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Les journées de promo consacrées aux interviews sont souvent une corvée pour les artistes. On peut aisément les comprendre, ils doivent souvent répondre aux mêmes questions, se justifier auprès de personnes qui n’ont parfois même pas pris le temps d’écouter leur album avec attention. Mais lors de ma rencontre avec Bonnie « Prince » Billy pour la sortie de The Purple Bird, ce dernier semblait être en mission, tenant absolument à rendre justice à un disque qu’il n’en revient toujours pas d’avoir enregistré. Il faut dire que le casting est impressionnant : Pat McLaughlin, Tim O’Brien, John Anderson et beaucoup d’autres légendes de la country ont participé à l’écriture de l’album et à son enregistrement en studio. Malgré tout cela, Will Oldham n’est pas tombé dans le cliché du disque country enregistré à Nashville. Sa personnalité est bien présente tout au long de ces douze titres qui sont certainement les meilleurs qu’il ait enregistrés depuis une dizaine d’années. Il nous confie dans cette interview qu’il est un peu stressé en pensant à la suite qu’il devra donner à The Purple Bird, et même si on lui fait confiance, on veut bien le comprendre.
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L’idée d’enregistrer The Purple Bird a germé à la fin de ce que l’on appelle des “Nashville sessions” auxquelles tu as participé. Pourrais-tu nous dire en quoi cela consiste ?
Bonnie « Prince » Billy : Historiquement, ça a commencé lorsque des maisons d’édition se sont installées à Nashville dans le quartier que l’on appelle The Music Row. Elles ont signé des compositeurs. Ils se donnaient rendez-vous entre eux pour écrire des chansons. C’est un processus très formalisé. J’ai été approché par David “Ferg” Ferguson et ses associés pour participer à l’une de ces sessions. C’était juste pour le plaisir de passer un moment. Nous nous retrouvions le matin pour jouer ensemble avant de prendre une pause pour déjeuner. En début d’après-midi, nous prenions la route pour nous rendre dans la maison d’un musicien. Pour la première session, nous avons été invités chez Tim O’Brien. Dès notre arrivée, il fallait respecter un rituel. Tout était très formalisé, avec des règles à respecter. La première règle était d’arriver à treize heures, et de parler de la pluie et du beau temps, avant de nous mettre au travail dix minutes plus tard, chacun avec son instrument. Vers treize heure trente, il fallait déjà avoir une bonne ébauche. A quatorze heure trente, la chanson doit prendre forme. Quinze minutes plus tard, nous enregistrions le titre sur un téléphone et à quinze heures tout le monde rentrait chez soi. Nous avons répété ce processus pendant huit jours, lors de mes différentes venues à Nashville, mais jamais le week-end. Pour David et Tim c’est un peu une routine, mais pour moi ces sessions avaient un aspect mystique. Je devais particulièrement me concentrer sur ce que je faisais car je manquais d’expérience et de talent par rapport à eux. Ce sont deux musiciens accomplis qui ont atteint un certain niveau de succès.
Cela t’a-t-il mis une certaine pression ?
Bonnie « Prince » Billy : Pas tout le temps. Pat McLaughlin a participé à la première session, et nous avons composé Boise, Idaho qui se retrouve sur l’album. Je le connaissais un peu, nous avions déjà joué ensemble et c’est un type adorable. Par contre, je ne savais pas à quoi m’attendre en faisant une session avec lui. J’avais surtout peur de m’adresser à lui si jamais je n’aimais pas quelque chose qu’il jouait ou chantait. J’avais l’impression que je n’étais pas légitime pour le faire, que ça aurait été inapproprié. Surtout, je ne voulais surtout pas décevoir David et Pat. C’est ce genre de moment qui me mettait mal à l’aise, mais ce n’était pas stressant.
A la fin de ces sessions, pensais-tu en faire un album ?
Bonnie « Prince » Billy : Pas du tout, c’était juste pour le plaisir de jouer. Le temps passant, je me suis aperçu que l’on pouvait en tirer quelque chose de vraiment intéressant. Je savais que David et Tim ne tenaient pas particulièrement à garder ces morceaux. Par contre, j’avais envie de faire cet album avec eux. J’ai travaillé plusieurs mois pour m’assurer que je pouvais les chanter en studio et en concert. J’ai changé des structures et des paroles car je voulais qu’elles aient du sens pour moi.
