R. E. Seraphin, Tiny Shapes (Paisley Shirt Records)

Pour contrebalancer l’anéantissement provisoirement contraint de la cueillette du muguet ou des grandes escapades printanières, nous sommes quelques-uns à avoir au moins pu nous délecter de l’événement majeur de ce week-end dernier. Au beau milieu d’un pseudo- pont du 1er mai qui s’est contenté d’enjamber les deux rives tristement identiques d’un long fleuve d’ennui, la diffusion gratuite pendant quelques jours de Teenage Superstars (2017) brillant documentaire consacré par Grant McPhee à l’émergence de la scène indie-pop écossaise tout au long des années 1980, a offert aux amateurs – mais qui donc songerait à ne pas l’être ?- quelques heures privilégiées de délectation nostalgique et de souvenirs partagés en compagnie de ces quelques tout jeunes hommes de plus de cinquante ans nommés Duglas T. Stewart, Eugene Kelly, Norman Blake ou Stephen McRobbie – on en passe, mais peu de meilleurs. Dans une séquence pré-générique introductive, le leader des Pastels raconte ainsi comment sa conversion au punk a débuté par un passage chez le coiffeur et lui a couté, quelques heures plus tard, un cuisant coup de soleil sur ses oreilles peu habituées à une exposition si intense aux rayonnements. D’emblée, la souffrance presque dérisoire associée à l’exaltation de la liberté fraîchement conquise : au-delà même de la métaphore ou de l’anecdote, il y a quelque chose d’une vérité profonde qui semble traverser les époques et s’inscrire durablement dans les prolongements de cette tradition musicale dont les Vaselines ou les BMX Bandits ont constitué les maillons si vitaux.

Il faudra bien se pencher un jour sur ces mystérieux cheminements de l’écoute qui semblent laisser si peu de place à l’aléa. Peut-être ne s’agit-il que d’une illusion rétrospective mais tout semble si souvent s’enchaîner dans la fluidité presque parfaite des associations musicales. « Marabout… » : je regarde Teenage Superstars deux fois de suite samedi soir. « …Bout de ficelle…  » : je me retrouve quelques heures plus tard à converser nuitamment avec le jeune et sympathique Ray Seraphin qui me remercie d’avoir fait l’acquisition de ses œuvres au cours de la grande journée promotionnelle organisée la veille par Bandcamp. Et notamment de son premier album solo, Tiny Shapes qu’il s’agit bien d’évoquer aujourd’hui – si, si ! – au terme de ces quelques détours. C’est bien, en effet, cette même sensation de brulure auriculaire évoquée par Stephen Pastel que l’on éprouve à l’écoute de ces couches de guitares, compressées et saturées, et de ces buissons d’épineux électriques qui dissimulent, avec un malin plaisir, des mélodies étincelantes qui se révèlent dans une apothéose d’autant plus jouissive qu’elle est précédée par l’effort douloureux. Déjà auteur en tant que leader des Talkies de deux jolis albums pleins de chansons pop, bruyantes et mal peignées – Bright / Sunny (2016) et Kowtow (2018) – le Californien s’inscrit ici plus brillamment encore dans les traces glorieuses et fécondes de tous ceux de ses aînés qui ont un jour refusé de s’auto-censurer ou de se laisser contenir par la conscience de leurs propres limites. Boostées par les astuces de production pertinentes de Jay Leal – déjà aperçu au cours de ces collaborations avec Tony Molina, cet autre maître de l’urgence approximative et de la mélodie express : jamais de hasard, je vous dis – ces dix titres romantiques et boudeurs s’enchaînent avec l’aplomb au charme instantané que possèdent seuls ceux qui ne se préoccupent ni des gains ni des pertes. Avec une voix chargée de toutes les crispations adolescentes et qui n’est pas sans rappeler celle du jeune Peter Perrett, Seraphin renoue avec les vertus d’un primitivisme inspiré, oscillant sans complexe autour de chaque note pour mieux tracer ses propres méandres. Croquante dehors, fondante dedans : cette pop de barre chocolatée redécouvre les vraies vertus de la spontanéité naïve : celles qui, comme le dit si bien Pastel, permettent d’empoigner sa guitare sans savoir à l’avance ce qui va se passer.

Une réflexion sur « R. E. Seraphin, Tiny Shapes (Paisley Shirt Records) »

  1. Sympathique Seraphin, mais un rien « propret » tout de même.
    Le documentaire est effectivement très bien // C’est le confinement qui vous rend tout nostalgique comme ça ??

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