Codeine, Dessau (Numero Group)

Des chansons connues sur le bout des doigts, au fond du cœur et qu’on redécouvre pourtant d’une oreille neuve. Qu’est-ce que tu veux de plus ? Un miracle ? C’en est un, à son échelle. Celle d’un lit superposé que l’on a gravi plus d’une fois pour retrouver un confort à la fois cotonneux et exaltant, et la paix, surtout. Ça n’est pas grand-chose ce disque de Codeine mais ce pas grand-chose, c’est parfois l’impression tenace que les disques portent le sceau de la vérité, de l’histoire, d’une histoire infiniment plus grande que celle connue et que ceux qui l’ont fait. Et que celle-ci n’est pas tronquée, elle est juste autre, plus fragile souvent, mais tout aussi ensorceleuse. Redevenir, pour un moment, fan d’un orchestre dont tu n’étais pas déjà le moindre thuriféraire. Qu’est-ce que tu veux de plus ? Une histoire, peut-être ?

La voilà. À l’issue de la parution de Frigid Stars (Sub Pop, 1991), le groupe originel rentre en studio pour enregistrer la suite. Mais rien ne va, rien ne va dans la vie de Stephen Immerwahr, qui en conséquence entend des bruits étranges en studio. [Insérer blague lourde sur Martin Hannett et Stephen Morris, voire l’extrait du film]. Peut-être juste le déclenchement d’un enregistrement sur bande. Ne pas, ne plus pouvoir. Je connais ce sentiment de solitude et d’isolement où la plupart des bruits deviennent insupportables, c’est la fatigue et la tristesse, et la colère qui en résulte, en un mot, la dépression, ne cherchez pas plus loin. Alors, à tort ou à raison, il fait en sorte que ce disque passe à la trappe. Et le reste jusqu’à aujourd’hui. Tant mieux.

Tant mieux parce qu’une fois l’intégrale scellée par Numero Group (rien que les frais de port en dollars m’ont valu également une assez belle dépression — et j’attends toujours le ticheurte avec le chaton) nous pensions que la stèle de Codeine ne bougerait plus. Que l’immensité du groupe était figée dans une sorte de glacis encyclopédique (pas vilain, certes) mais définitif. Et je pensais avoir à peu près dit tout ce qui importe sur le sujet.

Alors que là, réouverture du dossier, fraternité retrouvée avec les rares dévots encore de ce monde, alerte sécurité probante, Jurassic World, le monde d’après, l’humour en moins, la charge émotionnelle en plus, (je l’ai vu ce film, c’est atroce mais ça n’est pas si nul parfois), enfin une pas trop mauvaise affaire, en somme. On dépasse largement le cadre de l’artefact « for fans and completists only » et c’est loin d’être un chausse trappe comme porte d’entrée pour les autres. Amen.

Voilà ce qui, à un moment donné aurait dû être le deuxième album de Codeine. Le moment n’était pas le bon, et certes, nous ne rognerons pas sur le plaisir de la courte trajectoire connue, officielle de cette entité. Mais nous ne sommes toutefois pas loin d’être fâchés d’en faire l’admirable découverte aujourd’hui. Parce que la surprise d’être autant ému par ces versions supposément inférieures, non validées, laissées pour compte est proprement inouïe. Parce que bien au-delà des petites histoires évoquées ici et là, il y a aussi ce sentiment de réécouter les démos un peu nulles de ton premier groupe, tu as beau te dire que c’est totalement inabouti et que ça aurait pu être tellement mieux, c’est ce que tu étais à l’époque et ça n’en est pas moins, voire plus émouvant.

Et puis il y a cet intitulé, Dessau, d’après le nom du propriétaire du studio, Harold Dessau, à priori c’est seulement ça. Mais c’est aussi le nom d’une ville allemande où Kurt Weill à vu le jour, où le Bauhaus (le mouvement artistique pas le groupe glam metal anglais) a commencé, ainsi donc, bien d’autres histoires à raconter, à extrapoler, à coller fantasmatiquement sur ce rock américain austère et buté. Comme les pistes sur l’architecture tentées là-bas on peut désormais d’ailleurs parler de néo-classique. Et des brumes de la vallée de l’Elbe à celles de New York, via les méandres du Kentucky, il y a là aussi, bien des choses à creuser pour toujours.


Dessau par Codéïne est disponible chez Numero Group.

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