On peine vraiment à croire que l’indispensable The Last Time I Did Acid I Went Insane, premier disque de l’inoxydable héros de l’anti-folk Jeffrey Lewis – songwriter surdoué et créateur de bandes dessinées – a déjà presque… 25 ans. Mais depuis ces temps immémoriaux, le New-Yorkais n’ a pas chômé, publiant régulièrement de nouveaux disques – dont certains accompagné de son génial frangin Jack – mais aussi pléthore de comic books dans la digne descendance graphique d’un Robert Crumb. Côté musique, on n’aura jamais cessé de réécouter le mythique Em I Are sorti en 2009 et on se sera souvent replongés dans ses albums-hommages aux groupe punk Crass ou encore au fantasque Tuli Kupferberg de The Fugs. On s’était grandement réjouis, 10 ans après la venue au monde d’Em I Are, de la sortie de son très cool Bad Wiring (2019) – on avait chroniqué le disque ici-même -, succédant à Manhattan (2015). On remercie aussi Jeffrey d’avoir, en 2023, ressorti du fond de ses placards une palanquée de tubes réunis en une succulente compilation de singles intitulées Asides and B-sides 2014-2018, sur laquelle apparaissent entre autres bijoux Till I Get a Diamond – une de mes chansons préférées du barde de Manhattan -, l’excellente What I Love the Most in England et l’hilarante Guest List Song.
S’il a dernièrement consacré pas mal de temps à la création de ses livres – il vient notamment de publier Revelation in the Wink of an Eye, un essai d’analyse critique de l’œuvre d’Alan Moore comptant pas moins de 144 pages-, il n’a pas pour autant mis sa guitare au clou, loin s’en faut. En 2024, on aura par exemple eu le plaisir de découvrir le EP Ghosterbusters sur lequel figure le single éponyme où le roi de la folk lo-fi revisite la chanson du film Ghostbusters pour décrire la loose des vents qu’il se ramasse sur les applis de rencontre. Mention spéciale aussi à It Could Be Worse, dans une veine plus mélancolique mais très chouette.
Mais ce n’est pas de cela que je tenais à parler en priorité aujourd’hui mais de sa toute récente et désopilante (If You’re Ever Scared of) Republicans Rednecks. Comme Jeffrey Lewis l’avait fait pendant la campagne en faveur d’Hilary Clinton pour laquelle il avait composé un hymne inspiré, notre folkeux préféré a sorti en octobre dernier – avant les effrayants résultats des élections américaines -, un single de soutien à Harris et à Waltz. Sur (If You’re Ever Scared of) Republicans Rednecks – digne sur le plan musical des tubes de Em I Are ou Bad Wiring – Jeffrey m’a fait me tordre de rire, traitant de façon jubilatoire les militants de Trump de « chicken motherfukers » et de « total pussies », avec leurs rodomontades bellicistes. Bon, ceci dit on n’imagine pas Jeffrey jouer cette chanson en public devant un parterre de Texans désireux de bouffer du gauchiste new-yorkais… On se dit malgré tout à l’écoute de cette chanson qu’il y a encore des gens saints d’esprit en Amérique, même si le pays semble être passé du côté obscur et parti vers des horizons plus inquiétants. Jeffrey doit rire jaune aujourd’hui, en constatant qu’une partie bien plus importante de l’Amérique que celle des « rednecks » a choisi de mettre au pouvoir un repris de justice ploutocrate qui ferait passer Zemmour pour le nouveau porte-parole de SOS Racisme. Rire, c’est tout ce qu’il nous reste, pour nous retenir de pleurer.