Alors que je tendais mon Ausweis dûment coché à la case « courses » à Rémi, l’unique policier municipal de la commune, qui officiait à la sortie du village, je ne pus me retenir de lâcher un discret « Je ne suis pas un numéro. Je suis un homme libre ! ». Pas de réaction, pas l’esquisse d’un sourire, je crus même qu’il allait m’en coller une, de prune à 135 euros. Comme il n’y avait à la ronde pas non plus l’ombre d’un chat et encore moins celle d’un contrevenant, je tentais d’établir un semblant de dialogue, demandant à Rémi s’il voyait passer beaucoup de véhicules – Trop. -, s’il regardait Netflix – A fond ! -, s’il connaissait Le Prisonnier – Non, trop pas, c’est quoi ?. La conversation en restera là, n’oublions pas que j’avais un caddie à remplir.
Naïvement, j’ai longtemps cru que mes engouements et lubies étaient partagés par le plus grand nombre. Ainsi, pour en venir au cas du jour, je me plais à imaginer que tout le monde connait et admire Edward Ball. Alors que sincèrement, on doit recenser à peine quelques milliers de cas en France – les régions les plus touchées sont, dans l’ordre, l’Île-de-France, puis le Grand Est… Concernant Le Prisonnier, l’affaire me semble entendue, mais fendons-nous néanmoins de deux lignes de pédagogie et rappelons qu’il s’agit de cette cultissime série britannique mettant en scène le Numéro 6, sorte de Sisyphe sixties sans rocher tentant vainement de fuir le Village où il est retenu (j’ai sciemment condensé à l’extrême).
Avec I Helped Patrick McGoohan Escape, troisième 45 tours de la première mouture des Teenage Filmstars, Edward Ball fait donc l’amalgame entre le Numéro 6 et l’acteur qui l’incarne, raccourci totalement justifié, la carrière de McGoohan (qui sortait pourtant de quatre saisons de Destination Danger) ayant fini par se confondre (si ce n’est s’achever) avec ce rôle dont on ne s’échappe pas. Une réclusion dorée qui est aux antipodes des aspirations edwardiennes. Perpétuellement s’évader, ne jamais rester cantonné ou confiné à un poste, un groupe, un genre ou un look, multiplier les oripeaux comme les (ré)incarnations. Ed Ball, résolu à crânement honorer son patronyme rebondissant, n’aura finalement fait que ça vingt années durant (on a pour ainsi dire perdu sa trace à la fin du siècle dernier) sans calcul aucun ni crainte d’hasardeuses sorties de route.
Dès ses premiers pas, on ne savait guère avec Ed sur quel pied danser. En 1976, il forme ‘O’ Level avec les frères John et Gerard Bennett, groupe Pseudo Punk (pour reprendre le titre de la face B du 1er 45 tours, mais on aurait tout aussi bien pu choisir l’épithète Part-Time), puis à l’invitation de Dan Treacy enregistre courant 1977 14th Floor, l’acte de naissance des Television Personalities. Ed assume de jouer seul tous les instruments (les frères Bennett s’en étant allés former Reacta) sur la seconde livraison estampillée ‘O’ Level, The Malcolm EP (1978), avant de faire à son tour appel au noyau dur des TVP’s (Dan et Joe Foster) pour mettre sur pied ses Teenage Filmstars, qui en un peu plus d’une année vont enchainer trois singles très différents les uns des autres. Le premier, (There’s A) Cloud Over Liverpool (dont la pochette, non contente d’adresser un clin d’œil aux Swell Maps des frangins Nikki Sudden et Epic Soundtracks, parasite le verso tous Lambrettas dehors de celle du You Need Wheels des Merton Parkas, le groupe de Mick Talbot) commence comme une ballade acoustique famélique, avant d’accueillir progressivement sifflotis, claviers et chœurs d’Anfield Road – alors que la face B est une variation autour du Sometimes Good Guys Don’t Wear White des Standells. Le second, The Odd Man Out, est un morceau de ska, du tonneau de ce que pouvait écrire au même moment Jerry Dammers pour les Specials (et précisons que si Dan Treacy balancera sur le tard le revanchard I Was A Mod Before You Was A Mod, le vrai modernist de la bande ce fut indubitablement Edward). Le dernier enfin, que vous ne manquerez pas d’écouter, creuse une veine plus popsike et annonce ce que les Television Personalities vont dès lors proposer (on peut sans trop se mouiller affirmer que le titre I Know Where Syd Barrett Lives est la réponse du berger Dan à la bergère Ed).
