À la poursuite des spectres

Les australiens Exek sont passés par Paris hier soir, au cœur de leur tournée européenne.

EXEK / Photo : JB Sanchez
EXEK / Photo : JB Sanchez

Mains dans les poches, corps pris dans la réverbération, rythme élastique, casquette vissée sur une tête qui, dans l’ombre, évoque quelque chose de Bez, le danseur légendaire des Happy Mondays… la voix, pourtant, renvoie vers un autre : par moments, l’impression est forte d’entendre le fantôme raide de Mark E Smith, l’âme portée disparue de The Fall. Réminiscences anglaises, donc, mais formation australienne : ce soir Exek joue à Paris, Petit Bain, bateau sur les quais en dessous de la Bibliothèque François Mitterrand. Les fois précédentes, on les avait ratés, malgré l’amour profond porté à leurs disques – et qui va grandissant. Depuis une poignée d’années, ce groupe sort des albums qui sont à la fois des évocations et des invocations de nos souvenirs du rock le plus poignant et hypnotique. On a longtemps pensé à la puissance de Can, à la scansion de The Fall… ce soir, joliment noyée dans des échos, la musique de ces cinq garçons (guitare, basse, batterie, synthétiseur, voix) se déploie comme en se décaissant d’elle-même, comme pourchassant son propre fantôme, à travers les ondes des notes passées dans les pédales de delays et reverb. Par moment, on a l’impression d’être au cœur du grand Albatross de PIL, et par moments on comprend que malgré les spectres qui nous apparaissent, ce groupe distille surtout sa singularité : mélodies en sous-bassement, dérives électriques, ondes basses qui tournent sur elles-mêmes : les corps qui font face à Exek se mettent à danser, bougent comme en équilibre sur les vagues du son, du feedback. Au milieu du concert, Exek joue l’un de ses plus beaux morceaux dont le titre, Several Souvenirs, en dit long sur eux et nous, eux face à nous. Ils sont le réveil de plusieurs souvenirs qui, mixés là, deviennent une tout autre histoire, dans laquelle le chant surplombe les ruines de la mémoire. Mains dans les poches, deux micros devant lui, tout en beige, tige allongée et visage émacié, le chanteur, Albert Wolski, tient une corde qu’il aurait pu choisir de mettre à son cou, tant cette musique est sensible, mais qu’il a décidé de tendre plutôt entre lui et la vie, entre lui et notre désir de danser avec lui. Dans une autre vie on appelait cela du post-punk, rehaussé au dub. Dans celle-ci, on dira plutôt qu’il s’agit d’une révélation, qui n’en finit pas de se promener dans les méandres de nos corps, de nos esprits, de notre cœur.


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