This could be the saddest dusk ever seen
You turn to a miracle high-alive
Michael Stipe
Peut-on écouter Vauxhall and I de Morrissey sous le franc soleil de juillet ? Et un Antônio Carlos Jobim empêtré dans un crachin de février, c’est toujours du Antônio Carlos Jobim ? Climats met en avant les sorties disques et livres selon la météo.
Une lointaine couverture nuageuse
Et là, une adolescente fume une mentholée et épingle ses haines en deux, trois rires. C’est un coin oublié de Marseille. Quelques platanes résistent aux pieds des blocs de ciment. En haut, c’est l’autoroute. Les buildings de verre veulent remplacer la terre battue et les caravanes. On lave, on éclaircie. On veut du minéral face à la mer. Je me souviens de la rue de la République. Avant les murs lavés, sablés. C’était gris comme une artère encrassée. Le deal se faisait entre des portes émiettées que poussaient des mamies taciturnes faisant fuir quinze gamins. Ces veilles provençales en noir qui soufflaient déjà avant de monter leur cent marches et dans les escaliers les parfums de poivrons et de javel prenaient à la gorge. Partout, le linge pendu, à la sauvette. Presque toujours à l’ombre et en face, le soleil brûlait les façades charbonnées par les pots d’échappements. J’ai connu cette rue de la République là, nocturne et misérable, vivante et sublime. L’épicerie Tunisienne, les petits comoriens coursant les pigeons crasseux et trainant le bitume. Les quelques putes réclamant en plein jour un peu de crack. C’est là que j’ai rencontré Tara et sa frange blonde. Ses lèvres gercées, ses bijoux égyptiens, son parfum de jasmin caché dans sa canadienne. Elle habitait loin, là où il y avait encore des champs, à Château-Gombert. Tara et ses yeux verts. Elle m’avait fait découvrir Pedro The Lion. Le nom ne m’inspirait pas à l’époque. J’ai mis un temps fou à écouter. Et pourtant, la mélancolie lumineuse de David Bazan allait ferrailler mes jours. Le groupe, cette semaine, sort Havasu. Un disque de mémoire où Bazan décrit son adolescence, raconte la vie familiale, ses doutes et autres diverses croyances. C’est une musique flirtant entre le silence et pas mal de tensions. C’est, ce quelque part audacieux, qui fait se rencontrer Death Cab For Cutie et Mark Hollis. Bazan partage avec Damien Jurado ce rapport mystique à la musique ; on appelle cela une vocation.
Soleil Capricieux
Tara avait le goût pour la musique et la lecture. Me voyant certainement arrogant – et surtout insupportable – elle me conseilla le premier roman d’un auteur techniquement prétentieux. Et ce galon d’essai se nomme Le Dossier Rachel. Je me souviens lire le roman de Martin Amis, en me marrant plus qu’il ne fallait, dans un bar où j’avais mes habitudes. Des habitudes qui se résumaient à faire semblant de lire un bouquin de philo imbitable et tomber amoureux de la serveuse. C’est dire si je me suis retrouvé dans la vanité pétaradante du personnage de Charles Highway. Et puis Rachel… bref, il est temps pour vous de (re)découvrir ce superbe roman.
Les petites aubes délicieuses
Dans l’appartement de Tara, il y avait un chien. Un grand chien marron et je n’aimais pas les chiens, il grognait dès que je voulais prendre un disque ou écraser ma clope maladroitement dans le cendrier. Le fameux sens du territoire. Dans la bibliothèque de mon amie, il y avait plein de choses que je prétendais connaître. J’y voyais surtout les rangées de mon inculture. Je me souviens particulièrement de cet alignement de petits bouquins à la tranche noire. Petite bibliothèque des cahiers du cinéma. Magie frontale, ensorcellement, je plongeais directement mes doigts fébriles entre les livres. J’y trouvais quoi? Les scénario de Rien sur Robert, l’ensemble des Contes de Rohmer, Esther Kahn et les textes de Serge Daney. Cela valait le coup de supporter l’odeur du chien. Dans ma vie de libraire, j’adore mettre en avant cette collection qui rencontre de moins en moins son public. Tout cela relève d’un passé fragile, un passé réconfortant aussi qui appelle mille petites aubes délicieuses.