Musicien, poète, écrivain ou encore peintre, Billy Childish est l’un des trésors les mieux cachés de Chatham dans le Kent et de l’Empire britannique ou ce qu’il en reste. Le type qui a initié pleins de modes sans jamais l’être, à la mode. Un outsider qui a toujours revendiqué — et souvent avec malice — son indépendance. Et pourtant, l’œuvre de cet apôtre du do it yourself est monumentale : en quarante-deux ans de carrière, il a enregistré et produit plus d’une centaine de disques, publié cinq romans, une quarantaine de recueils de poésie et peint plus de 2500 tableaux. Très rare sur scène, il jouera ce soir au Festival BBMIX 2019 à Boulogne Billancourt. Juste avant, quelques éléments d’une vie agitée et extrêmement prolifique. Ladies and gentlemen, the great Billy Childish !
« I don’t want to be part of the music business, the art establishment or the literary world. They have nothing to do with what making music, making pictures and writing is about. It should be about trying to know yourself, trying to see through your own stupidity, and trying to communicate with people in as real a way as you can. »
– Billy Childish
William Charlie Hamper aka Billy Childish narre une enfance cauchemardesque dans son autobiographie My Fault ; très jeune il est victime d’abus sexuels, de violences physiques et psychologiques, beaucoup de ses œuvres futures y feront référence. Il quitte l’école à seize ans et débute un boulot de tailleur de pierres qui ne durera que six mois et sera sa seule et unique expérience du salariat conventionnel.
En 1977, le mouvement punk démontre qu’on peut exprimer beaucoup de choses avec seulement 2 ou 3 accords ; le jeune Billy décide de monter un groupe avec son ami Russ Wilkins, The Pop Rivets. Le temps de sortir deux albums, un 45T, une Peel Session et de tourner dans quelques villes européennes, le groupe se sépare en 1980.
Très vite, Thee Milkshakes sont formés sur les cendres fumantes des Pop Rivets, on y retrouve la même énergie et spontanéité, mais avec des influences plus sixties. Encore une fois, Billy y applique sa formule consacrée : enregistrer vite, de façon autonome, spontanée et sans trop de moyens financiers. En 1984, il va jusqu’à produire quatre LP de Thee Milkshakes en l’espace de deux jours. La même année, le groupe se sépare. En parallèle, Billy Childish, ayant vraisemblablement peur du désœuvrement, commence à produire les Delmonas, girl group qui sortira aussi une flopée de disques.
Peu de temps après, Thee Mighty Caesars voient le jour, trio composé de Bruce Band (qui sera vite remplacé par Graham Day) à la batterie, John Agnew à la basse et Childish guitare et chant. Avec un son plus primitif que ses formations précédentes, les Caesars et leurs huit albums influenceront de nombreux groupes. Entre autres : Nirvana, The Mummies ou encore Mudhoney. Ces derniers reprennant You Make Me Die des Mighty Caesars avec Billy au chant, sur un 45T sorti chez Sub Pop.
En 1990, Thee Headcoats succèdent aux défunts Mighty Caesars et seront encore plus prolifiques : dix-neuf albums et plus de quarante EP sortis sur pas moins d’une vingtaine de labels différents. Le groupe tourne dans le monde entier, rejoint parfois par des ex-Delmonas (Holly Golightly, Ludella Black, Kyra Rubella et Bongo Debbie) au chant, se transformant à ces occasions en Thee Headcoatees. Une dizaine d’années plus tard, Billy Childish forme Wild Billy Childish & The Friends of the Buff Medways Fanciers Association avec Graham Day (ex-Mighty Caesars) et Wolf Howard. Le groupe (qui a vite raccourci son nom en Buff Medways) rencontre un plus grand succès en signant deux albums sur Transcopic, le label de Graham Coxon, grand fan de Childish. Sur scène, vêtus d’uniformes militaires victoriens, le groupe joue sur des amplis Vox vintage. À l’instar des Headcoats, les Buff Medways auront leur version féminine : The Buffets.