I Helped Patrick McGoohan Escape sera réenregistré en 1981 pour figurer sur Pop Goes Art !, le premier LP aux multiples pochettes handmade de The Times, le groupe pivot d’Ed Ball, qui à partir de 1992 réactivera sous bannière Creation Records ses Teenage Filmstars. Mais tout cela est une autre et longue histoire, qui peut-être vous sera contée au fil des posts (vu qu’on n’est pas prêts de mettre le nez dehors).
D’ici là, be seeing you !, comme on dit au Village.
Cela fait plaisir de lire un article sur DIEU (certains Anglais ont coutume de dire : Ed Ball is GOD). En ce qui me concerne je suis tombé en religion un jour de mai 1998, dans le magasin OCD de Montpellier (je revois la rue en pente et le ciel bleu) où j’écoutais la compilation « Welcome to the Wonderful World of Ed Ball ». Avec les années je me suis découragé d’en parler autour de moi – je revois le regard vide d’expression d’un critique rock français, censé faire partie des cinq personnes les plus cultivées dans ce domaine, et qui aux noms d’Ed Ball, Edward Ball, The Times, cherchait surtout à dissimuler sa recherche affolée d’un souvenir à quoi s’accrocher dans sa pauvre tête – bref. Ed Ball a fait encore un chef d’oeuvre en 1999 – l’album des Times « Pirate Playlist 66 » -, avant de s’effacer, c’est vrai, même s’il ne faut pas oublier son intervention décisive auprès de Dan Treacy pour le TVP’s de 2006, My Dark Places. Aucun critique à ma connaissance ne l’a relevé à l’époque, mais tout ce qu’il y a de bien dans cet album, ma foi c’est Ed Ball qui l’a fait – disons que « ça pue l’Ed Ball » comme d’autres disent « ça pue le football » (pour en dire du bien). Il y avait eu d’ailleurs un documentaire à cette époque où chacun pouvait constater la fragilité de Dan… et la brillance absolue de l’éternel jeune homme Ed, marchant à ses côtés dans les rues de Chelsea. A un moment, Dan racontait n’importe quoi, et Ed se tournait vers la caméra avec un air désolé pour son vieil ami – c’était tuant d’humanité, à pleurer. Je pense pouvoir dire sans trahir un secret que le grand Wally, du label canadien TBM (« The Beautiful Music »), qui édite des « TVP’s tributes », travaille à un disque de reprises exclusivement consacré aux compositions d’Ed Ball (hors et surtout TVP’s). Je terminerai ce long commentaire en signalant deux chansons particulières dans l’oeuvre d’Ed Ball : « Primrose 0822 », peut-être la plus belle, qui ne figure sur aucun album comme de bien entendu (je ne suis pas ce genre de collectionneur, mais là il faut chercher dans les faces B), une chanson dont la thématique « Primrose Hill » est au centre de toute sa Carte du Tendre (il dira plus tard dans une autre chanson : « On Primrose Hill, you changed my world », et tout l’album « If a Man Ever Loved A Woman » raconte le deuil de cet amour-là) ; et « French Film Blurred », une hilarante parodie des Stranglers (sur « E for Edward », 1989), où la France en prend plein l’hexagone (notre prétention, notre nouvelle vague, notre cinéma-pour-dire-qu’on-pourrait-en-faire). Il faut se sentir un peu Anglais au fond de soi pour réellement aimer Ed Ball. Préférer Powell et Pressburger à François Truffaut pouvant aider. C’est aussi pourquoi une disparition de près de quinze ans ne m’inquiète pas du tout : comme si de rien n’était, il reviendra.
je tentais d’établir un semblant de dialogue, demandant à Rémi s’il voyait passer beaucoup de véhicules – Trop. -, s’il regardait Netflix – A fond ! -, s’il connaissait Le Prisonnier – Non, trop pas, c’est quoi ?. La conversation en restera là, n’oublions pas que j’avais un caddie à remplir. Mon Cher MR Loutte , »ses propos sentent mauvais le racisme de classe » , Seriez vous un peu snobinard? Auriez vous du mépris pour le petit peuple cher a HENRI CALET? bon sinon je suis un gros fan de Ed ball depuis 1990 et cette apres midi Ecoute en boucle la chanson controversial girlfriend
https://youtu.be/HhuuLwT6dq8
Quand le politiquement correct vient au secours d’un flic borné … Nous serons tous sauvés !