Fétiches et gris-gris de la grisaille.
Qu’il est bon et doux de se demander quel disque nous plaît, de tenter de replonger dans les délices et les affres qui, ensemble ou séparément, simultanément ou des siècles plus tard, nous ont permis d’entendre tel disque et de l’écouter et d’y écouter, enfin, cette expérience ineffable, l’intime – tout ce qui nous tient.
À côté de moi dans le train, tandis que j’écris ces lignes, une personne lit Éloge du risque d’Anne Dufourmantelle et je souris de la coïncidence : on risque tout chaque fois que l’on écoute un disque – et c’est formidable de faire et refaire ce pari, consciemment ou non, sur ce tout, sur ce que le disque va permettre (ou non), ce que l’on va pouvoir vivre (ou non) en l’écoutant – l’intimité.
Celle-ci connaît des contours innombrables, connivence, énergie, quiétude, humour, tristesse, et l’identité de l’espace et du temps qu’enfin on entend quand on entend dans la musique ses silences. Une chanson, un album que l’on écoute chez soi ou chez quelqu’un·e, seul·e ou en compagnie, peut libérer pour trois minutes ou trois vies de tant d’injonctions, de complexes, de conditions et de conditionnements, qu’il est toujours un peu triste d’entendre de la musique renoncer à ça pour devenir extérieure à elle-même et à quiconque, du bruit de supermarché, du fond de télévision sans soin et sans rite, sans rire, sans larme, sans rien d’autre qu’une forme d’embrigadement scabreux.
Parce que ça reste de la musique, mais que parfois il est dur de s’y apercevoir autrement que dans des schèmes, et que l’intimité n’est qu’une expérience, un moment seul·e et non seul·e, possible à Indietracks comme à Benicassim, dans la voiture comme dans le train, dans sa chambre comme lors d’une randonnée, quand un bout de refrain remonte à ce moment et pas à un autre, et que ça passe. Que l’on voit-sent-éprouve le passage de ce qui passe, parce que tout est suspendu, que rien n’existe, et que donc tout existe.
Il y a quelque chose qui se reconnaît alors, on ne sait pas toujours bien ce que c’est, un trouble sans ombre, plus on pense le savoir et plus on le perd, et ce n’est pas grave. On sait que c’est là, Pulp ou Leonard Cohen, Anohni ou Mark Hollis, Cassandra Jenkins ou Arlt, c’est là.
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Parfois, je pense avoir perdu Angel Olsen, une pensée qui me rend un peu triste et qui m’égare, car si l’artiste Angel Olsen a proposé certains disques qui peuvent me donner l’impression de séparer intention et action, et d’être séparé d’elle, je ne peux avoir perdu une artiste – qui n’est pas à moi. À la rigueur l’accès à son œuvre, et encore. Même si l’écoute de ces disques a laissé des scories encombrantes, et si vouloir reproduire le surgissement d’une émotion passée, antérieure, est illusoire, je peux en revanche avoir accès à des réminiscences d’émotions, des re-présentations de leurs traces – car chaque accès crée une nouvelle trace, un nouveau chemin, semble-t-il – lignes d’erre de l’auditeur·ice.
Et donc, parce que son dernier album Big Time, attendu plus que d’autres, m’a d’abord déçu, et que je l’ai récemment écrit quelque part d’une façon désagréable, sans avoir réfléchi – ça va souvent ensemble – j’ai essayé de revivre 2014, quand je boudais l’alors récent Burn your Fire for No Witness qui inondait les fils Facebook – c’était le lieu à l’époque – pour remonter d’un tour de manivelle et demi, et que je ponçais donc son premier long format Half Way Home – beaucoup – et l’EP précédent Strange Cacti – à peine moins – et que les émotions coulaient en rivière. J’ai essayé de retrouvé les lignes d’erre d’alors, sachant que telle tentative ne peut être qu’échec – et réussite – d’autres chemins, encore, toujours, sont déjà là, à parcourir.
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Half Way Home relève de ce genre de disques où on entend des claquements de langue et des grincements de chaise sans faire exprès et sans problème, où on ne double pas systématiquement les voix, où on ne recale pas les kicks de grosse caisse à peine devant – où joue un batteur qui peut de temps en temps mettre des kicks de grosse caisse à peine devant – et c’est beau, présent, un visage de matin, de jour, de soir, quand le disque sait être un room recording comme il y a des field recordings, les yeux dans les yeux.
