Saint Etienne – London Conversations

Saint Etienne, Londres (2012) / Photo : TS

Comment la pop a-t-elle changé nos existences ? Une question au centre de nos vies que le trio londonien a choisi comme thème principal de son huitième album, sobrement intitulé Words And Music By Saint Etienne. Un disque que l’on n’attendait plus, sept ans après son prédécesseur. Un retour de flamme étincelant, où le groupe fait le point sur son héritage, sa passion toujours aussi vibrante pour la musique, et son avenir.

En file indienne et parfaitement à l’heure, Sarah Cracknell, Bob Stanley et Pete Wiggs entrent dans ce petit salon cossu et désert, situé au premier étage d’un restaurant de Dean Street, à Londres. Instantanément, une complicité faite de traits d’humour subtil s’installe, chacun prend de ses nouvelles, sans qu’on ait l’impression qu’il se soit écoulé beaucoup de temps depuis la dernière fois qu’il se sont parlés. Les trois inséparables se font rares, mais ils prennent le temps de soigner leur œuvre collective. Pendant ce septennat d’absence entre deux albums, le groupe a patiemment et méticuleusement egrené les rééditions de sa discographie, qui dessine une palette musicale en forme de chaînon manquant entre northern soul, pop moderne et musique électronique. “I used Top Of The Pops as my world atlas”, chante Sarah dans Over The Border, la splendide et touchante ouverture de Words And Music By Saint Etienne. Il n’y a sans doute pas de meilleure citation pour les définir. À l’instar de la pochette, cette cartographie imaginaire d’une ville forcément anglaise où les noms de rue sont des titres de chansons, Saint Etienne nous promène au fil de nos souvenirs sur un disque aussi attachant que dansant. Un voyage bientôt poursuivi à travers un livre à venir – celui de Bob Stanley, Do You Believe in Magic? –, et un film en préparation. Pas de temps mort lorsqu’on est passionné à ce point.

“It’s been too long”, comme le chante Sarah Cracknell dans le single Tonight. Mais vous ne vous êtes pas arrêtés tant que cela depuis votre précédent album, Tales From Turnpike House (2005), puisqu’il y a eu tout ce travail de rééditions…

Bob Stanley : Oui, on a réécouté beaucoup de choses que l’on n’avait pas entendues depuis longtemps. En retravaillant dessus, j’imagine que ça nous a fait réaliser combien on aimait se retrouver tous les trois en studio.

Pete Wiggs : Ça a ravivé nos mémoires. Avec les livrets, notamment. On s’est souvenus de ce que l’on faisait à l’époque. C’est un peu comme feuilleter un vieil album photo. Ou plutôt un album audio. Au fil du temps, on retient les bons souvenirs plutôt que les mauvais.

Qu’est-ce qui vous a décidé à élaborer ce huitième album ?

PW : L’opportunité ! (Rires.)

BS : Je n’ai pas l’impression que l’on ait stoppé nos activités musicales. C’est juste qu’à un moment, notre objectif n’était pas de réaliser un album entier…

Sarah Cracknell : Et puis, le temps passe si vite. Nous sommes toujours restés actifs.

Il y a une connexion symbolique entre Teenage Winter, l’avant-dernier titre de Tales From Turnpike House, et Over The Border, le morceau d’ouverture du nouvel album. Tous deux parlent d’obsessions musicales sur un mode spoken word. Vous reprenez l’histoire là où vous l’aviez laissée ?

BS : Oui, c’est un point de vue positif sur le même thème. On a pensé que c’était bien de commencer l’album par cette partie parlée. La chanson évoque l’enfance et l’adolescence. Lorsqu’on l’entend, elle évoque tout de suite le thème du disque, c’est-à-dire combien la musique peut changer nos vies.

Comment avez-vous procédé pour rester sur cette idée pendant le processus de création ?

SC : Nous avions déjà quelques chansons en chantier lorsque ce thème nous est venu. C’est très utile d’avoir un thème, car après avoir écrit tant de morceaux, il y a toujours le risque de se répéter, et ça permet de rester focalisé sur un objectif lorsque l’on compose. Certains titres sont axés sur nos propres obsessions musicales, et d’autres sont bien plus subtils…

BS : On a commencé par faire une playlist de toutes les chansons qui parlent directement de la musique, comme Superstar des Carpenters ou The Concert de Gary Benson, qui repose sur une idée assez similaire à Tonight. C’est l’histoire d’un village entier qui attend la venue d’un chanteur, une sorte de figure christique, dans un esprit touchant du début des seventies. En réalité, Tonight ne raconte pas du tout la même chose, mais c’est de là que nous est venue l’inspiration !

