
Pas toujours évident de s’en sortir dans la foison de suggestions des classements de l’année. La meilleure façon de l’aborder est sans doute de laisser parler la musique, et d’être séduit par l’un ou l’autre des titres de cette playlist. On vous la livre ici comme un court résumé de ce qu’on a aimé cette année, en espérant suffisamment titiller votre curiosité. Bonne fin d’année et restez connectés.
Écoutez cette playlist sur votre plateforme favorite : YouTube, Deezer, Spotify.
NDLR : les playlists créées sur les plateformes ne comportent pas l’intégralité des titres de la sélection commentée ci-dessous.
1. Andrea Laszlo De Simone, La notte (42 Records / Ekleroshock Records)
Impossible de ne pas citer dans cette playlist l’artiste italien le plus sensible, le plus intemporel, celui qui touche la grâce du bout des notes à chaque morceau. Ici pas de désenchantement Antonionien, bien au contraire. La Notte brille bien jusqu’au bout… TS
2. Lael Neale, Tell Me How to Be Here (Sub Pop)
Lael Neale s’éloigne légèrement du lo-fi de ses enregistrements précédents. Les boucles de mellotron associés à une ligne de guitare simple et efficace nous plongent dans un univers brumeux et passionnant, comme elle seule arrive à en créer. DJ
3. Ellah A. Thaun, The Dollhouse (Flippin Freaks Records / Howlin Banana)
The Seminal Record of Ellah A. Thaun est (déjà) le troisième album d’un groupe unique chez nous (et sans doute un peu sous estimé) car sauvage, insubordonné, frondeur et finalement libre de s’exprimer dans absolument toutes les gammes de la musique rock, folk et électronique. Bonus qui flatte nos oreilles, dans ce titre, il semble y avoir un petit clin d’œil bienvenu à Stephin Merritt. TS
4. Jemima, Drag (All Night Flight Records)
On pense aux influences post-rock et avant-folk/lo-fi, Movietone, Palace ou encore Gastr del Sol constituent d’évidents points d’ancrage. Des titres comme What is it ou Coming Over nous projettent en terrain connu : boucles arythmiques et vacillantes, guitares éthérées et collages sonores bancals contribuent à une esthétique folk soustractiviste, qui n’est pas non plus sans rappeler les travaux hypnagogiques typiques de The Caretaker. (extrait de la chronique parue ici) VC
5. Dean Blunt, Elias Rønnenfelt et Vegyn, 2 (WORLD MUSIC)
Six (sans) titres d’abord dévoilés sur Youtube le 1er janvier puis balancés sur les plateformes. Il serait dommage de gâcher ces 16 minutes parfaites avec des mots ; allez écouter. CG
6. Joanne Robertson, Gown (AD 93)
Après une collaboration avec Dean Blunt l’an passé, la singulière compositrice anglaise Joanne Robertson a fait cette année son retour en solo avec Blurrr, un album rêveur et intime. La preuve avec Gown, en collaboration avec le violoncelliste Oliver Coates, où de lointains arpèges de guitares fusionnent avec des violoncelles pénétrants. EV
7. Alex G, Real Thing (RCA Records)
Au-delà des très bons singles de Headlights, il y a ce lumineux, extrêmement Elliott Smith-ien Real Thing, parmi d’autres titres que le temps nous fera apprécier (il a déjà fait son travail par ici). CG
8. Jeff Tweedy, Enough (dBpm Records)
Le leader de Wilco, icône de l’indie (et de Chicago), nous réconfortait cet automne avec son triple album, Twilight Override. C’est tout ce que l’on attendait de lui : près de deux heures de ballades à la guitare où sa voix si familière et ses textes priment et suffisent. Ce n’est pas plus compliqué que ça quand on s’appelle Tweedy. CG
9. Hand Habits, Wheel of Change (Fat Possum Records)
On l’attendait, ce nouveau Hand Habits en solo : Blue Reminder est un album de « love songs » selon les mots de Meg Duffy qui, dans un contexte où les communautés queer et transgenre sont particulièrement marginalisées au pays de Trump, tient à revendiquer son épanouissement, à la fois dans son corps et sa relation amoureuse. Un véritable hymne, avec des guitares à la Neil Young et un refrain qu’on a envie de crier en faisant des rondes sur soi-même. I need you now more than ever! CG
