Soupesons l’enthousiasme : depuis trois semaines qu’il est arrivé jusqu’ici – grâce à l’ami Zacharie, encore, qui a eu le mérite certain d’insister – Écoutez ! –, Saint-Guidon tourne en boucle. Matin et soir dans les transports, midi et après-midi quand les tâches le permettent, et dans toutes les rues de toutes les villes solitaires – au casque très fort. Un maître disque, une mesure ; bientôt, transmettre le même intense sentiment d’être vivant que le fait Charlène Darling sur les amas de 0 et de 1 qui agitent processeurs et donc écouteurs et donc synapses sera la nouvelle gageure.
Quand on inscrit, d’office on s’absente, sans exception. On parle depuis un lieu qui n’est pas là, qui est forcément ailleurs, et avant. Et celui qui lit, celui qui écoute s’émeut si la voix du livre ou du disque fait vibrer le tympan à la manière d’une bouche se tenant, respectueuse, tout près de l’oreille. Cas d’espèce, Saint-Guidon attrape sans peiner en deux écoutes appliquées, trois pour les cas difficiles, les mélomanes rétifs, avant de devenir chevet et lumière, avant de devenir ami. Par quel miracle ? Les chansons.
Les chansons ont toujours raison, certaines un peu plus que d’autres, celles-ci particulièrement. Il y a là tout un art à l’œuvre, paroles et musique, les premières responsables d’une avalanche de spectaculaires claques dans la figure que l’on pourrait lister – on renverra aux titres – La Peau bleutée – Les Sports imaginaires – Mon jeu préféré et son programme : “Plus que les caramels du Scrabble//Que le sexe effréné”. Plus que ça, que reste-t-il ?
Les questions fusent d’une piste à l’autre, observables avec un léger vertige, un tournis peut-être. Saint-Guidon concasse si bien la durée que sa fin appelle son début, que son écoute se fait en boucle nécessaire, que l’on ne consent à l’extinction du finale Every Night – seul titre en anglais, axe Breeders/Guided by Voices, l’école de l’Ohio en somme – que pour renaître immédiatement avec Les Pavillons blancs, ouverture parfaite en compagnie des parfaits Statonells – eux vivent à Marseille, une autre école – courez les voir si vous pouvez – ils jouent une mixture de maloya et de noise. Et les textes ainsi forment une somme retournée et permanente, un recueil d’écueils et de récifs, et ils (dés)ordonnent le grand jeu, la grande marmite. Entre le maloya et Akron ou Dayton, on traîne joyeusement des pieds dans les mélodies qui ici ne veulent plus changer de note, là s’obstinent sur un motif en ignorant la fin du refrain, partout jouent le drame ou la comédie, la surprise et l’attente. C’est finement écrit, souvent arpégé, incroyablement arrangé – les violons sur Des orties, les mauvaises graines de La Peau bleutée –, parfaitement mixé, foutraque-mais-pas-que à souhait, on se pince, c’est beau et c’est en 2019 ou 2020, une musique de maintenant et d’après. Une pop dont on rêve – un peu – qu’elle transperce d’autres goûts que les nôtres, car si elle mord, elle le fait en souriant. Les gens souvent aiment ça.
Le seul en-dedans de ce disque d’extérieur – En jean, qui a oublié la mélodie en route sans la remplacer – n’amoindrit pas son intelligence, le plaisir de sa rencontre, la durable satisfaction de sa fréquentation : on s’y fait quantité de souvenirs dont on sait qu’ils vont durer.