Énigmatique et fragmentaire, la femme de trente ans qu’est Aldous Harding – Hannah de son prénom – compose sa partition baroque et déterritorialisée sans trop se soucier des modes, sans les négliger pour autant et en portant un respect infini et intime aux grandes compositrices-interprètes qui lui ont tracé la route, de Karen Dalton à PJ Harvey en passant par Chan Marshall. Bien emmitouflée dans sa veste matelassée, elle pourrait bien avoir quitté les couleurs du Dorset ou des plaines néo-zélandaises pour rejoindre la grisaille citadine, n’en subsisterait que le flou rosâtre brouillant les pistes d’un visage aux canons de beauté du XIXème siècle, pur, désuet et délicat, désormais rompu à l’âpreté industrielle. Contre vents et marées, la musicienne revient avec un quatrième album qui embarque un folk gracieux et joyeusement fragile toujours signé sur le label anglais 4AD et produit par l’austère et écorché John Parish. Pour ce nouvel album de 10 titres, le folk Hardingien a gagné en explorations sonores audacieuses, en facéties linguistiques et en fantaisie vocale.
Le titre Ennui, comme morceau introductif, joue le rôle de faux-ami et brise le ton traditionnel des mélos cristallins, guitare sèche-piano-voix nue, qui donnait sa couleur dominante aux précédents albums de la compositrice néo-zélandaise. Les chemins d’Aldous ne semblent pas être aussi monochromes qu’attendus et elle nous surprend aux entournures avec des riffs, des grelots, des aspérités de voix tour à tour enjouée, rocailleuse ou chuchotée. Avec une économie de moyens, le single Lawn distille beaucoup de malice, autant dans la tessiture vocale, dans la structure du morceau et dans le clip.
Une humeur qui donne le ton et tranche un peu dans le paysage actuel, premier morceau issu de l’album, il annonce la couleur d’un opus coloré B Sides de journées printanières easy listening aux petits accents psychédéliques. Sur Leathery Whip, sa voix s’associe librement à celle de Jason Williamson des Sleaford Mods, étirant ses mots et gonflant les voyelles, changeant de taille dans une liberté facétieuse et vaguement inquiétante, les contrées psychiques de l’artiste ont encore de belles surprises à nous révéler. La distance parcourue entre Swell Does The Skull et Lawn s’apparente quelque peu à un vol long-courrier entre Londres et Auckland ; la Nouvelle Zélande, c’est là que vit en partie Aldous Harding, un éloignement aux airs de bout du monde pourtant toujours propice à l’inspiration et au ressourcement, à la création de résonances surréalistes et solitaires.
Belle découverte. Merci du partage !