10. Wednesday, Elderberry Wine (Dead Oceans)
La reine du country rock a annoncé son nouvel album avec ce single, sur lequel on était heureux d’entendre (et de voir) MJ Lenderman, puisque lui et Karly Hartzman avaient récemment annoncé leur séparation, amoureuse et en partie musicale : Lenderman continuerait à enregistrer avec Wednesday mais ne les accompagnerait plus en tournée. Le clip montre le père de Karly en star d’un jour, conduisant au rade du coin, peuplé de ses (réels) habitués, pour prendre une bière servie par sa fille. La musique de Wednesday sera pour toujours imprégnée de ce quotidien en Caroline du Nord, dans ce genre de ville où tout le monde se connaît. CG
11. Robert Forster, Breakfast on the Train (Tapete Records)
Comment Robert Forster parvient-il à ne jamais perdre de son élégance ? Il y a toujours un moment où les grands – rappelons qu’il fut le chanteur des légendaires Go-Betweens – finissent par nous décevoir, en accumulant des titres sans saveur ou à la production douteuse. Pas lui. Sur Strawberries, son nouvel album, comme sur l’excellent The Candle and the Flame qui le précède, avec une instrumentation toujours impeccable, l’Australien continue de nous embarquer dans ses histoires avec sensibilité, et ce même quand les paroles sont classées « explicites », comme celles de cet appétissant Breakfast on the Train. CG
12. The Apartments, A Handful Of Tomorrow (Talitres)
Vous feuilletez un livre que vous n’avez pas lu depuis (sans doute trop) longtemps et c’est la révélation. En quelques mots, l’autrice dit tout – et mieux que personne (et surtout moi) – sur l’un de vos groupes de chevet… « Cette musique ressemblait parfois à de petits morceaux de cristal colorés et, quelquefois, c’était la chose la plus douce, la plus triste qu’on pût imaginer », écrit Carson McCullers dans Le cœur est un chasseur solitaire – qu’on se souvient avoir acheté pendant les années étudiantes après avoir lu une interview de Theo Hakola… Il n’y a rien à ajouter pour évoquer cette nouvelle chanson de Peter Milton Walsh, alias The Apartments. CB
13. Pulp, Got To Have Love (Rough Trade)
Spike Island, le premier extrait de More, présageait un album dansant, ce que vient confirmer Got To Have Love. Entre les violons très Pet Shop Boys, l’urgence toujours aussi présente dans la voix de Jarvis, le L.O.V.E. épelé en clin d’œil au passé, et la vidéo des danseurs du casino de Wigan, ce morceau justifie à lui seul les 24 ans d’attente. PR
14. The Charlatans, We are Love (BMG)
Toujours en quête de nouvelles collaborations, les Charlatans ont travaillé avec Dev Hynes (Blood Orange) et Stephen Street sur leur nouvel album. La collaboration avec ce dernier est plus que flagrante sur le très « Smithien » single We Are Love. DJ
15. Stereolab, Fed Up With Your Job (Warp Records / Duophonic UHF Disks)
Quelque part dans une cave, un Moog doit vieillir à la place de celui de Tim Gane, tant ce Fed Up With Your Job est d’une fraîcheur aussi totale qu’intemporelle. Bien que contemporain, comme en témoigne le succès de Stereolab auprès de la jeunesse, ce titre moderne aurait pu être écrit il y a 30 ans (ou plus). L’intégrité serait-elle le secret de la créativité éternelle ? PR
16. Horsegirl, Switch Over (Matador Records)
Après 2468 et Julie, Switch Over est le troisième extrait du troisième album du groupe de Chicago. Hypnotique et entraînant, il confirme le talent du groupe. PR
17. Lifeguard, Under Your Reach (Matador Records)
On vous a déjà largement parlé de Horsegirl, groupe emblématique de la jeune scène indie rock de Chicago. Lifeguard est l’un de ces noms qui gravitent autour, puisqu’en plus d’être, comme les susnommé.es, un trio d’ados de Chicago signé chez Matador, il est composé d’Isaac Lowenstein, frère de Penelope, de Horsegirl. Mais pour la faire courte, Lifeguard c’est Horsegirl en 2022 (leur premier album, le meilleur, on peut maintenant le dire) : c’est punk, noisy, et ça fait du bien. CG
18. Sharp Pins, Popafangout (Perennial Death Records)
