Piroshka, Brickbat (Bella Union / PIAS)

Piroshka BrickbatJ’étais à peu près sûr de ne pas avoir jeté « jeté » ces premiers mails reçus le 18 septembre 2017, à une époque où j’avais la tête ailleurs. Je n’avais donc pas tout à fait réagi comme il se devait à la nouvelle – comme il se devait ? Faire des bonds de cabri dans le salon, ressortir tous les disques des personnes concernées (une vingtaine de disques au total), déboucher une bouteille de vin (Rioja, merci), passer une nuit blanche à tout réécouter et tirer quelques plans sur la comète. Pour résumer, depuis Londres, un ami un peu perdu de vu — mais beaucoup croisé dans les années 1990 – m’annonçait la naissance d’un nouveau projet avec sa compagne. Cette nouvelle, en fait, je l’attendais depuis plus de deux décennies.

Depuis que Kevin J McKillop, alias Moose, partageait sa vie avec Miki Berenyi — égérie de 4AD à la tête de Lush avec Emma Anderson – l’un des rares groupes de la scène indé à respecter la parité. Car toutes ces années, c’est resté un mystère : pourquoi ces deux acteurs de la scène britannique des années 1990 – aux fortunes diverses mais aux talents au moins équivalents et à l’érudition commune (Love, American Spring, The Gist, The Pale Fountains, Colourbox, Elvis, Charlie Rich, Dusty, Wire…) – n’avaient jamais rien enregistré ensemble ? La parentalité, les boulots pour payer le loyer, la paresse (de lui), sans doute. Et aussi (surtout), la séparation traumatisante de Lush en 1996…

Piroshka
Piroshka

Paradoxalement, Piroshka n’est pas né dans le salon du couple, mais lors de la (seconde) fin de Lush, reformé en 2016 (avec l’ex-Elastica Justin Welch pour remplacer le regretté Chris Acland à la batterie) le temps de tournées américaines et européennes et d’un nouvel EP. Avec le recul, la fausse bonne idée. Malgré l’engouement du public et des critiques, l’aventure se termine en eau de boudin (note pour plus tard : tout faire pour éviter qu’une histoire se répète), le bassiste Phil King claque la porte avant un ultime concert prévu à Manchester, remplacé au pied levé par une vieille connaissance, Mick Conroy, pilier de Modern English, mais aussi croisé chez Moose ou Stereolab. Le rideau à peine tombé et Emma Anderson tout juste envolée, le trio décide d’écrire une nouvelle histoire. “Comme je faisais écouter nos premières idées à Moose, il m’a paru évident de lui demander de s’impliquer dans le projet…”, confie à ce moment précis l’ex-fille aux cheveux rouges. Et puis, donc, ces premiers mails. Le groupe n’a pas encore de label – c’est finalement une autre vieille connaissance (décidément), Simon Raymonde, qui les accueillera sur Bella Union –, ni même de nom d’ailleurs. Mais déjà une poignée de chansons, dont What’s Next (alors baptisée Time’s Up), petite cavalcade pop dont le refrain vrille la tête et qui dans un monde parfait serait un hit certifié. Exact, on sait déjà à quoi s’attendre : à des chansons entre autres façonnées par l’un des meilleurs auteurs compositeurs de la Prude Albion (McKillop), à un nouveau groupe qui a déjà une histoire – et quelle histoire. Mais si les fondations sont connues (on croise ici et là quelques fantômes), les surprises restent au rendez-vous, en particulier lors d’arrangements toujours pertinents, qu’ils lorgnent vers un certain classicisme sixties ou qu’ils fassent la part belle à l’électronique. Alors, il y a dans Brickbat des chansons qui vous pincent le cœur et filent le grand frisson, à l’instar de Village Of The Damned, qui sonne au départ comme un inédit surgi d’Honey Bee (Moose, 1993), puis qui, orné d’instruments à cordes et à vents et mené par cette voix évanescente, se transforme en balade inédite pour Macadam Cowboy. Des cordes, il en pleut sur Blameless, ode à la mélancolie qui rend un peu plus belle la vie – la mienne en tout cas et entre nous, c’est déjà beaucoup. Et si Heartbeats portait le titre de travail de Lullaby, ce n’est peut-être pas hasard : violons inquiétants, basse trainante et guitares réverbérées accompagnent un chant qui invite à l’introspection – alors que la répétition du mot “superstar” ravive forcément le fantôme d’American Spring.

Mais Piroshka sait aussi faire parler la poudre et transformer ses compositions en glam de fond, à l’instar de This Must Be Bedlam, qui ouvre le disque bille en tête, ou Run For Your Life, dont les accents punk se marient à la perfection à une ritournelle déjà croisée dans un tube disco – Let’s All Chant du Michael Zager Band –, histoire de mieux trotter dans la tête et donner des fourmis dans les jambes. Lancé en éclaireur en fin d’année dernière, Everlastingly Yours a gardé tout son charme automnal tandis que She’s Unreal ponctue l’album avec une élégance martiale et l’une de ces mélodies à tiroir qui invite à la flânerie, guidée par un mille-feuilles vocal dont Miki Berenyi a le secret. Alors, lorsque Brickbat s’achève, on devine que ce disque ne sera pas celui d’une seule saison, qu’il n’est pas que le feu de paille accompagnant de chouettes retrouvailles. Au contraire, on devine déjà qu’il se dévoilera un peu plus à chaque écoute et qu’à partir d’un passé recomposé, il offre un présent et surtout un futur à ses auteurs.

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