Big Thief, ou comment rencontrer son groupe préféré à 38 ans (4/7)

Quatrième épisode : Masterpiece

NYC
NYC / Photo : Clément Chevrier
(Lire l’épisode précédent ici)

Nous gagnons New York en bus pour passer la semaine chez Stephanie et David, qui habitent un appartement modeste de Brooklyn : manger, boire, discuter, rire. Ils ont vu Bikini Kill la semaine précédente, nous nous extasions à propos du Weyes Blood récemment sorti, nous vaquons, eux à leur travail, Maggie parfois au sien, moi à la découverte de la Grosse Pomme, parfois seul donc, le plus souvent avec elle.

Et j’arrive enfin à m’éloigner de Big Thief et de la voix de Lenker, tandis que nous nous trouvons pourtant dans leur fief : plus de vingt ans plus tôt, il fut en effet établi par un adolescent auvergnat, dans un bus en direction du lycée, qu’il écouterait un jour Loaded dans le métro new-yorkais, dans les rues du Lower East Side, et qu’il boirait de la bière dans un bar de ce quartier. Et si le quartier a changé depuis l’époque où il n’était déjà plus ce que racontaient les chansons, nous y tournons cependant la porte d’un troquet, commandons une tournée, entendons la voix de Doug Yule, “Can I have an autograph”, dans les hauts-parleurs de ce rade où les couples s’embrassent sans importance, filles et garçons et tous les autres, et je me dis alors qu’il y a le reste d’une vie à vivre, que ce qui paraît le plus inaccessible devient en le vivant un souvenir, et que tout continuera d’être un début.

Le dernier jour, nous dirigeons nos pas vers le Musée juif de New York afin de déjeuner au deli de son sous-sol, bortsch, pickles, bagels. Une affiche sur le chemin nous prévient : le musée dédie son exposition du moment à Leonard Cohen. On ne peut résister à tout, surtout pas quand le tambour cosmique se met à cogner si fort. Nous visitons. Dans l’une des salles, nous entendons le poète réciter une version de A Thousand Kisses Deep et nous n’osons pas nous regarder l’un l’autre avant la fin de la chanson, parce que nous savons ce que nous allons voir : devant nos yeux, deux rideaux calmes de larmes.

Les boucles sont ainsi, qu’elles semblent ne jamais se fermer.

Nous rentrons, je retourne au bureau chaque jour et certains matins, certains soirs, Masterpiece ou Orange jouent fort le long de l’esplanade devant la gare de Nîmes, et je ferme un peu les yeux, encore.

Quand les morceaux, ceux-là ou d’autres, jouent trop fort, j’écris quelques lignes dessus sur Facebook et je lis les réactions des gens pour qui ces morceaux sont aussi importants. Parce que ce groupe n’est pas qu’à moi, il n’est à personne et à tout le monde, parce que je n’arrive pas après la bataille – il n’y a pas vraiment de bataille, à vrai dire, personne ne force personne, il n’y a pas de coercition –, parce qu’on peut être enthousiaste. Et que je ressens un enthousiasme comme rarement, un enthousiasme long.

Voire autre chose qu’un enthousiasme.

Comme esquissé dans le train de l’autre côté de l’Atlantique, j’ai rencontré, semble-t-il, mon groupe préféré. À 38 ans.

(Lire l’article suivant ici)

 

Big Thief, Two Hands (4AD), sortie le 11/10/2019

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