Crépuscule californien

Retour sur la disparition de Neil Casal, un des grands de l’Americana.

Neal Casal
Neal Casal

Disparu brusquement, et plutôt tragiquement, dans la dernière ligne droite d’un mois d’août 2019 qui se sera avéré particulièrement cruel, Neal Casal méritait un hommage, ne serait-ce que pour la poignée de disques précieux qu’il aura sortis, il y a plus de vingt ans, entre Fade Away Diamond Time (Zoo Entertainment, 1995) et Anytime Tomorrow (Glitterhouse, 2000).

Le suicide de Neal Casal, le 26 août dernier, a suscité une vive émotion chez de nombreux fans de rock, et plus spécialement chez tous ceux qui auront eu l’occasion de le croiser lors de l’un ou l’autre de ses nombreux concerts dans les petites salles hexagonales, au début des années 2000, à l’époque où le label Fargo rééditait ses premiers disques et assurait sa promotion auprès du public français. En effet, il semble important de rappeler que, bien avant d’avoir été un équipier de rêve pour le Chris Robinson Brotherhood et l’un des guitaristes les plus recherchés du rock californien récent (de Mark Olson aux Fruit Bats, en passant par les Cardinals de Ryan Adams, Tift Merritt et les incontournables Beachwood Sparks), l’auteur de Basement Dreams aura surtout été, entre la fin des années 90 et le début des années 2000, l’un des talents les plus singuliers d’une scène néo-country teintée de rock classique que l’on nommait encore, à cette époque (et peut-être plus vraiment aujourd’hui), « americana ». Et pour tous ceux qui, en France, regrettaient de n’avoir jamais vraiment eu l’occasion de voir les Jayhawks, Uncle Tupelo ou le Wilco de Being There en concert, Neal Casal aura, sur une courte période de quelques années, endossé bravement le rôle de l’ »ami américain », d’une sorte d’ambassadeur d’un rock classique sobre et élégant, célébrant implicitement l’idée d’une Amérique atemporelle, façonnée par les grands espaces et hantée par les héritages croisés du folk, du rock et de la country.

Fasciné par le rock mainstream de Jackson Browne, par la déglingue maîtrisée des Stones d’Exile on Main Street et par la gravité brute des chansons de Townes Van Zandt, Neal Casal était avant tout un artiste humble et généreux, obsédé par l’idée du travail bien fait, mais aussi un idéaliste habité par l’envie de retrouver le goût d’un certain âge d’or musical. En 1995, l’échec commercial de Fade Away Diamond Time (pourtant son meilleur disque) et sa rupture douloureuse avec le label Zoo Entertainment (une filiale de BMG) l’avaient durablement marqué, l’obligeant notamment à partir en reconquête avec, peut-être, aussi, en creux, la vague impression d’avoir laissé passer sa chance. Heureusement, l’Europe n’aura pas attendu longtemps avant de lui tendre les bras et Neal Casal se sera vite relancé, d’abord chez Glitterhouse, puis chez Fargo.

Avec les Allemands, Neal Casal aura sans doute connu la période la plus intense et la plus prolifique de sa carrière, signant pas moins de six albums en cinq ans, dont l’excellent Basement Dreams. Ensuite, à partir de la sortie d’Anytime Tomorrow en 2000 (2), Fargo prendra le relais. Orchestrée avec ferveur et obstination par l’ancien label parisien, sa carrière française se développera alors en trois temps, d’abord avec Anytime Tomorrow et les rééditions de trois albums clés (Rain, Wind and Speed, The Sun Rises Here et Basement Dreams), puis avec quelques disques de transition (une compilation, Maybe California, un disque de reprises, Return in Kind, et deux albums de son groupe Hazy Malaze) et, enfin, avec des albums plus tardifs (No Wish to Reminisce, Roots and Wings et Sweeten the Distance, produits par Fargo et réalisés entre 2006 et 2011) qui auront, malheureusement, plus de mal à trouver leur public.

Neil Casal
Neil Casal

Finalement, dans la dernière partie de sa carrière, Neal Casal retrouvera sa place sur la scène américaine en se posant dans l’ombre de figures plus installées, comme Ryan Adams, Chris Robinson et quelques autres. Devenu incontournable au sein de la fameuse communauté des Dead Heads, Casal aura ainsi joué avec tous les survivants du Grateful Dead et même écrit, avec son groupe Circles Around The Sun, les interludes musicaux des concerts de reformation du combo phare de la scène psychédélique californienne. Il y a, d’ailleurs, une certaine ironie à songer que cette musique anonyme et utilitaire, jouée dans des stades et devant un public immense, aura sans doute été celle qui, au bout du compte, lui aura amené l’audience la plus large.

