous avons joué au CBGB à l’automne dernier, il y avait un type d’Idaho qui assistait au sound check. Il était assis, nous nous demandions quelle chanson nous allons faire. Steve a proposé Tom, et le gars nous regardait les yeux écarquillés : « Oh oui, c’est une chanson extraordinaire ! » Je n’ai jamais vraiment écouté ce qu’ils faisaient. Tout le monde me dit qu’ils sonnent comme Codeine… Je ne sais pas si nous sommes à l’origine d’un mouvement quelconque mais je crois que nous avons encouragé des gens qui ne sont pas dans le trip guitar hero à commencer un groupe. Nous avons montré que l’on pouvait jouer sans hurler. Nous sommes peut-être en train de réaliser ce que le Velvet a réussi à l’époque : ils n’avaient pas beaucoup de fans, mais tous ceux qui les écoutaient avaient envie de former leur propre groupe…
Une réflexion sur « Codeine : The White Birch a 25 ans »