ARTEFACT

Une vieille anecdote raconte que vous écoutiez I Can’t Wait Until I See My Baby’s Face de Dusty Springfield dans la voiture de Pete, juste avant d’aller en studio avec Ian Catt. Un sample de ce titre s’est retrouvé dans Nothing Can Stop Us. La spontanéité fait-elle toujours partie intégrante de votre travail ?

SC : Nous sommes spontanés dans notre manière d’écrire car, par souci de fraîcheur, nous n’aimons rien planifier par avance. Sinon, on finit par tourner en boucle et perdre la raison principale qui nous pousse à faire ce que l’on veut faire.

BS : D’ailleurs, lorsque nous passons trop de temps sur certains morceaux, ils figurent rarement sur nos albums.

Words And Music By Saint Etienne réunit plusieurs facettes de votre répertoire, d’un côté des morceaux plutôt dansants et énergiques, et de l’autre des chansons plus mélancoliques dont vous avez le secret. Était-ce votre volonté initiale ?

BS : D’habitude, dans nos disques, on trouve toujours des passages instrumentaux ou des morceaux lents, mais là nous souhaitions avoir des chansons plus courtes et rapides, avec un rythme assez soutenu.

PW : Je suppose qu’on voulait que chaque titre puisse être un single, ce que l’on n’avait jamais envisagé auparavant.

Justement, comment penser en termes de single, vu l’état du marché du disque ?

BS : C’est bizarre, d’autant qu’il y a déjà eu deux singles extraits de l’album (ndlr. Tonight et I’ve Got Your Music). Difficile d’en parler, puisque les gens téléchargent tout des semaines avant même que le single ne sorte. Cela semble finalement un exercice un peu vain, à part considérer le single comme un artefact.

Pour cet album, vous avez à la fois retrouvé des personnes avec qui vous collaborez depuis toujours, comme Ian Catt, et d’autres qui sont entrées dans votre univers plus récemment.

SC : Pendant ces sept ans écoulés depuis notre précédent album, on a notamment rendu visite à Xenomania (ndlr. la maison de production fondée par Brian Higgins et sise dans le Kent), qui a écrit pour Girls Aloud, Sugababes, Kylie ou encore les Pet Shop Boys. C’est d’ailleurs l’une des meilleures choses que l’on ait faite. Nous avons ainsi rencontré Tim Powell et Nick Coler, qui travaillent désormais chacun à leur compte. Nous aurions été fous de ne pas les suivre parce qu’ils sont si bons et tellement perfectionnistes. C’est toujours bien d’avoir l’avis et l’expérience des autres.

BS : Travailler avec eux était réellement excitant, c’est un peu comme commencer une nouvelle histoire. Chacun a ses méthodes de travail : Nick Coler possède une espèce de préfabriqué au fond de son jardin rempli de matériel vintage alors que Tim Powell vient d’installer son studio face à la mer à Brighton.

SC : D’ailleurs, pas de matériel vintage chez Tim Powell, il ne travaille que sur un seul ordinateur !

BS : Avec Ian Catt, cela fait si longtemps qu’on collabore ensemble. On se connaît sur le bout des doigts.

SC : Il a toujours été un bon traducteur pour nous. Au-delà d’une idée, il sait presque télépathiquement ce que l’on recherche et l’exprime au mieux.

Il y a aussi Richard X au générique de l’album.

BS : Qui nous a coûté une fortune…

Quel est votre mode opératoire dans Saint Etienne ?

SC : À l’ancienne. Quand on écrit des chansons, on a tendance à tous y contribuer. Soit l’un d’entre nous a une idée plus forte, soit on travaille littéralement à trois : un bout de texte, un peu de mélodie, etc.

BS : J’ai souvent tendance à finir par oublier qui a fait quoi sur nos chansons…

Une des grandes réussites de ce nouvel album, c’est sa pochette, qui vous ressemble tellement : la passion de la pop à travers les rues de Londres, avec une pointe de nostalgie. Comment l’avez-vous conçue ?