Neal Casal n’était sans doute pas l’artiste le plus révolutionnaire de son temps, il n’avait même jamais cherché à l’être, mais il aura marqué son public grâce à un répertoire sensible et racé, ponctué d’une belle série de titres atemporels tels Break Even, Maybe California, Today I’m Gonna Bleed ou Me and Queen Sylvia, et laissé, in fine, l’image d’un homme honnête et bienveillant, curieux des autres et toujours positif. Mais sa fin tragique et brutale aura notamment rappelé que, derrière ses sourires et la grace de ses performances souvent impeccables, l’auteur de Best to Believe avait aussi du mal à ne pas laisser percer une forme de mélancolie sourde qui, chez lui, n’avait malheureusement rien d’anodin. Et s’il est difficle de ne pas repenser, aujourd’hui, à la chanson Free Light of Day, un titre daté de 1999 qui évoquait très directement la découverte d’un corps suicidé (« Today someone died / And I’m sorry to say / By suicide / In the free light of day »), les paroles terriblement mélancoliques de Death of a Dream, un titre paru sur No Wish to Reminisce reviennent aussi en mémoire et interpellent, inévitablement.

« I thought I’d learned my lesson
/ I thought I had it all / 
I never thought I had find myself with my back against the wall

I’m waiting in a corner / 
For a chance to make my move
/ To come as far as me
With still so much left to prove

Death of a dream
/ Death of a dream
/ How much do I have to see
/ Before I believe ? »

Bonus : Interview avec Neil Casal

Neil Casal back in the days.
Neil Casal back in the days.

Au printemps 2000, Neal Casal jouait à Paris en première partie des Czars. A l’époque, Anytime Tomorrow venait de sortir et sa carrière française démarrait tout juste. Wilco et les Jayhawks, deux groupes importants de la scène americana des années 90 avaient déjà amorcé un virage pop des plus significatifs et les Strokes et les White Stripes s’apprêtaient à prendre les commandes du rock américain. Réalisée pour le magazine Rock & Folk, l’inteview n’avait jamais été totalement exploitée. Sa retransciption permet de retrouver un Neal Casal enthousiaste et plein d’espoir, à un moment où sa carrière semblait enfin prête à redécoller.

Anytime Tomorrow est un album plus rock que The Sun Rises Here ou Basement Dreams. Est-ce que cela vient d’une intention que vous aviez, dès le départ, ou est-ce que ce changement est plutôt venu avec la tonalité générale de vos nouvelles chansons  ?
Neal Casal : Non, c’était vraiment un choix. En fait, depuis deux ans, j’ai surtout enregistré des albums acoustiques. Là, je voulais retrouver des sonorités plus électriques, afin d’éviter de me retrouver coincé dans un style précis. J’écoute des musiques différentes et j’ai besoin que mes disques reflètent cet éclectisme. Pour moi, ce disque est avant tout une concrétisation de mon vieux rêve de devenir guitariste rythmique. C’est là que se situent mes racines, mais je tenais aussi à ce que ce son rock puisse se mêler à une écriture plus raffinée. C’est pour cela que j’ai écrit une chanson comme Oceanview, qui me permet d’explorer en même temps un terrain plus pop.

Justement, cette chanson, Oceanview, est très différente lorsque vous la jouez sur scène. Sur disque, elle semble très inspirée par le son des Beach Boys, époque Surf’s Up, alors que, sur scène, elle prend une dimension totalement psychédélique…
Oui, cette chanson a beaucoup évolué depuis que nous la jouons sur scène. J’adorerais avoir la possibilité de la réenregistrer aujourd’hui, car elle est bien plus rock et psychédélique. Après, je crois aussi que ça se passe toujours un peu comme ça : les groupes sont souvent meilleurs sur scène. Avant, mes disques étaient meilleurs que mes concerts ; aujourd’hui, c’est l’inverse. Il me semble que c’est une bonne chose.

En vous regardant jouer sur scène avec vos musiciens, je me disais que vous aviez un peu l’air de Black Crowes qui auraient plus écouté les Byrds que Humble Pie.
Oui, nos influences restent très américaines, même si nous aimons aussi Led Zeppelin, par exemple. En fait, je dirais que je reste, avant tout, préoccupé par le songwriting. Pour reprendre votre comparaison, je dirais que nous avons sans doute plus d’affinités avec le répertoire des Small Faces qu’avec celui de Humble Pie.