Comment peut-on écrire et sonner comme en 1963 quand on est né après l’an 2000 ? Le prolifique Kai Slater publie son deuxième album de l’année – le troisième en comptant celui de Lifeguard, son projet en groupe –, et il devait avoir de quoi faire puisqu’il y a mis pas moins de 21 titres. Dans l’esprit des premiers Beatles, les décharges pop pleines d’énergies alternent avec les slows (les superbes Gonna Learn to Crawl ou Maria Don’t). CG
19. Nathan Roche, 35 (Celluloïd Records)
Qu’est devenu Nathan Roche, depuis qu’il est sorti des souterrains de Villejuif pour vagabonder entre la vallée de la Roya et l’Australie ? Entre film, bande-dessinée et stand-up, la source ne semble pas prête de tarir. Ce single montre un talent intact pour l’auto-dérision — en l’occurrence sur la trentaine difficile : « I’m thirty-five, barely alive » — dans un style lou-reedien, avec un petit jeu sur les codes du stadium rock. C’est marrant et bien fait, et ça rend curieux pour la suite. VH
20. Geese, Taxes (Partisan / Play It Again Sam)
Le groupe que j’ai préféré détester cette année mais que je ne peux ignorer, d’une part parce que les algorithmes de tous mes réseaux sont persuadés que j’en suis fan, et de l’autre, parce qu’il n’y a tout simplement pas de classement cette année sans Geese, et que le nôtre ne fait pas exception. CG
21. The New Eves, Rivers Run Red (Transgressive / Proper / Berthus)
Le quatuor de filles de Brighton part en croisade et porte en étendard une folk débridée, poétique et punk qui vibre sur les cordes sensibles et harmoniques des voix et du violoncelle. VB
Dans chaque morceau de ce premier album dément une chose en amène une autre, l’impression de refaire des allers-retours dans tout ce qui compte ou tout ce qui a pu compter, des Dead Kennedys à Bob Dylan en passant par Royal Trux, X-Ray Spex, Patti Smith, The Smiths ou Diabologum. Oui, elles font ça, ici et maintenant, dans l’Angleterre perave telle qu’elle est et ça n’est pas voué à rester dans la confidence. EG
22. Black Country, New Road, Besties (Ninja Tune)
Je me suis demandée pourquoi j’aimais tant le nouveau BCNR alors que j’avais toujours été tant réfractaire au son de ce que je considérais n’être qu’une fanfare dispersée de jeunes Londoniens. J’ai appris qu’Isaac Wood, le chanteur principal, avait quitté le groupe, laissant le trio Tyler Hyde – Georgia Ellery – May Kershaw assurer le chant et la plupart du travail de composition. A propos du nouvel album, Ellery explique : « C’est très différent de Ants From Up There [le précédent album, paru en 2022] en raison de la perspective féminine – et la musique que nous avons créée va aussi en ce sens ». Cela n’a en effet plus rien à voir : à la fois folklorique et sensible, baroque et lumineux, Forever Howlong est empli de douceur et de beauté, et c’est la plus belle surprise de l’année. CG
23. caroline feat. Caroline Polachek, Tell me I never knew that (Rough Trade Records)
Après le sublime caroline paru en 2022, le groupe du même nom annonçait plus tôt cette année caroline 2. En écrivant les premières lignes de ce deuxième single, les Londoniens auraient pensé, comme une blague et sans jamais y croire : « Cela sonne comme une mélodie que Caroline Polachek pourrait chanter ». Un an plus tard, la chanson à moitié finie envoyée, l’intéressée disait « oui ». CG
24. Ethel Cain, Punish (autoproduction)
Sans doute le titre accessible de ce terrifiant nouvel album d’Ethel Cain. Et c’est dire. Perverts est sans doute le plus sombre et expérimental de la carrière de l’américaine, où dark ambient et drone sont le mode d’expression de ses traumas familiaux. TS
25. Blood Orange, Mind Loaded (RCA Records)
Mélancolie quand tu nous tiens. Pour son retour et après six ans d’absence, l’Essex boy Dev Hynes nous propose un album autour du deuil. Mind Loaded, premier extrait convainquant et au casting impressionnant (Caroline Polachek, Lorde, Mustafa), dessinait un album aux ambiances éthérées et expérimentales. DJ