BS : Une carte existait déjà, un ami m’avait envoyé le lien à Noël dernier. Dès que je l’ai vue, j’ai su qu’il fallait que la pochette soit dans cet esprit-là. On a donc rencontré les graphistes qui avaient réalisé la carte originale, mais elle comportait des noms comme Highway 61 Revisited ou 10th Avenue Freeze Out, des titres de chansons qui ne sonnaient pas comme des vrais noms de rue. Il y avait aussi 22 Acacia Avenue d’Iron Maiden, qu’on n’avait pas non plus envie de conserver…

Et vous avez donc renommé toutes les rues ?

BS : Oui, et la carte est différente, il s’agit de Croydon, au Sud de Londres, où Pete et moi avons grandi.

PW : On y a rajouté des repères marrants, des parcs, des petits détails comme ça.

Un jeu parfait pour les music geeks.

SC : C’est un party game (ndlr. un jeu à boire) !

BS : J’aime bien l’idée d’un voyage à travers les rues qui dessine une playlist qui soit différente à chaque trajet.

Vous devriez sortir une édition spéciale avec la bande-son.

BS : C’est vrai.

PW : Un énorme coffret !

Ou un truc interactif sur iPad.

SC : Une appli !

BS : Hum, oui, bonne idée…

Est-il vrai que le titre de Words And Music By Saint Etienne a été trouvé par Lawrence de Go-Kart Mozart ?

BS : Oui. J’ai dû lui demander s’il avait un titre d’album en tête, car on le sollicite régulièrement pour écrire pour nous, mais il refuse toujours. On savait qu’il devait y avoir le mot “music” dans le titre, et Lawrence nous a proposé Words And Music By Saint Etienne, en précisant bien qu’il ne fallait pas simplement écrire Words And Music.

Qu’avez-vous pensé du documentaire à son sujet de Paul Kelly, Lawrence Of Belgravia ?

BS : Il est génial.

SC : Du travail de passionné, un voyage de sept ans avec… Lawrence !

PW : On peut le voir même si on ne connaît rien de Lawrence. C’est un film attirant, chaleureux. Et tragi-comique (ndlr. en français dans le texte).

Avez-vous écouté le nouvel album de Go Kart Mozart, On The Hot Dog Streets ?

BS : Je l’ai tout juste reçu hier, donc pas encore. Vous avez vu la pochette intérieure ? Elle est dingue… Il y a un nombre incroyable de détails, une liste interminable de tout ce que Lawrence lisait et écoutait lorsqu’il travaillait sur ce disque, un vrai manifeste sur Go-Kart Mozart, écrit comme une histoire sur du parchemin ancien.

Vous êtes toujours autant attachés à transmettre votre passion de la musique à travers des compilations.

BS : Oui, il y en a une d’ailleurs qui va sortir, autour du pré-rock’n’roll d’après-guerre, au début des années 50. Elle s’appelle Present Songs For The Lyons Cornerhouse, nommée d’après ces lieux qu’on trouvait dans toute la ville de Londres, et dans tout le pays d’ailleurs. Donc je me suis intéressé à cette musique que certains considèrent comme horrible, en la collectionnant et en la thématisant. À l’heure où tout le monde peut tout écouter, c’est important d’orienter un peu les gens.

Qu’en est-il de ton projet de livre sur l’histoire de la pop moderne, Bob ?

BS : Il sortira au printemps 2013, mais il n’est toujours pas fini ! (Rires.) Écrire un livre est un processus tellement long, mais je suis très proche de la deadline. Je suis également en cours de préparation d’un film qui s’appellera LDN, et qui sera une histoire chronologique de la ville de Londres à travers le XXe siècle. Nous avons pu utiliser les archives du British Film Institute. C’est très excitant, on fera la musique et on écrira l’histoire.

Ce film se présentera sous la forme d’un documentaire ?

BS : En partie, il sera fictionnalisé, parce que le narrateur aura le même âge tout au long du siècle. Il aura des emplois différents et parlera de son expérience. C’est passionnant, car ce sont des recherches historiques qui se focaliseront sur les événements les plus évidents. Il y a tellement de choses à dire sur cette ville…

Interview originalement publiée dans la RPM en septembre 2012.
La réédition de Words and Music by Saint Etienne est disponible pour le premier samedi du Disquaire Day 2020.

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