Wild Billy Childish revient en 2006 — façon de parler, il n’était jamais vraiment parti— avec The Musicians of The British Empire (MBE pour les intimes), le groupe compte Wolf Howard (ex Buff Medways) à la batterie et la femme de Childish, Nurse Julie à la basse. Fidèle à sa tradition de changer d’identité aussi vite que son ombre, les MBE mutent parfois en CTMF ou The Chatams Forts.
Tout au long de sa prolifique carrière, Billy Childish a multiplié les casquettes et généré bien des vocations, aussi bien au sein de sa communauté, la Medway Scene (The Dentists, The Claim, The Prisoners…) mais également sur le plan international. Pour citer quelques admirateurs célèbres : Shane McGowan des Pogues, le réalisateur Larry Clark ou encore Kylie Minogue dont l’album Impossible Princess tire son nom d’un livre de Childish, Poems to Break the Harts of Impossible Princesses. Nick Cave lui en avait offert un exemplaire, pour la petite histoire. Jack White des White Stripes reprenait souvent des morceaux de Childish sur scène, et lui doit d’ailleurs beaucoup au niveau de la rugosité spontanée. Childish avait demandé à ce dernier de produire l’un de ses albums ; requête refusée par la maison de disques de Jack White, reprochant à Childish son amateurisme. Une histoire d’amour qui tournera court, les deux gaillards se chamailleront bien plus tard par presse interposée, l’Anglais moustachu ayant un peu chatouillé l’ego surdimensionné du chanteur des White Stripes. « Il est jaloux de moi : j’ai une plus grosse collection de chapeaux, une bien plus belle moustache et une sens de l’humour plus développé ».
La peinture et la poésie tiennent une part importante dans l’imposante production culturelle de Billy Childish. En marge de sa courte expérience de tailleur de pierres, il produit un portfolio de 600 dessins qui lui permet d’entrer dans la prestigieuse St Martin’s High School afin d’y étudier la peinture. Il s’y fera expulser à plusieurs reprises, le jeune homme est déjà un brin provocateur. En bon autodidacte, cet échec ne l’empêchera pas de continuer dans cette voie. Peu de temps après, il entame une relation avec l’artiste Tracey Emin, dont le travail sera fortement influencé par Childish bien que cette dernière s’en défendra.
En parallèle, il fonde en 1982, la maison d’édition Hangman Books qui publie, outre ses propres textes, des auteurs et poètes tels que Sexton Ming, Dan Melchior, Wolf Howard, Louis-Ferdinand Céline, parmi tant d’autres. Les activités de Hangman se diversifieront : à partir de 1986, il édite également des disques, notamment ses multiples projets ainsi que beaucoup d’autres groupes (The Prisoners, The Masonics, Wreckless Eric…)
En 1999, il créé avec son ami Charles Thompson le Stuckism, mouvement artistique qui se revendique pro-figuratif et anti-conceptuel, mais qui s’oppose surtout à « l’Art Establishment ». Childish partira quelques années plus tard, en désaccord avec les actions des membres : « J’aimais l’idée de m’opposer, moins de manifester ».
Inspiré par les portraits de Van Gogh, les paysages de Edvard Munch ou encore le dadaïsme, notamment l’artiste allemand Kurt Schwitters, Childish crée une œuvre visuelle multiforme : collages, dessins et peintures. Ces dernières années, Childish a privilégié la peinture à la musique (ce qui ne l’a pas empêché de sortir quelques disques) et exposé ses toiles dans de nombreuses galeries internationales.
Son fils aîné Huddie Hamper (qu’il a eu avec Kyra Rubella des Delmonas) semble prendre la même voie que son moustachu de père et a formé The Shadracks l’année dernière.
La dernière fois que nous avons pu voir Childish sur scène en France, c’était le 3 décembre 2003, avec les Buff Medways. Malgré une corde pétée à la fin du set, le public du Nouveau Casino en garde un souvenir brûlant, et gageons que celles et ceux qui ont vu la lumière ce soir-là seront ce soir au Carré Bellefeuille. Car dix-sept ans plus tard, le maître occulte du garage punk est enfin de retour. On a beau être patient, on n’en est pas moins sévèrement exalté.