Neil Casal
Neil Casal

Il y a quelque chose de très simple et de très naturel dans votre écriture.
Ma façon d’aborder l’écriture découle directement de la tradition folk. Quand j’écris une chanson, je suis toujours obsédé par l’idée qu’elle puisse résister à l’épreuve du temps. Pour cela, je me dis qu’elle doit pouvoir fonctionner avec seulement une guitare acoustique ou un piano. Je pense que ce souci du songwriting sera toujours ma priorité. Maintenant, j’ai aussi envie que mes prochains disques reflètent davantage la diversité de mes goûts. Anytime Tomorrow était un disque important pour moi. Il a été difficile à réaliser, car il m’obligeait aussi à changer mes habitudes. Mais j’avais aussi besoin d’atteindre certains objectifs que je m’étais fixés pour gagner de la confiance. Désormais, je me sens libre de tenter quelque chose de complètement nouveau.

Vous comptez retravailler avec Jim Scott ?
Oui, c’est possible. En même temps, j’ai déjà pas mal travaillé avec lui. Donc, c’est peut-être aussi le moment de changer. Tout va très bien avec Jim, mais il me semble qu’il est toujours un peu périlleux de s’installer dans une formule trop confortable.

Il a aussi travaillé avec Wilco, non ?
Oui, il a mixé Summerteeth. Mais il a aussi produit Fade Away Diamond Time, mon premier album. On a beaucoup travaillé ensemble et je pense qu’on peut encore avancer dans notre collaboration. En même temps, comme j’ai envie de faire quelque chose de très différent avec mon prochain album, je me dis qu’il vaudrait sans doute mieux que je travaille avec un nouveau producteur.

En gros, ce que vous expliquez c’est que vous avez commencé votre carière comme un singer-songwriter et que, maintenant, vous cherchez à évoluer vers autre chose…
Oui, définitivement. Je crois que ce serait terrible, pour moi, de finir par n’être considéré que comme un artiste folk. Il est évident que le folk est à la base de toute ma musique mais mes ambitions vont tellement au-delà du simple songwriting que ce serait dommage de la réduire à ça. En fait, Mon but est de parvenir à mélanger un songwriting solide avec de réelles audaces soniques qui dépassent complètement tout ce que j’ai pu faire jusqu’à présent. Vous savez, j’ai déjà enregistré sept albums et il est temps pour moi d’évoluer, d’essayer de nouvelles choses. Je veux travailler avec des musiciens qui me permettent d’envisager ma musique autrement. Bien sûr, je sais bien que je ne vais pas révolutionner le rock et je n’en ai, d’ailleurs, pas l’intention. Mais je veux absolument éviter de me laisser enfermer dans un style aussi étriqué que le son rock “classique”.

Les musiciens de Wilco sont parvenus à rénover le son classique qu’ils avaient jusqu’à Being There. Ils ont intégrés de nouveaux éléments qui se sont avérés complètement décisifs quant à la réussite de Summerteeth.
Oui, ils sont même devenus encore plus intéressants ! Je crois, d’ailleurs, que c’est typique des musiciens qui jouent dans un certain style depuis un certain temps. Au bout d’un moment, ils en ont marre et essayent de nouvelles choses. C’est là que j’en suis actuellement. Mais je n’ai pas non plus envie de sonner comme Wilco. Je veux trouver ma propre voie.

Vous venez d’enregistrer sept albums en six ans, mais vous êtes toujours une sorte d’artiste culte. Est-ce que vous n’avez pas l’impression que votre manque de reconnaissance actuel est aussi, justement, ce qui vous a permis de sortir beaucoup de disques et d’évoluer comme vous l’entendiez ?
Oui, tout à fait. D’ailleurs, le plus bizarre est que ma carrière s’est un peu déroulée à l’envers. D’habitude, les groupes commencent sur des labels indépendants et finissent sur des majors. Pour moi, ça a été l’inverse. Mon premier album est sorti sur une major pour qui j’ai joué le jeu pendant près d’un an. Malheureusement, ça ne m’a pas du tout plu et j’ai fini par me faire virer. Avec le recul, je me dis que c’est peut-être la meilleure chose qui me soit arrivée, car, depuis qu’ils m’ont lâché, j’ai pu enregistrer six albums. Or, cela aurait été impossible si j’étais resté chez eux ! Je n’aurais sûrement pas pu en sortir plus de trois ! Donc il est clair que cette situation est bien plus profitable pour moi, maintenant, qu’elle ne l’aurait été si j’étais resté dépendant d’une major.

L’inconvénient, c’est que vos albums deviennent vite difficile à trouver.
Oui, c’est vrai que j’ai un problème de ce côté-là. En fait, je n’ai plus de contrat aux Etats-Unis. Heureusement, en Europe, je suis plutôt bien traité et mon audience grandit doucement, d’un album à l’autre ; je ne sais pas si je manque d’ambition, mais c’est vraiment tout ce que je demande. Bien sûr, ce serait super de vendre trois millions d’albums, mais ce n’est pas ce que j’attends de la musique. Je ne dis pas que je n’ai pas eu cette ambition lorsque j’étais plus jeune, mais, aujourd’hui, vraiment, ça ne compte plus. Au point où j’en suis, mon audience est limitée, mais je sais qu’elle est fidèle et attentive. Quand je regarde les gens en concert, je sais que le courant passe et qu’ils sont là pour de bonnes raisons. Pour moi, c’est ce qu’il y a de plus gratifiant et cela suffit à me pousser à continuer.

Avez-vous entendu le dernier Jayhawks ?
Lequel ? Sound of Lies ou Smile ?

Smile. En fait, je vous en parle, parce que j’ai l’impression qu’ils ont complètement loupé le coche avec ce disque.
Oui, on dirait qu’ils ont tout fait pour vendre plus d’albums.

J’ai l’impression qu’ils ont perdu, d’un coup, tout ce qui faisait l’originalité de Sound of Lies et je ne suis pas certain que cela leur permette vraiment de conquérir un nouveau public.
Vous savez, les Jayhawks ont été l’un de mes groupes préférés. J’ai vraiment été un fan absolu de leur première formation, celle d’il y a dix ans (avec Mark Olson, ndA). Le jeu de Gary Louris et des disques comme Blue Earth, Hollywood Town Hall ou Tomorrow The Green Grass ont été très importants pour moi. En fait, ils ont un peu été le dernier grand groupe de mon adolescence, le dernier dont j’ai vraiment été fan. Mais je dois aussi dire qu’après le départ de Mark Olson, ce n’était vraiment plus pareil. J’adore Sound of Lies mais, pour moi, c’est l’œuvre d’un autre groupe. Après, c’est délicat pour moi d’en parler, car je ne connais pas leurs motivations. Je ne sais pas ce qui leur est passé par la tête. A mon échelle, un disque comme Anytime Tomorrow représente ce que je pourrais faire de plus commercial. Je n’irai pas plus loin, ça, je peux vous l’assurer. J’adore les chansons qu’il y a dessus, je suis ravi des performances des musiciens et je pense que le disque est tout à fait cohérent, mais je n’ai plus qu’une envie : aller dans la direction complètement opposée ! Neil Young a dit que, quand il s’était retrouvé au “milieu de la route”, du temps de Harvest, il avait trouvé ça chiant et s’était empressé de retourner dans le fossé. J’ai envie de m’inspirer de ça. Je sais que ce sera sans doute difficile, mais c’est vraiment ce que je veux faire. Je ne pense pas que j’enregistrerai un autre disque comme Anytime Tomorrow avant longtemps. De même qu’il est peu probable que je reprenne les mêmes musiciens pour mes prochains albums. Franchement, quand je vois le casting de ce disque, de Don Heffington à Bob Glaub ou Greg Leisz, des mecs qui ont joué avec tout le monde, de Beck à Bob Dylan, je me dis que j’aurai vraiment du mal à trouver mieux. Après, ils étaient avec moi sur mon premier album et je les considère comme mes professeurs. Il y a cinq ou six ans, j’avais vraiment besoin d’eux pour devenir un vrai musicien. Mais, aujourd’hui, il faut que je m’affirme par moi-même et que je sois capable de foutre en l’air tous mes acquis pour repartir sur de nouvelles bases. Je dois trouver un son qui soit à la fois nouveau et excitant pour moi. C’est primordial. Il y a deux jours, quelqu’un m’a dit : « Pourquoi veux-tu changer de son maintenant ? C’est de la folie, tu commences enfin à trouver ton public. Pourquoi tout remettre en cause maintenant ? » Et je lui ai répondu que cela fait près de dix ans que je travaille sur ce son et que, pour moi, il est devenu impératif d’évoluer vers autre chose. Je ne sais pas encore vers quoi, mais j’ai bien l’intention de trouver !

Est-ce que le morceau Oceanview pourrait être une sorte de point de départ pour ce nouveau son ?
Oui, certainement. J’aime beaucoup la version du disque, d’ailleurs. Ce que j’aime aussi, avec cette chanson, c’est qu’on m’a vivement déconseillé de l’enregistrer. Des amis me disaient : « Ne fais pas ça, ce n’est pas toi ! » Et je leur répondais : « Je n’y peux rien, il faut que je le fasse. » Jim Scott a été la seule personne à croire en cette chanson. Il a dit : « Super, allons-y ! » Et il avait raison, car tout s’est très bien passé ! Ensuite, je l’ai présentée aux gens de ma maison de disques qui m’ont tous dit : « Enlève ça, c’est horrible ! » J’ai vraiment dû me battre pour cette chanson ! Au final, je pense qu’elle sort vraiment du lot et que c’est pour cette raison qu’il fallait qu’elle soit sur ce disque. Personne ne veut d’un album uniforme et identique du début à la fin. Une chanson comme celle-là est essentielle pour donner plus de relief au reste du disque. Je pense vraiment que ce titre rend l’album meilleur. Pour moi, Oceanview et Too Much to Ask sont les deux chansons qui, sur ce disque, marquent un nouveau départ pour moi.

Une chanson comme Willow Jane fonctionne très bien sur scène.
Oui, c’est une bonne chanson. Très bonne, même. Mais, si je dois rester dans ce registre Exile on Main Street, il faut que j’aille beaucoup plus loin. Il faut que ce soit bien plus crade. Etre plus cru dans tout ce que l’on fait, qu’il s’agisse de folk ou d’autre chose, je crois que c’est l’idée. Townes van Zandt a enregistré des disques acoustiques qui m’ont fait le même effet que Fun House des Stooges. Malheureusement, je n’ai pas ce genre de voix. Donc, il va donc falloir que je m’accroche pour que mes chansons soient bien meilleures que ce qu’elles sont actuellement. (…) Vous savez, souvent on me compare aux Eagles ou à Jackson Browne. Or, si les disques de Jackson Browne ont, effectivement, beaucoup compté pour moi, je n’ai jamais trop aimé les Eagles. Et, franchement, j’en ai marre d’être mis dans le même sac que Poco et les Eagles. Nous n’avons pas du tout les mêmes aspirations, et je n’ai rien à voir avec ces gens. Donc, je veux que mes disques reflètent mieux ce que je suis vraiment.

Les Eagles étaient surtout très inspirés par les Flying Burrito Brothers.
Oui, c’était une version light des Burritos, rien de plus. Moi, ça ne m’intéresse pas. La seule chose qui me motive, c’est d’aller au plus près de ce que je suis. Franchement, je pense avoir écrit de bonnes chansons et je soutiens chacune de celles que j’ai pu sortir. Mais c’est d’un point de vue sonique que je pense devoir m’améliorer. Je ne connais pas de musiciens qui soient satisfaits de ce qu’ils font.

Les Stones semblent satisfaits depuis un petit moment…
Oui, et c’est là qu’ils ont commencé à faire des disques de merde.

Neil Young a dit, un jour, que la seule chose qui le poussait à continuer était qu’il cherchait quelque chose de neuf et qu’il n’avait pas encore trouvé.
C’est exactement ça.

Il paraît qu’il y a un cinéaste, Ray Foley, qui a fait un documentaire sur vous ?
Oui, en fait, Ray Foley avait plusieurs de mes disques, mais il cherchait quelque chose de plus. Donc, il est entré en contact avec moi et il m’a dit : « Je suis cinéaste, j’aime ce que vous faites. Si vous avez besoin de faire un clip, un de ces jours… » Personnellement, je ne voyais pas trop l’intérêt de faire une vidéo. Mais on l’a invité à venir avec nous en studio au moment de l’enregistrement d’Anytime Tomorrow et il a filmé pas mal de choses. Il semblerait qu’il soit en train d’en faire un film.

Pour l’instant, vous ne savez pas ce qu’il va en faire ?
Au départ, ça a commencé comme un documentaire rock classique et puis, c’est parti dans autre chose. Je ne sais pas si vous avez vu Eat The Document, le film sur Bob Dylan et le Band, ou Cocksucker Blues.

Ils sont très difficile à trouver…
Il se trouve que j’ai pu en louer une copie et tout est monté sous forme de collages. Les images sont en Super 8 et l’ensemble est complètement éclaté. Rien à voir avec un film qui suit bêtement la musique. J’ai dit à Ray qu’il n’était pas question de se limiter à quelques interviews et une poignée de plans en studio. Il nous fallait quelque chose de vraiment différent et je pense que c’est ce qu’il essaye de faire.

Il paraît que la chaleur était étouffante lorsque vous étiez en studio à Los Angeles. Est-ce que vous pensez que ça a joué sur l’énergie qui se dégage du disque ?
Oui, incontestablement. Parce que cela nous a offert une adversité inattendue, quelque chose à combattre. Il n’y avait pas de climatisation dans le studio et la chaleur extérieure était assommante. Du coup, on pensait sans arrêt à cette chaleur oppressante. On n’arrêtait pas de suer et on était constamment en alerte, à essayer de combattre cette chaleur. Je pense que cela a finalement été assez bénéfique, puisque cela m’a, par exemple, obligé à pousser plus loin avec ma voix et que rien n’était simple dans de telles conditions.

J’ai lu que vous étiez un grand fan de Ron Sexsmith
Oui, c’est clair. Ce que j’adore, chez lui, c’est évidemment la qualité de son écriture. Elle est si simple, si abordable et si subtile… Je pense que très peu de songwriters actuels ont cette subtilité. En plus, c’est un excellent chanteur. Sa voix est vraiment chaleureuse. Mélodiquement, il est très fort et ses textes sont brillants. Il arrive à dire énormément de choses avec très peu de mots. Il est vraiment génial.

Savez-vous qu’il est sur le point d’enregistrer avec Steve Earle ?
Oui, je suis au courant. Je pense que c’est très bien. Il devait sentir le besoin de faire quelque chose de différent. Je pense que tout le monde traverse ce genre de périodes à un moment ou à un autre.

Il semble avoir connu beaucoup de problèmes avec sa maison de disques. Les responsables de son label n’auraient pas apprécié son travail avec Mitchell Froom.
Oui, j’ai travaillé avec Mitchell Froom et il m’a expliqué tout ça. Ron Sexsmith sortait ces albums magnifiques, et même vendables par certains aspects, mais les gens de son label trouvaient toujours quelque chose à redire pour déprécier son travail. C’était criminel et ridicule. Pour moi il est clair qu’il fait partie de la poignée de songwriters qui, aujourd’hui, se situent au-dessus de la mêlée. Quand on voit que Paul McCartney et Elvis Costello sont parmi ses plus grands fans, je pense que cela devrait faire réfléchir les gens de son label. Un peu plus de soutien n’aurait pas fait de mal.

Est-ce difficile d’évoluer dans ce registre de singer-songwriter, aujourd’hui ?
Oui, dans un sens. Mais, au bout du compte, cela ne m’inquiète pas trop. Vous savez, quand j’écris une chanson à laquelle je crois vraiment, cela me suffit. Je sais que j’en suis fier et que je peux la jouer devant n’importe qui. Qu’il s’agisse d’un morceau de rock’n’roll, façon Stooges, ou d’une ballade acoustique à la manière de Tim Hardin, le but ultime reste d’écrire de bonnes chansons qui pourront résister à l’épreuve du temps et dans lesquelles on croit. Après, ce que la presse ou la maison de disques peuvent en penser ne compte plus vraiment. En ce qui me concerne, je sais que, si mes chansons sont bonnes, il y aura toujours des gens qui seront prêts à me suivre. Ensuite, qu’ils soient nombreux ou pas est finalement assez secondaire. Ce qui compte, c’est que le courant passe. Ça ne sert à rien de vendre des millions de disques ; c’est l’art qui est important. (…) C’est bien de pouvoir être apprécié et reconnu de son vivant, mais on n’a pas toujours le choix. Je crois que c’est un peu ce qui a dû faire réfléchir Gary Louris : il voulait, je pense, que les Jayhawks soient appréciés dès maintenant et pas dans vingt ans. Pour ma part, je ne me prends pas la tête avec ce genre de choses, parce que je sais que cela me dépasse. J’ai assez à faire avec ma musique, en essayant d’enregistrer les meilleures chansons possibles. Ensuite, on verra. Ce qui important, c’est de rester fidèle à ses valeurs et de chanter « du plus profond de son âme », comme disait Ray Charles.

4 réflexions sur « Crépuscule californien »

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