Chère Madame Del Rey,
Comment allez-vous ?
Nous espérons que la douceur californienne vous a permis de savourer des fêtes de fin d’année plastiques, les auréoles californiennes de rigueur, plages et montagnes, océans et continents, autoroutes et voisinages à perte de vue, à perte de soi. Nous espérons aussi que l’accordeur a pu passer pour le piano, que la gazinière fonctionne de nouveau et que, malgré les événements, effusions et autres tempêtes qui ne manquent jamais d’animer la fin de décembre, vous avez pu vous asseoir un peu, chaque jour, pour coller de nouveaux mots à d’autres, de nouvelles mélodies à d’autres, cet art qui vous est unique, et que vous continuez de vouloir le partager avec le monde, les autres mondes que le vôtre, à la faveur d’éventuels albums.
Nous espérons surtout que vous ne prendrez pas ombrage au point d’une inutile remise en question du classement relativement modeste échu à votre dernière œuvre en date, Did You Know etc. dans le classement annuel des meilleurs disques de notre magazine en ligne de pop moderne. Nous aussi, nous avons sursauté à la découverte de votre dix-septième place. Nous vous attendions beaucoup plus haut. Et, de ce fait, nous nous excusons platement. Il semble que chaque rédacteur·ice ait voté en son âme et conscience, avec l’intimité du goût pour boussole, et que cette intimité, disons, vous ait échappé un peu cette fois-ci.
Si je me suis désigné pour vous écrire ce mot d’excuse, ce n’est pas en vertu d’une prétention exégétique vous concernant, mais parce que vous avez accompli l’exploit de faire tenir debout un album en trois chansons – dont la terminale A&W – malgré d’autres non-chansons avérées, des moments extrêmement déplaisants – romantisme noir ressassé, prêche de quatre minutes d’un pasteur pour stars, éléments de decorum – et d’autres qui passent le temps. Un exploit qui vous vaudrait une couronne éternelle dans le monde du sport, mais une maigre collection de sourcils levés dans le monde d’une rédaction dédiée, dévouée à la pop moderne, aux chansons et à leurs collections. Sans doute que les chansons n’ont finalement, intimement, rien à voir avec le sport, les exploits ou les performances. Pourtant, vous n’avez pas manqué de gratter vos pires plaies, vos blessures les plus vives devant les micros, et j’ai donné volontiers dans cette proposition, plus que d’autres, pour un moment, sans savoir pourtant si votre album fera partie de mes disques de chevet plus d’une saison – et le sel, le grain de sel, est là, dans cette conscience du temps que l’on a à donner à un disque, et du temps qu’un disque nous offre. Ce qui fait partie, sans doute, de ce que Did You Know etc. a à nous dire : cette histoire de pop est moderne sinon pérenne. Et les couches, les profondeurs mènent à des tunnels loin des métaphores, qui se contentent de traverser les épaisseurs poétiques.
Malgré tout, et toujours, et malgré le spectacle, nous vivons grâce à vous la traversée d’épaisseurs poétiques. Pour cela, et malgré le poids des persona et des performances, du fond du cœur, chère Mme Del Rey, nous vous remercions.
