Décidément, je n’en rate pas une. Ou plutôt si, justement. Pas plus tard qu’hier au jardin, dans la belle lumière du soleil déclinant, où je tentais de perfectionner mon petit jeu – chipping et approches levées, essentiellement. Or personne, et moi le premier, n’est à l’abri d’un coup mal dosé, d’une trajectoire non maitrisée. Insensible à la recommandation don’t try this at home – et ce n’était pourtant pas faute d’avoir réécouté récemment Accident Waiting To Happen de Billy Bragg – je courus pleine balle vers les dégâts, ceux qui à l’instar des feuilles mortes se ramassent à la pelle. La tête basse et le club entre les jambes, je rentrai avouer mon forfait à la maison. D’où on me rétorqua que ce n’était pas si grave, qu’est-ce que tu veux y faire (sinon aller me nettoyer tout ça fissa).
Il y a bientôt dix ans, une situation similaire m’avait fait troquer un Pacs contre une alliance. Un brin éméché au sortir d’un dîner prolongé, j’avais froissé de la tôle en négociant à la va-comme-je-te-pousse une marche arrière aventureuse. Au matin, la sanction tombait sous la forme d’un haussement d’épaule aquoiboniste, époussetant négligemment tout bien matériel pour attester que l’essentiel est ailleurs : l’harmonie, la beauté des gamins, la santé, déjà. Derechef, je lui ai demandé de m’épouser, comment pouvait-il en être autrement ? Et une fois ce confinement levé, je l’épouserai à nouveau, tous les jours si elle le souhaite. Liz Taylor et Richard Burton, tremblez ! Vous pensez que j’ai l’air de pavoiser, confit dans la béatitude conjugale, mais rassurez-vous, je sais bien (j’écoutais déjà Roxy Music au jardin d’enfants) que In Every Dream Home A Heartache, je sais aussi que dans d’autres foyers le danger et le calvaire perdurent avec plus d’intensité, que le confinement peut également exacerber les bas instincts. Derrière l’écran de la pandémie, derrière des portes que plus personne ne franchit, les violences conjugales continuent et augmentent. Depuis quelques jours des initiatives, à défaut de mesures, se multiplient pour venir en aide aux femmes victimes. Face à ce fléau, que peut un disque, que peut une chanson, fût-elle écrite par Orchestre Rouge, groupe acéré et nécessaire, prompt à nous rappeler que la violence ne saurait être l’apanage des lâches ? Rien, probablement. Est-ce une raison pour ne pas l’écouter ?
La pochette annonce la couleur. Le fond de l’air est rouge, les hommes – membres des Brigades Internationales ou de la colonne Durruti, qu’importe – se réunissent autour de l’accordéoniste à calot mais ne manqueront pas bientôt d’épauler leur fusil à verrou. Noir & Rouge, donc, même si sur l’album Yellow Laughter la peinture de Ricardo Mosner donnera d’autres atours, plus bolchéviques, au cliché original. Car avant d’être le meilleur (voire, avec Marquis de Sade, le seul ?) groupe post-punk de France, l’Orchestre rouge fut ce réseau de renseignement transnational et d’obédience communiste qui a joué un rôle déterminant dans la défaite de l’Allemagne nazie. C’est tout le passé militant de Théo Hakola qui est concentré là. Né à Spokane, dans l’état de Washington, le jeune homme n’aura de cesse de bourlinguer avant de rallier la France en 1978, étudiant l’histoire politique à la London School of Economics, résidant en Espagne puis au Mexique, rejoignant en 1975 à New York un groupe de soutien aux antifranquistes.
Soon Come Violence – la violence comme mal nécessaire pour renverser les totalitarismes de tous bords -, l’unique 45 tours publié par Orchestre Rouge, s’ouvre par une attaque de guitares hurlantes, sirènes incitant moins à rejoindre les abris qu’à prendre les armes. POUM POUM bastonne ensuite la rythmique, POUM, acronyme de Parti ouvrier d’unification marxiste, l’organisation révolutionnaire espagnole que rejoindra George Orwell (un des héros de Théo) et pour laquelle il se battra en Catalogne jusqu’en juin 1937. Puis surgit la voix d’Hakola, que l’on voudrait continuellement aussi effilée et tranchante que son physique. Mais notre compréhension achoppe douloureusement sur les mots de Théo (qui peut pourtant se recommander de la paire Verlaine, Tom et Paul, et dans cet ordre) : I’ve mixed me up with somebody else life / Sunk it deep / Down like a hot knife. Le mix de Martin Hannett, producteur maison de Factory, s’il sert parfaitement la basse de Pascal des A (qui en 1983 participera à Rennes à la formation de End of Data avant de devenir un an durant en 2004, ça ne s’invente pas, directeur général du Parc Astérix !) a tendance à étouffer la voix d’Hakola, qui émettra des réserves sur le résultat final. On suppute d’ailleurs qu’à ce moment là, début 1982, Martin Zero n’était pas au mieux – impossible deuil de Ian Curtis, prises de bec avec Tony Wilson, et consommation effrénée de tout ce qui lui passe à portée de main. Chacun est en droit de mettre en avant d’autres titres de Yellow Laughter – notamment Je Cherche Une Drogue (Qui Ne Fait Pas Mal) – ou de préférer More Passion Fodder, second album en 1983, voire de privilégier la suite de la trajectoire de Théo Hakola, de Passion Fodder à ses albums solo (le dernier, Water Is Wet, est sorti en début d’année) en passant par ses romans. Reste que Soon Come Violence – tel un Conrad Veidt qui se serait affranchi de l’expressionisme cher au Marquis rennais pour brandir haut la conscience politique du Clash (en la saupoudrant néanmoins d’une pincée de Brecht) – s’avance comme l’épitomé peu disputé ni discuté du post-punk à la française.
Demain, on se promet d’être plus léger, de ravaler le jaune du rire et d’édulcorer le rouge sang qui nous voile le regard, pour langoureusement virer au rose – mais un rose bonbon au poivre.