En 2014, lors de la découverte d’Angel Olsen – dont je ne garde aucun souvenir, curieusement – je me sentais à la fois très seul, parce que c’était l’année du premier deuil, et jamais seul –quand quelqu’un·e disparaît, iel est toujours là, et que les autres, les présent·e·s, les ami·e·s, ont une épaisseur particulière – disons qu’on a accès à leur épaisseur – on la traverse, on s’y sent bien. Et le même sentiment m’a habité vis-à-vis des disques écoutés lors de cette période : ils offraient de l’épaisseur, ils offraient de l’amitié. Et j’ai rarement ressenti une amitié aussi profonde que pour ce disque d’Angel Olsen, et pour Grantchester Meadows de Pink Floyd, et Julia Holter, et les quelques chansons d’Alela Diane et des Walkmen qui habitèrent alors avec moi rue Consolat – ça ne s’invente pas.
Il y avait sans doute “mieux” mais :
No-one will ever be you for yourself.
Il y avait assez à faire avec le moment pour ne pas finasser et laisser entrer toutes les voix amies.
It was all bright clear.
C’était tout ce qu’il fallait alors entendre, dans un disque qui, parlant de l’absence aux autres et de l’absence à soi, était incroyablement présent.
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S’il est des biographies qui sont des pièges, celle d’Angel Olsen en fait partie, parce qu’il y a récit propice à l’édification – son adoption à l’âge de trois ans par une famille d’accueil aimante mais âgée, frères et sœurs nombreux·ses et décalé·e·s d’une génération, voire marié·e·s, voire avec des enfants quand elle-même vivait à peine sa propre enfance. Et comme l’artiste connaît le storytelling et en use aisément dans ses interviews, on voudrait presque en savoir moins – pas maintenant – plus tard – quand il sera temps de lire des livres sur sa-vie-son-œuvre.
Quand on édifie ou que l’on est édifié·e, que fait-on sinon mettre des briques les unes sur les autres pour construire des murs, des pièces, des toits où s’abriter – c’est parfois reposant – et se cogner – c’est inévitable ?
À l’époque de Half Way Home, il n’y a pas grand-chose et pourtant déjà pas mal à se mettre sous la dent, il y a cette histoire d’enfance et celle du classique âge punk autant que folk, et la prolongation directe dans la fréquentation du Cairo Gang d’Emmett Kelly, puis par son entremise la rencontre avec Will Oldham qui, éberlué, en fait une choriste-plus-que-choriste, plus-que-chanteuse, plus-que-folk, plus-que-punk, le temps de quelques saisons – les écharpes sont roses, les chapeaux sont rouges, les couleurs sont splendides. La roue tourne pour un temps aux collaborations, parce que ce qui n’est pas encore dit demeure, premier : Olsen a des capacités vocales stupéfiantes, d’une expressivité virtuose, qui lui permettent d’occasionner des gambades entre lyrisme et expressionnisme, sans ridicule puisque avec chansons – les chansons, c’est son truc, une priorité. Et à l’époque donc, post-époque de fixette personnelle sur Carlos Gardel – grâce à un covoiturage inoubliable de Marseille à Paris avec une fan de tango – Angel Olsen chante depuis le même lieu, depuis le même moment, celui de Frehel, de Damia – celui des interprètes – celui le plus fréquemment oublié dans la locution autrice-compositrice-interprète.
Dès les premières secondes de Half Way Home, sur Acrobat, c’est là, inactuel, immémorial, ces chemins : vibratos dosés, dynamiques d’intensité qui deviennent des dynamiques de timbre, usage subtil du rubato – comme si le groove du chant passait son temps à rouler, à tirer sur le harnais, à se déplacer sous les pieds pour happer ici, percuter là, au service de – de quoi ? – de l’expression.
Du dire.