Une fois en studio, as-tu continué à t’approprier les chansons où bien as-tu justement laissé tes collaborateurs intervenir dans le même esprit que les Nashville sessions ?
Bonnie « Prince » Billy : Au fur et à mesure que nous avancions pendant l’enregistrement, j’ai fait confiance à la méthodologie de Ferg qui a produit l’album. Il y avait beaucoup de musiciens en studio, au minimum un pour chaque instrument, chacun d’entre eux était brillant, non seulement pour jouer, mais aussi pour écouter les autres dans le contexte du live et apporter sa touche et ses idées. Les chansons ont donc encore évolué. Pour chaque titre, nous nous sommes concentrés sur l’un des musiciens au moment du mixage, celui qui apportait le plus à la chanson. C’est ce qui a donné son identité à l’album.
Il est rare que tu travailles avec un producteur. As-tu fait une exception avec David Ferguson de par la nature du projet ?
Bonnie « Prince » Billy : Oui, ça m’a paru évident, il était là dès le départ, avant même que je ne pense réaliser un album avec ces sessions. Je travaillais sur un album avant de réaliser The Purple Bird. Après cette expérience, maintenant que je reviens sur ces vieux titres, je me demande si je ne vais pas demander à Ferg de le produire. J’espère juste qu’il va accepter de vouloir travailler sur des titres sur lesquels il n’a eu aucune implication. Son identité et son sens de l’esthétisme sont présents sur l’intégralité de The Purple Bird. Ce serait une première pour nous qu’il produise mes chansons. Il m’a fallu des décennies de collaboration avec lui avant qu’il ne produise un de mes disques. Et pourtant c’est un ami proche. Mais il m’aura fallu cette expérience pour comprendre que nous partageons les mêmes valeurs et points de vue. Je me suis passé de producteurs aussi longtemps car je suis rarement d’accord avec ce qu’ils veulent faire de mes chansons.
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Ferg t’a dit avant d’entrer en studio qu’il ne voulait pas enregistrer un disque de country avec toi. Pourtant le résultat final s’en rapproche.
Bonnie « Prince » Billy : Je ne suis pas un musicien de Nashville, et je pense qu’il avait peur que je veuille faire un album country par opportunisme, que je tombe dans les clichés. Même si tous les musiciens de The Purple Bird sont des musiciens de country, nous n’avons à aucun moment essayé de reproduire une formule ou de faire un album 100% Nashville. Il n’était pas nécessaire qu’il me le dise, mais c’est son expérience passée qui parlait. Il voulait qu’on retrouve ma personnalité dans l’album.
Appréhendes-tu de passer au prochain album après une telle expérience ?
Bonnie « Prince » Billy : Je ne sais pas. Peut-être que je vais me servir de l’expérience de The Purple Bird pour aborder ce futur album différemment. Mais je ne suis pas certain d’y arriver. Je préfère travailler dans le Kentucky, là où j’ai mon studio. Ce qui a fait la force de ce disque ne sera pas disponible chez moi à Louisville. Je ne devrais pas trop m’inquiéter car j’ai du temps devant moi, mais pourtant je stresse à l’idée de travailler sur la suite.
Tu avais joué les chansons de Keeping Secrets Will Destroy You sur scène avant de les enregistrer en studio. Tu souhaitais renouveler cette expérience dans le futur. Si cela n’a pas été le cas pour The Purple Bird, cela a-t-il changé ta façon de composer ?
Bonnie « Prince » Billy : J’ai tourné en solo pour tester les titres de Keeping Secrets Will Destroy You. Ça m’a permis de me concentrer sur les chansons. Je vais me retrouver à tourner avec trois autres musiciens pour la première fois depuis un moment, et j’ai peur des relations qu’ils vont créer avec les titres de The Purple Bird. Seront-ils suffisamment flexibles ? J’aime les musiciens aventureux. Pour l’instant je n’intègre que peu de titres de l’album dans mes sets. Elles m’intimident encore un peu, je ne suis pas suffisamment prêt.
Tu as affirmé que ce qui t’anime dans le fait de faire de la musique, ce n’est pas de t’exprimer, mais d’échanger avec les autres, particulièrement le public de tes concerts. Cela veut-il dire que tu attaches plus d’importance aux performances en live qu’à la composition elle-même ?
