Clara Mann, Rift (The state51 Conspiracy)

Clara MannLes grandes douleurs ne sont pas toujours muettes ; elles sont parfois chantées. Comme son titre l’indique, le premier album de Clara Mann s’apparente à l’exploration attentive des fissures et des béances : celles qui accompagnent la fin d’un amour ou encore celles qui l’ont précédé alors même qu’on feignait encore d’ignorer l’imminence du précipice. « It only hurts from when I wake to when I fade away. » l’entend-on chanter dès l’ouverture : le ton est donné et il n’est guère à la gaudriole. La chute laisse inévitablement des crevasses de souffrance et la jeune autrice britannique, déjà remarquée en première partie d’un concert parisien de Daniel Rossen il y a trois ans, s’emploie à remblayer ses chagrins avec une infinie douceur.

Clara Mann
Clara Mann / Photo : Louise Mason

De son enfance dans le Lot, Clara Mann semble avoir conservé quelques références francophiles puisqu’elle cite Brel et Piaf parmi ses influences. Formellement, il est pourtant difficile d’en déceler les traces, même résiduelles, dans ces chansons folk délicates, interprétées avec une sobriété et une retenue exemplaires. S’accompagnant seule à la guitare ou au piano, elle raconte la chasse aux fantômes sans rien surjouer des émotions qui l’accompagnent inévitablement. Comme dans les souvenirs, ce sont souvent les détails matériels qui demeurent les plus nets alors même que la succession précise des actions se dissipe déjà dans un halo confus. L’écriture se focalise souvent sur le décor et l’instant de manière très simple et très précise – la route, le soleil, quelques façades dans une banlieue – pour mieux suggérer ensuite ce qui a pu s’y dérouler. Les étapes essentielles qui permettent d’accéder, finalement, à la consolation – c’était déjà le titre d’un Ep introductif en 2021, comme quoi – sont esquissées en peu de notes, sans effets appuyés ni pathos. La voix et les instruments sont saisis au plus près du murmure : la prise de son – réalisée en partie dans les studios de 4AD –  capture parfois le bruissement des mots sur les lèvres ou l’effleurement des doigts sur les cordes de la guitare. C’est très délicat et très beau. Souvent, Clara Mann laisse sa propre voix résonner au second plan, en harmonie, comme pour se sentir moins seule en suscitant un tête à tête avec elle-même. Là encore, il suffit de peu pour amplifier l’émotion : il arrive qu’elle fredonne simplement, et le chuchotement du second chant devient semblable à des cordes – Reasons. Dans le registre pourtant exigeant et ultra-encombré du folk intimiste, elle se démarque ainsi brillamment. Et confirme au passage que les chansons les plus chères et les plus secrètes résonnent bien souvent avec une intensité inversement proportionnelle à celle des décibels.


Rift par Clara Mann est disponible chezThe state51 Conspiracy

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