Si le chant existe en surplomb du parlando depuis Monteverdi – environ et pas seulement, mais c’est seulement pour donner une idée – chanter conduit inévitablement à avoir affaire à la notion de persona – qui chante ? Quel est le rôle ? Soi ? Ou un·e autre ? Ou, sans doute, les deux et pas les deux, dans le même temps ? Une tension ou une détente, acte de l’interprète que l’on saisit par exemple à la fin du regardable Inside Lleywin Davis des frères Coen quand, après les mésaventures peu palpitantes d’un être parmi les êtres, on entend enfin la voix de Bob Dylan : si jeune, il est à la fois lui, un·e autre, toutes les voix de la chanson, et les poils se dressent sur chacun des avant-bras présents dans la salle de cinéma – enfin. On imagine à peine ce que ça devait être, alors. Il chante incroyablement bien, et son chant est geste artistique aussi profond que l’écriture – ce que l’on s’est éperdu à ne pas vouloir savoir les décennies suivantes, faisant si souvent disparaître sa chair derrière une idée de sa littérature. Pour voir comme il voit, il faut respirer. Et quand on respire, on a de l’air pour dire, ou pour chanter.
Cf. Cohen, Converse, Dalton, Drake, Oldham, Lay, etc.
Angel Olsen aligne les mots et les rôles bien tassés entre les inspirs, avec un mouvement principal : faut que ça rit, faut que ça pleure. Et l’auditeur·ice ramasse d’autant plus que son chant, au pays de l’indie, ce pays qui se vit un peu trop souvent comme une nation au lieu d’un geste, son chant dénote et délasse – délie – déploie. Ses mots durs, doux, directs, ses mises en scène sont ceux des meilleures histoires racontées dans les cuisines, aux heures où la température du vin n’a plus d’importance : on se regarde dans les yeux ou on regarde le sol, pas entre, et on dit sans peur. Et ce que dit Olsen alors est là, dit sans peur, à dire la peur – la mort, l’amour, très jeune, très sûre, très – présente. Très – intime.
Le disque est inécoutable si on fait autre chose que l’écouter, elle – elle happe.
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I love the way your voice is sex
[…] Who cares I’m not a moralist
Ainsi s’ouvre le disque, avec Acrobat et ses punchlines, un râclement d’arpège tournant en boucle sur une guitare acoustique, sans doute pas joué par elle – elle joue de la façon rustique, souvent sous-mixée, souvent en demi-caisse demi-acoustique, et donc pas en incipit, pas en déclaration d’intention tome I – Emmett Kelly est à l’œuvre, en miroir discret, il sait faire les arpèges pas tape-à-l’œil – il fera de même sur le chef-d’œuvre The Letting Go du compère Oldham, avant de ty-segaller.
Le tome II et second de l’incipit est le superbe The Waiting – I want to be the one who knows the best way to love you, chante-t-elle, ça pourrait être dans des milliers de chansons de reddition, c’est dans une chanson qui invoque le contraire – avec des chœurs, des guitares acoustiques, une basse qui ne joue pas à l’antiquité car elle se contente d’assurer la partie de basse, une batterie faisant rouler le midtempo – on pastiche un Brill Building sans moyens et sans clinquant, tout en corps et en esprit, tout en voix – pas d’autre vedette que le chant, pas d’heures épuisées à essayer de retrouver le son de tel ampli au son “chaud” (entendre “rassurant”) – grâce notamment au choix de la base acoustique, qui rend caduque dès l’œuf une éventuelle tentative de mimétisme – souvenons-nous, à l’époque, Simon Reynolds publie Rétromania, on imagine ne pas pouvoir surmonter la memorabilia reproductive, on se figure que le temps s’aplatit.
Angel Olsen balaie ça.
Ses références et ses moyens balaient ça.
Sa jeunesse et sa non-carrière – alors – balaient ça.
Ce n’est pas le sujet.
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Into the dark depths we all soon disappear.
Dit le morceau suivant, Safe in the Womb, à l’abri dans la matrice, ballade folk, deux guitares acoustiques et une basse, pas de batterie, et la classique question : naissance égale mort, et donc ? Ce qui vaut pour tout : événement, vie, amour, œuvre, relation, satisfaction, déplaisir, souffrance, etc. Un rien de métaphysique de vertige, le refrain dit et redit It was bright clear, avant d’abandonner les mots pour chantonner sur le même air, jusqu’à l’extinction. Une chanson, aussi, finit.
Ce qui laisse la place au “morceau de bravoure” Lonely Universe, qui enfile les métaphores comme une Parque les destins.
