À cause des beaux jours qui se sont attardés en région parisienne, j’observe tous les disques qui m’accompagnent avec suspicion. Que deviendront-ils les jours de grisaille revenus ? S’il existe d’excellentes références que l’on ne saurait écouter un jour de canicule, – et inversement – lorsque je pense aux musiques qui me saisissent dans l’allégresse d’un air trop chaud, je suis le plus méfiant des auditeurs. Les beaux jours ne portent-t-ils pas la saison maudite de la pop ?
Ce n’est donc qu’après un jour d’orage que j’ai cessé d’hésiter : Vulgar, le dernier né du paulistain Caio Falcão n’est pas qu’un joli disque de printemps, c’est un joli disque tout court. Si sa première écoute m’a cueilli par un matin radieux, il a fallu un bon gros cumulus en ligne de mire pour s’en persuader : ce bref et maîtrisé album de pop indé à la sauce bahianaise est méritant.
Au tout départ, l’effet est immédiat et en adéquation avec une poussée hormonale de saison : Vulgar où la voix du jeune paulistain répond à celle d’un autre garçon de la ville du sudeste, Tim Bernardes – dont on ne peut que conseiller le Recomeçar (2017) pour les jours de pluie brésilienne, humidité à 98 % et saudade à pareil –, donne à nos épaules un drôle de rythme. Chaloupant, on ressent l’effet secondaire de l’ijexa. Rythme candomblé typique qui ici s’accélère sur un refrain d’une efficacité presque frustrante. Le garçon, dans un portugais concis et nuancé, se joue des mots et tente de réhabiliter la vulgarité : on voudrait en faire autant des rythmes bahianais adorablement vulgaires.
Vient après ce coup de bassin une décélération et un détour par d’autres genres qui nous seront plus familiers ici : balades tout doux sur la pédale comme Fenestra et ses manières de pop-psych cotonneuse ou encore Vagão et sa guitare minimaliste, ses vers enveloppants à base de temps qui passe qui nous conduisent vers une langoureuse somnolence. Cependant, ce passage ne nous assoupira pas tout à fait, certainement grâce au portugais et ses chatoiements, mais également grâce à une belle maîtrise des arrangements et d’envolées académiques.
Puis, dès Uma Vez Mais, à peine quatrième piste, nous retrouvons le pied qui tape sous la table : le retour de l’axé, de Bahia, du lointain qui démarre en trombe comme un chorro au milieu de Rio. L’ascension est sèche. Les guitares, qui se font lourdement entendre, ramènent l’auditeur vers les années Tropicalia et vers Caetano Veloso – effet voulu pour celui qui ne cesse de rendre hommage à la rock-star bahianaise. Le calme se dessine à nouveau pour la cinquième piste Adeus Rock’n’Roll. De courte durée pourtant : il n’est là que pour mieux servir un songwriting évolutif, qui empile les niveaux et explore une scène sonore qui s’élargit pour terminer dans un climax psychédélique qui fait le plein usage d’une structure versatile et pleine de reflets. Délicieux et assommant, une belle nuance s’inscrit dans l’espace après des pistes un peu frontales.
Pour survivre à un tel sommet, à hauteur de Corcovado, l’album continue son exploration faussement mineure : ballade qui picore sur des rythmes traditionnels avec modestie sur Quarta-Feira, et deux mini digressions oniriques guitare voix. Enfin, l’album se termine – déjà – sur Na Pele qui agit comme un coda et nous emporte dans un dernier vagabondage sur tous les territoires déjà explorés. On y retrouve un plaisir certain à jouer du code psychédélique – branche Conan Mockasin et hypnagogique – sans ferveur mais avec application, et claviers qui, étrangement, se lancent dans une ultime samba fantomatique.
Plein de variations, mature dans ses hybridations, et construit comme un tout (un peu bref), avec un sens aigu de la respiration et de la digression, Vulgar, à l’instar du Recomeçar de Tim Bernardes – sur le même très admirable label Selo Risco -, finit par s’imposer comme un objet joyeusement mineur et précieux. Caio devient ce garçon charmeur des belles heures d’une fin du jour quand l’album de Bernardes est celui qui, au détour d’une rue paulistaine, nous lance un regard humide dans un matin balbutiant – je m’étais promis de ne plus parler météo.
Excellente chronique Corentin! Sympa de voir les français parler de ses sons. Au cas où ça na pas été fait, écoute le dernier disque de la chanteuse/compositrice Luiza Lian, nommé Azul Moderno et sorti sur le selo Risco aussi!