Tout avait plutôt bien commencé pour Wesley Fuller. Quelques armes musicales collectivement fourbies, dans la première moitié des années 2010, sur la scène de Perth au sein de Hurricane Fighter Plane, le temps d’un single ou deux – incidemment, on envie tous ceux qui n’ont pas encore eu l’occasion de jeter une oreille ravie sur I Can’t Win (2012), premier coup de génie power-pop, et sur son solo final à la Byrds. De quoi, en tous cas, attirer l’attention de James Endeacott – le directeur artistique de The Libertines et The Strokes – qui, sur la foi de ces fulgurances confidentielles, lui propose un contrat sur son label, 1965 Records pour y publier, coup sur coup, un premier Ep – Melvista (2016) – et un album – Inner City Dream (2017) suivis d’une longue tournée de près de deux ans. Jusqu’ici tout va bien, comme dirait l’autre : un jeune musicien hyperdoué enchaîne les étapes habituelles du parcours vers un succès mérité. Et puis ?
Et puis, plus rien. Enfin, rien de bon : le retour au bercail australien, les contrecoups, l’épuisement, les ruptures, les boulots alimentaires, la pandémie… Quatre longues années de digestion difficile et de circonstances contraires avant d’accoucher d’un second album qui commence, sans faux-fuyant aucun, par un morceau intitulé Back To Square One. Et qui renoue, d’emblée, avec tous les motifs d’enthousiasme déjà identifiés avant l’ouverture de cette trop longue parenthèse. A commencer par un sens impressionnant de la mélodie percutante, un don rare pour l’accroche – que l’on désespérait presque de réentendre depuis le décès d’Adam Schlesinger – et une énergie communicative qui irriguent, sans jamais retomber en intensité, ces treize chansons pop parfaites, balancées comme autant de coups au cœur, innocents et mortels. Tous imparables.
Les constituants élémentaires de la palette musicale utilisée par Fuller sont aisément reconnaissables. Il n’a jamais fait grand mystère de ses références principales – comment le pourrait-il quand elles sont aussi manifestes ? – ni de son amour pour la pop des années 1970 en général ou pour Jeff Lynne et Lindsay Buckingham en particulier. Ces jalons sont parfaitement maîtrisés, employés au service d’une écriture plus personnelle encore et très diversifiée. Les martellements à la balourdise assumée de Alamein Line – une référence à l’équivalent du RER B du côté de Melbourne, en terme de maltraitance infligée au voyageur – comme un antique tube de T-Rex passant sur la sono du manège des auto-tamponneuses ; les guitares mélancoliques et délicatement teintées de psychédélisme de The Velvet Affair, le meilleur inédit apocryphe de Gene Clark entendu depuis fort longtemps ; les cadences complexes et les harmonies vocales instantanément mémorables de Everything Is Strange surgissant d’un best-of imaginaire d’ELO pour rivaliser sans le moindre complexe avec Mr. Blue Sky.
Et puis, plus surprenant, The House Of Love, un pied chez Madness, l’autre chez XTC, qui aurait pu s’imposer, mine de rien, si le temps ne faisait rien à l’affaire, comme un repère culminant des soirées de l’année 1981. Tout cela est précis, pertinent et teinté d’une pointe d’humour et de formules bien senties qui ne gâchent rien, c’est peu dire – She’s the queen of inuendo/Waiting by her bay-window pour capturer à vif, non sans ironie, le désarroi suburbain du personnage féminin d’Alamein Line, ça pourrait très bien être du Fountains Of Wayne. Dépourvu du moindre temps faible, le très bien nommé All Fuller No Filler est donc un album qui saisit à merveille l’euphorie tempérée du rebond, celle de ces instants précieux mais encore fragiles où l’on devine que l’on est prêt à quitter les tréfonds. Un album parfait pour se sentir beaucoup mieux quand on commence tout juste à aller un peu mieux.