Il ne faut pas écouter ce morceau au mauvais moment : les dommages occasionnés si invoqué de façon imprudente, “à la légère”, peuvent être comparés à ceux d’un tirage maladroit de cartes que l’on ne connaîtrait pas. En revanche, il est possible de l’écouter en chialant dans sa bière-whisky-vin-tisane. Tout se casse la figure sans tomber parce que le chant veut ça et le tient en tenant trente instruments entre ses dents, quand les autres instruments de la chanson sont des habits les plus modestes possibles – à poil ce serait trop, ce ne serait pas possible – de l’arrangement comme éthique puritaine ? À voir. Reste l’expérience présente, sa batterie écroulée, ses trois notes de guitare électrique, son harmonium à l’errance canadienne, et une autre expérience rendue possible par les internets : la démo guitare-voix en lofi pas de carte postale. Les choses apparaissent et disparaissent, la fin achève – jusqu’à la prochaine écoute.
Après ça, on fait quoi ?
I don’t mind if I’m completely lost when I’m with you, dans le courageux Can’t Wait Until Tomorrow, qui conclut : Put it aside. De l’eau de roche frappée au moment idoine de coups de tambour.
Les quatre premiers vers d’Always Half Strange donnent à entendre l’art sublime du rubato d’une façon presque didactique : les mots revêtent leur tournure devant nous, et l’on saisit que la fantaisie de la chanteuse, un jour ou un soir, en variant tel ralentissement subtil, telle accélération, renversera le monde et ses figures pour l’assistance, dans une métamorphose invincible et imprévisible. Ensuite tombent des rideaux de sa voix, jusqu’à l’épuisement – on cause d’amour, quoi d’autre ?
D’ailleurs, You Are Song suit : I am silence now, but I’m always song. Can you hear me ?
Que peut-on être sinon une chanson de quelques minutes ? I can hear you. Il n’y a rien d’autre, et même le parfum triste demeure bon et doux – cf. incipit.
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“Tu as le droit de demeurer silencieux·se/de garder le silence”, chante-t-elle ensuite à l’adresse du danger sur l’invincible Miranda, deuxième chef-d’œuvre, leçon de songwriting exhibant les trois accords et la mandoline, qui évoque la tristesse métaphysique de Waylon Jennings, les pieds moins serrés dans les bottes, la tête moins étouffée sous le chapeau, avec des chœurs de gars aussi beaux qu’un harmonium – de l’arrangement comme éthique hassidique ? – de la respiration ? Le storytelling est ici déployé en rebours et contours – qu’est-ce que le danger ? Est-ce la peur ? Les arbres au-dehors bougent toujours très tranquillement avec le vent quand joue cette chanson.
Le ciel est ouvert, c’est dit à la suite, l’orage aux trousses, on grimpe pour voir les choses comme elles sont, invoquées par les tambours et la basse dans un cercle. Que disent-elles ? No-one will ever be you for yourself. Tu es, déjà. Même pas la peine de devenir. On peut s’extasier sur la production, mirifique, dramatique, aux détails minimalistes, et dans le même temps se laisser gentiment engloutir par des gouffres insoupçonnés. C’est simplement beau.
Suivent en conclusion deux exercices de style plus classiques, qui referment la porte de l’évidemment magique pour du plus amical, une orbisonnerie claudiquante – son plus évident parent vocal alors – Free, la plage peut-être la moins inoubliable du disque – et une outlawerie – Tiniest Seed, à donner envie de croire au diable pour pouvoir se damner – qui jette l’auditeur·ice du salon au goudron sans plumes, en voiture, c’est l’heure, il faut partir, vous ne pouvez pas rester, même si le dernier verre que vous avez bu était le verre le plus triste du monde – Where is my harmony ? Where is my friend ? When did the time become something that I feel ? Elle y chante masquée, peu de vibratos trop facilement décelables, et ça ne se finit pas si mal, une coda chantonnée sans paroles, bouche fermée. Ce disque est fini.
La personne qui le chante disparaît, même de la pochette.
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La suite ? Une tectonique éloigne nos îles respectives, et le doux banc de sable qui les reliait devient d’abord un gué – Burn your Fire for no Witness a un son qui me plaît beaucoup moins, beaucoup plus malin, du “indie influ lofi” à budget avec des clips à pellicule grattée, ce genre qui cadre bien avec les guitares à godillots, les riffs rock, les batteurs qui tapent, des clins d’œils un peu lourds et des influences moins variées, ou plus variées, je ne saurais dire vraiment – elle laisse Bathetic, elle rejoint Jagjaguwar. Ça brille et il faudrait les bonnes lunettes pour ne pas être ébloui, aveuglé, perdu. La suite suit et me parle de moins en moins, sauf par accident, le gué devient chenal – et je soupçonne en retraçant cette histoire un phénomène classique : avoir voulu préserver coûte que coûte un souvenir chéri qui n’est que cela, quelque chose qui n’existe plus, en excluant le présent. Aussi, peu d’ami·e·s alors sont fans, ou pas au même moment, ou pas des mêmes disques, et je perds d’autant plus le fil de quelque chose qui n’est pas partagé.