26. Charlotte Leclerc, DRAMA (Delodio)
Mélodie envoûtante réminiscence d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître et tant mieux, Charlotte sera leur grande prêtresse, poésie minimale synthétique, histoire d’amour triste. Magnifique. RS
27. Saint Etienne, Glad (Heavenly / Warner Chappell Publishing)
Joie et tristesse avec la sortie de Glad, co-écrit avec Tom Rowlands des Chemical Brothers et Jez Williams de Doves, puisque Saint Etienne a annoncé que International, paru en septembre, serait le dernier album du groupe. Joie d’entendre Sarah Cracknell nous demander « Don’t it make you sad? Don’t it make you glad? », mais tristesse évidente de dire au revoir aux maîtres de la nostalgie dansante, dont on espère qu’ils passeront une dernière fois en France. PR
28. Water From Your Eyes, Life Signs (Matador Records)
Le duo originaire de Chicago expatrié à New-York (comme Horsegirl) sortait en août son septième album chez Matador. Le single Life Signs surprend car il ne va pas où on l’attend après une intro très efficace. Cool et entêtant comme un bon morceau de Blonde Redhead. PR
29. Bar Italia, rooster (Matador Records)
Les Londoniens de Bar Italia continuent à évoquer les années 90, cette fois en lorgnant davantage du côté du Radiohead des débuts, de Weezer et des Breeders que sur Fundraiser, le premier single de Some Like it Hot. On comprend que la jeunesse s’emballe. PR
30. They Are Gutting a Body of Water, Baeside K (ATO Records)
TAGABOW, c’est l’avenir du shoegaze et cet album, le meilleur du genre cette année – à classer aux côtés de Spirit of the Beehive et Horse Jumper of Love. CG
31. Maria Somerville, Projections (4AD)
Tout est matière lente, le shoegaze se mêle à l’ambient — musiques classiques — où les guitares éthérées s’emmêlent dans des nappes électroniques brumeuses. Contorsion pop moderne : le pied gauche dans Grouper, la tête dans MBV, la tête à l’envers certains y voient Cocteau Twins, Fennesz et Mazzy Star bien sûr — mais en fait le disque s’adresse à celles et ceux qui connaissent tout cela et aussi les autres qui n’en savent encore rien. PN
32. Marius Atherton, Paris (autoproduction)
Un titre qui foudroie d’émotion quand on le découvre pour la première fois au fin fond de la cave du Zorba — puis qui devient une évidence, un classique, un beau texte, la restitution sans fard de l’expérience de ce que c’est d’être humain jusqu’aux claviers qui transcendent, apaisent et, on l’espère, libèrent. PN
33. Èlg & la Chimie, Le Groenland existe (Murailles Music / La République des Granges)
C’est l’heure du conte, allez on s’assoit en rond et on écoute l’un des sommets de cet album hors norme, un grower comme on dit. RS
34. Studio Electrophonique, Break My Heart Again (Valley Of Eyes Records)
Sous la houlette de Simon Tong, James Leesley est enfin de retour avec un premier album sous le bras et son éternelle gueule d’ange. Et ses haïkus musicaux qui s’habillent d’un rien (une guitare, un orgue, une boite à rythmes qui toussote, voire juste un piano) et racontent la vie de tous les jours et ses histoires d’amour – qui ressemblent à autant de polaroïds un peu passés d’une Angleterre du siècle dernier. Parmi plusieurs chansons qui ont comme matrice la rengaine éternelle de The Gist (Love At First Sight, bien sûr), Break My Heart Again offre un tempo qui s’emballe comme les battements du cœur et réussit à faire passer le troisième album du Velvet pour un pirate de Motörhead. C’est vous dire à quel point la mélancolie est ici un art de vivre. CB
35. Steve Gunn, Safety (Three Lobed Recordings)
Cette année aura été marquée par l’ascèse ambient-folk d’un certain nombre d’albums qui figurent parmi nos préférés de l’année : entre autres, Jemima, Joanne Robertson et les deux derniers albums (l’instrumental Music for Writers paru le 15 août 2025 et Daylight Daylight le 7 novembre) de Steve Gunn, qui est parvenu à accomplir ce magnifique doublé dans le chaos de New York, comme une modeste tentative de réponse au désordre du monde. TS