Les promenades font parfois de grands livres. Marcher incite à la rêverie mais, aussi, provoque les grandes idées. André Suarès se rappellera les descriptions sibyllines d’un Flaubert pour son Livre de l’émeraude. Ce livre précieux qui détaillera dans une langue sublime, le sanctuaire sauvage du Finistère. Dernièrement, Thierry Dussard s’est souvenu de sa lecture de Par les champs et par les grèves. Dans les pages de ce livre, c’est encore un Flaubert vert, acide et jeune. L’auteur de Madame Bovary se fait vorace dans les descriptions puis presque foudroyant dans les émotions. En compagnie de Maxime du Camp, le futur grand romancier, se présente souvent si peu emphatique. Dussard – qui se retrouve confinistérisé sur les mêmes lieux et sur les mêmes trajectoires – s’amuse des saillies de Flaubert contre tout ce qui relève, de près ou de loin, du progrès. On goûte à la plénitude d’un isolement relatif face au vacarme de la mer. Flaubert se gargarisait des étrangetés bretonnes qui rendent n’importe quelle chapelle pareille à une offrande mystique inoubliable. Thierry Dussard signe avec sa Fantaisie Vagabonde un hommage discret à ces marcheurs littéraires fatigués des songes de la modernité. Autre rêveuse, Liz Harris. Née sous le signe du cancer, elle représente bien ce profil astral, lunaire et travailleur à la fois. Son alias Grouper a annoncé la sortie d’un nouvel album, Shade, en Octobre. Il se révèle être le résultat de quinze années de nomadisme sonore, de quête. Harris nous propose Unclean Mind comme avant-poste fiévreux. C’est surtout l’avant goût d’un feu d’artifice paresseux. Cela laisse le temps, toute cette lenteur, de bien scruter la lumière. Grouper tisse une merveille acoustique, vibrante et on y aperçoit une Liz Harris chargée de luminosité nouvelle. La claustrophobie habituelle se fendille merveilleusement. Pour finir, je pense à une sortie – non pas de film – mais de route. Celle d’un petit homme trapu, électrique. La bonté même, l’anti Flaubert quand il s’agissait de pointer la misère noire. Jean François Stévenin s’est donc éteint aucunement comme un feu d’artifice paresseux. C’est bien allé trop vite cette affaire. Que nous restera-il de lui ? Une voix et une silhouette. Mieux encore – trois beaux films qu’il réalisa : Passe Montagne, Double Messieurs, Mischka. Films talismans où Stévenin creuse une poétique – la sienne – et fait brûler les guirlandes de l’enfance et de la langue des souvenirs. Cet homme était un adorable brasier.
Adorable Brasier – Thierry Dussard, Grouper, Jean-François Stévenin
Collage sauvage et de mauvaise foi de l’actualité culturelle de la semaine