J’explore chaque nouvelle sortie brièvement, peinant à entendre les chansons pour des raisons inaperçues, peinant à plonger dans les paroles qui pourtant, toujours, percutent. My Woman me plaît un moment, puis égare le chemin de la platine, les mélodies comprimées. Les persona d’Olsen me perdent comme son entreprise d’iconisation, et sans doute suis-je ailleurs, aussi, des années durant. Sans trop d’effets, son chant peut tellement toucher qu’il est difficile d’accepter d’autres artifices que ceux qui me l’ont durant un temps rendue aussi proche. Il y a toujours du rock indé, il y a des échappées post-psychés, il y a des cathédrales moins sinistres que celles de Lana Del Rey, un mélange de familiarité – les mêmes chansons – et d’étrangeté – pas tout à fait les mêmes. Et l’enthousiasme des late shows, qui me convient pour d’autres, ne me convient pas pour elle – c’est injuste – je me sens dépossédé alors je me referme – ou l’inverse, mais c’est injuste pareil, pour elle, pour moi. À la porte du spectacle, bougon.
Des années plus tard, il faut une reprise en duo échouée sur YouTube, l’invraisemblable Walls de Tom Petty avec Hand Habits pour éprouver instantanément et de retour ce qui animait l’écoute de Half Way Home : une profonde intimité. Ça crève les pixels, c’est là. Iels sont là, dans l’appareil le plus simple, une guitare, deux voix, un son sans époque, audible. L’art rendu, comme pour le reste de la session – Waving, Smiling est là, aussi, trois accords façon rustique qui posent une autre question, persistante : que faut-il ? De plus ? Que ça dure ?
Il faut un paquet de reprises empaquetées dans le EP Aisles, pour que de nouveau la voix transperce tout en éclaircissant le malaise, More Than This de Roxy Music en pseudo démo, tout de même un peu jolie, un peu professionnalisante, Eyes Without a Face de Billy Idol en synth-dream pop à l’autre bout du spectre mais pareille, c’est ça sans être ça tout à fait, sans direction, et sans doute est-ce ce qui alors pèche : quelle est la direction de cette histoire ? Est-il possible de se relever à trois heures du matin pour écouter ça ? Mes pieds parcourent-ils un sentier, tracent-ils une ligne ? Pour la reprise de Walls, oui, pour un More Than This qui dit moins que celui de Bill Murray et Scarlett Johansson, pas sûr.
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Arrive donc Big Time, et pourquoi pas ? Un disque dit “country” ? Moins immédiatement ensevelies sous la production, les chansons respirent à peu près, agrippées à leur snorkel. Le méga-clip arty promo d’une demi-heure se laisse regarder d’une traite, pas du cinéma malgré les velléités, pas si mal néanmoins, les influences n’y pesant pas assez pour étouffer les chansons qui : sont. Reste le décorum, une country-soul aussi rutilante qu’un yacht russe, presque obscène en regard de ce qui se joue, deuil, coming out, la totale. Ce qui demeure raccord avec l’essence de la country – cette obscénité – ce désordre dans l’intime – tiens. Qui d’abord me laisse à la porte, avant peu à peu de se faire une place dans le lieu le moins raisonnable – le plus sage – le cœur. Pour savoir dire s’il s’agit d’un grand disque, il faudrait connaître d’autres langues que les miennes, sans doute. Ce n’est pas la country de Tiniest Seed, ce n’est pas Half Way Home et c’est la seule certitude, sans surprise. Mais c’est un disque qui peu à peu se fait une place et ne résoud rien du mystère Olsen, de cette sarabande de persona – tant mieux.
Demeure un sentiment qui peut-être – certainement – disparaîtra : le rêve d’écouter ces chansons dans dix ou quinze ans, comme j’ai enfin trouvé sublime The Greatest de Cat Power, en concert, accompagnée d’un duo à l’os, guitare-batterie et rien d’autre.
L’artiste, les chansons et rien d’autre.