Hicks & Figuri, Navaja (Herzfeld)

Il y a deux automnes, au fin fond d’une vallée des Vosges du nord, dans une petite maison ouverte au quatre vents, le grand frère avait organisé un festival, à quelques mètres de vaches, les mammifères les plus pacifiques de la terre, qui paissaient, en silence… Il y avait aussi des saucisses qui grillaient dans un coin bar, tenu par les vieux parents, des enfants qui partaient en exploration, et quelques groupes (celui du grand frère donc, celui du cousin), un DJ qui vidait sans le vouloir la piste de danse et même une projection de film d’horreur à une heure du matin, devant laquelle tout le monde s’endormait. Une histoire de famille.

C’est là que je me suis (re) connecté avec la musique de Pierre Walter, alias Hicks & Figuri, venu jouer son répertoire en quarante-cinq minutes, enchaînant, sans mot pour le public épars, très courtes chansons émotionnelles, ballades sombres, mélodies lumineuses, sans interruption, comme un fil qu’il tirait le plus vite possible, de peur de le perdre, ou comme on prend une grande inspiration, avant de se jeter à l’eau. Je vous passe les innombrables pistes que Pierre Walter a exploré durant les presque vingt années où nos routes se sont croisées. D’abord parce que ça serait très long et fastidieux ; d’autre part, parce que le strasbourgeois semble vouloir échapper en permanence à ses précédentes incarnations – dès qu’elle lui pèse, dès qu’elles sont reconnues – et parce qu’il ne semble rien aimer d’autre que l’anonymat d’un CD-R, d’un bandcamp, d’une participation aux disques de ses amis. Jouer en artisan amateur, comme une façon d’être dans le moment présent, et rien d’autre. Je parlerai de miracle donc, pour ce CD, Navaja (un couteau, ou peut-être un féminin fantasmé de Navajo, qui sait?), retour inespéré dans la discographie du label Herzfeld (quand il en était parti, après un disque en trio sous le nom de Loyola, il y a quelques années, quelqu’un avait glissé : « C’est l’âme du label qui s’en va »). Les treize miniatures enregistrées sur un 4-pistes, véritable instrument de prédilection de son propriétaire, le montrent dans son petit monde, bien calé : en retrait, en équilibre fragile entre désespérance légère et ouverture aux sentiments des gens qu’il croise, des films, des disques et des livres dans lesquels il se reconnaît : des histoires d’amour, de substances, d’amitiés, un bout d’Amérique, un mot japonais, quelques claviers, des boîtes à rythmes, une guitare avec des cordes en nylon… Hicks & Figuri fait fi de son matériel limité pour délivrer avec profondeur des versions délicatement différentes d’une même chanson, celle de sa vie.

Navaja est à écouter sur YouTube ici.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *