Ben Watt, Storm Damage (Unmade Road/Caroline)

Sa discographie, souvent brillante, et qui s’étend désormais sur plus de quatre décennies en atteste : Ben Watt n’a jamais été l’homme du statu quo musical. Et même si Storm Damage semble s’inscrire dans la continuité chronologique de ses deux précédents albums solo, publiés depuis son retour aux affaires extra-conjugales en 2014, les inflexions instrumentales construisent ici une toile de fond toute différente où se projettent des états d’âme toujours plus personnels, où semble dominer la triste sérénité issue de la résignation au deuil.

Ben Watt
Ben Watt / Photo : Edward Bishop

Récemment confronté aux décès successifs de son frère et de sa sœur, il part en quête d’une forme de résilience qui emprunte des chemins musicaux qui contrastent avec les tonalités pastorales dominantes sur Hendra (2014) et Fever Dream (2016). Les guitares n’ont pas tout à fait disparu comme en témoigne Irene, splendide duo avec Alan Sparhawk (Low). Mais elles n’apparaissent plus qu’au travers de quelques estompes ponctuelles, au second plan d’un univers où dominent désormais les nuances entremêlées des claviers synthétiques et d’une basse acoustique rondelette – qui rappelle au passage le temps où Danny Thompson (Pentangle) venait prêter main forte à Everything But The Girl, période Amplified Heart (1994).

Un équilibre rétro-moderniste qui prolonge à la perfection le désir touchant d’un homme de cinquante-six ans de partager à la fois l’évocation mélancolique du passé et la conviction qu’il reste encore un bonheur à venir. Témoignant pour la plupart de cette dramatique ambivalence, les dix morceaux oscillent entre l’élégie familiale et l’ouverture au monde présent. Dans cette alternance irrésolue, c’est souvent l’évocation pertinente d’un détail sensible qui permet de progresser et de construire les liens bienfaisants : quelques fragments d’une collection de disques de jazz resurgis de l’enfance pour redonner vie aux spectres de Summer Ghosts, un accessoire domestique qui concentre en lui toute l’intensité du souvenir et le rend à la fois tangible et supportable (Knife In The Drawer), les jonquilles le long du mur d’une église qui attirent le regard et deviennent actrices apaisantes de la cérémonie qui s’y déroule dans Retreat To Find. Aucun de ces fragments rassemblés ne suffit à atténuer à lui seul des bouleversements trop intimes pour ne pas resurgir avec une intensité décuplée par la sobriété du seul piano qui compose la trame de Hand, LA chanson de l’album dont il est presque impossible de resurgir sans quelques traces d’humidité au coin des paupières.

« I wonder who’ll be there when the light starts to fail. » s’y interroge Ben Watt, sans qu’aucune réponse ne puisse être apportée. Et pourtant. C’est sur une touche d’apaisement presque zen que se clôt Storm Damage, dans une évocation en pleine conscience de l’émotion collective que peut seule encore susciter la musique. Dans ce Festival Song où résonnent quelques échos hédonistes – trop en tous cas pour que l’on puisse y discerner le seul pouvoir de l’aléa – du dernier morceau du dernier album de Tracey Thorn, Dancefloor, Watt retrouve une certaine sérénité en s’abandonnant aux sensations de l’instant au milieu de la foule rassemblée pour un concert, appréciant sans arrière-pensées mortifères sa première cigarette en dix ans. « Let go of the world, let go of you ». Un ultime mantra murmuré, comme une non-conclusion provisoire à une méditation musicale incroyablement poignante.

 

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