Bonnie « Prince » Billy : Il y a vingt ans je n’aurais pas tenu le même discours. Je trouvais le processus d’enregistrement et de mixage plus intéressant. A l’époque, j’arrivais à comprendre le pouvoir qu’avait un auditeur lorsqu’il achetait la version finale d’un album. Il pouvait en faire ce qu’il voulait, il lui appartenait. Ce n’est que depuis le COVID que je comprends mieux comment me saisir de ce qui se passe dans une salle de concert et à interagir avec le public. Avant je savais que l’auditoire était crucial, mais je pensais que j’étais aussi crucial que lui et que nous comprenions nos valeurs respectives.
Comment décrirais-tu le Nashville de 2024 à des gens qui n’y sont jamais allés et qui imaginent la ville comme inchangée depuis les grandes heures de la country ?
Bonnie « Prince » Billy : J’ai su que la ville avait changé en travaillant avec des artistes implantés là-bas. Tous les musiciens sur ce disque font partie du circuit depuis longtemps. Nashville a changé depuis le début de leur carrière. Ils ont tous dû par nécessité changer la façon dont ils abordent leur vie et leur travail. Ferg a commencé à travailler sur des disques à la fin de son adolescence. Il a été embauché par Cowboy Jack Clement, un des fondateurs de Sun Records qui a par la suite quitté Memphis pour Nashville. Il y a créé une maison d’édition et un studio d’enregistrement. Cowboy a produit Johnny Cash, Waylon Jennings et beaucoup d’autres. Ferg a tout appris de Cowboy jusqu’à ce qu’il décède, il y a environ dix ans. J’ai eu la chance d’observer Cowboy au travail. Il existe un super documentaire sur lui qui s’appelle Shakespeare Was a Big George Jones Fan : The Cowboy Jack Clement’s Home Movies. Quand Cowboy est mort, son studio a été repris par son neveu, Cousin Bob. C’est là que nous avons enregistré The Purple Bird. C’était comme faire un bond dans le passé. J’étais le plus jeune, entouré de tous ces gens qui ont marqué l’histoire de Nashville. Nous avons travaillé en reprenant des règles du passé, qui n’existent plus aujourd’hui. Nous n’avions pas de pression de la maison de disque, personne n’était défoncé à la coke, et nous avons travaillé tous ensemble, sans matériel moderne.
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De l’extérieur on aurait tendance à croire que tu arrives en studio avec des chansons travaillées en amont. Pourtant tu as tendance à explorer différentes possibilités lors de l’enregistrement. Quelle est généralement la part de spontanéité et d’exploration dans tes chansons ?
Bonnie « Prince » Billy : Pour moi, un studio d’enregistrement n’est pas un endroit où l’on est supposé passer beaucoup de temps. J’aime juste écouter la progression du processus d’enregistrement le plus possible. Je prépare tout avant l’enregistrement. J’explore, je mets tout en forme, je répète puis une fois en studio, j’essaie d’en faire quelque chose d’inédit en très peu de temps. Bien sûr, tu veux toujours enregistrer les moments qui t’échappent, où tu te demandes comment tu as réussi à faire quelque chose d’aussi bon. Mais enregistrer coûte une fortune, je ne peux pas me permettre de ne pas être satisfait d’une chanson. Quand j’entends des musiciens dire : “on la refait ?”, je leur réponds que nous n’avons pas de temps à perdre, qu’ils feraient mieux de trouver un moyen d’être satisfait du premier coup. Il m’est seulement arrivé deux fois de terminer un enregistrement en me disant que j’avais tout foiré, que j’avais perdu un temps précieux et beaucoup d’argent pour quelque chose que je n’aimais pas. Dans ces cas-là, je me jure de ne plus jamais reproduire les mêmes erreurs.
T’estimes-tu heureux de pouvoir continuer à sortir des albums à une époque où ces derniers sont souvent survolés au profit des playlists ?
Bonnie « Prince » Billy : Oui car j’ai réalisé il y a cinq ans seulement que c’est la seule chose que je pourrais continuer à faire dans ma vie. Je ne suis pas capable de faire autre chose que d’enregistrer des albums. J’ai conscience que tout a changé depuis le début de ma carrière. Mais je garde au fond de moi l’espoir que de plus en plus de gens prêteront attention à la relation artistique que l’écoute d’un album peut créer entre eux et son créateur. Ils peuvent en tirer la même satisfaction de se bourrer la gueule avec leur meilleur ami dans un bar ou bien en ayant un rapport sexuel avec leur partenaire.
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