Beak>, Messe pour notre temps présent

BEAK>, mercredi 13/11/24 à l'Elysée Montmartre, Paris / Photo : instagram beakbristol
BEAK>, mercredi 13/11/24 à l’Elysée Montmartre, Paris / Photo : instagram beakbristol

Le continuum du rock métronome part sans doute de l’Allemagne des années 70 avec Neu! et Can, passe par le Londres des années 90 avec Stereolab (et quelques autres oubliés comme Quickspace Supersport) et s’arrête le 13 novembre à Paris sous la forme du concert que donnent les Anglais Beak> à l’Elysee Montmartre. Dernier ? Geoff Barrow, batteur du trio, a décidé d’arrêter. Serait-ce pour reprendre les activités de son autre groupe, Portishead ? L’imagination va comme elle vient. Ce soir en tout cas, les trois musiciens alignés, comme sur un même fil de face, bassiste assis au milieu, à sa gauche la batterie, à sa droite synthés et guitare. Derrière lui parfois un musicien s’ajoute, tête couverte d’un masque de chien pour évoquer la pochette canine du dernier album du groupe. Et la musique ? La moitié du concert est dédiée au dernier disque, justement : précision et mélancolie des morceaux, détails sonores qui soulignent une forme de tristesse. Quelque chose de sombre et déstructuré mais qui avance tout de même, à la façon d’un Neu! ralenti, empêché par ses propres sentiments. Parfois Geoff parle et rigole, le bassiste aussi. On se croirait souvent en répétitif avec eux, dans leur studio. C’est tristement joyeux. Et puis l’autre moitié du concert reprend des morceaux des autres albums : c’est plus sauvage, plus direct, plus métronome encore – presque une absence de pensée,  une mise en transe. 

Ce soir, donc, c’est le dernier concert de Geoff Barrow au sein de Beak>. C’est aussi un anniversaire. Trente ans plus tôt il jouait ici même, à l’Elysee Montmartre, avec son autre groupe, Portishead. Son premier concert parisien. Et son dernier avec Beak. Mais ce soir, à Paris, dans une salle telle que celle-ci, on ne peut s’empêcher de penser à un autre événement, bien plus lugubre lorsque l’on se tient dans une salle de concert : nous sommes le 13 novembre, c’est l’attentat du Bataclan.  Comment vivre alors ce concert de Beak> ? Le groupe joue une musique si tournoyante et ondulante qu’elle prend le cerveau et organise le tournis en soi de toutes les pensées : une centrifugeuse à émotions instantanées et à mémoire aussi. D’un coup, une drôle de frayeur nous prend, comme si nous étions au seuil de quelque chose, pris dans la mémoire collective de la violence et de la tuerie. Dans la salle, un peu de tension, une bagarre manque d’éclater : on n’avait pas ressenti ça ici depuis une éternité. Et puis, la musique en fait ressortir. Au fond, ces rythmes qui tournent, naissent d’une naïveté qui permet tout, font entrer dans un étrange état de méditation. Ce qui se joue c’est une invocation de nos souvenirs de Paris, stimulés par les 30 ans de concerts de Geoff Barrow, par l’anniversaire lugubre du Bataclan et notre propre désir d’être attentif à ce que joue ce groupe : une messe pour notre temps, très présent. 


> > > > par Beak> est sorti chez Invada. La chronique de l’album est à relire ici.

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