J’ai toujours maintenu une certaine distance entre Katie Crutchfield et moi. Une écoute tardive de sa discographie m’avait laissée sceptique, presque agacée : qui était-elle ? Depuis 2012, sa voix si singulière jaillissait d’albums aux guitares tapageuses et à l’énergie adolescente. Out in the Storm (2017), dernier de la série, constituait l’apogée de cet élan grunge. Pourtant, ça et là, quelques accalmies laissaient deviner une prédisposition pour des musiques plus traditionnelles : c’est dans la folk, la country, et plus généralement l’americana, que la figure de Philadelphie, originaire de l’Alabama, semblait se révéler.
En 2018, un événement joue le rôle de catalyseur : la sortie de deux titres tirés du répertoire du grand Jason Molina (Songs: Ohia, Magnolia Electric Co.), interprétés en duo avec Kevin Morby. Pour la première fois, j’entends Waxahatchee, comprends sa force et, au fil des écoutes de ces nouveaux classiques, je m’attache à sa voix.
Je guette donc avec attention le présage d’un nouvel album. Fin janvier 2020, Saint Cloud est annoncé au travers d’un premier single, Fire. Un hymne à la rémission et à l’acceptation de soi, messager des dix titres à venir. Devenue sobre après une lutte contre l’alcool, la chanteuse y apparaît victorieuse. Quelques notes de clavier, disposées sur une fine nappe synthétique, ouvrent la danse. La voix s’avance et s’envole. Les rares instruments qui la soutiennent ne font que battre la mesure ; c’est cette voix, et elle seule qui importe désormais.
Lilacs est dévoilé quelques semaines plus tard. Je l’écoute d’une oreille distraite, en traversant les couloirs du métro et la morosité d’un soir de semaine. Au refrain, un frisson me parcours, les larmes montent, et je repense à cette fameuse reprise de Molina, Farewell Transmission. She did it again. Les mélodies n’ont jamais été si tapageuses, l’énergie si lumineuse. Sur Can’t Do Much enfin, dernier titre dévoilé en vidéo, Crutchfield poursuit son voyage vers ses origines en revenant à ses passions enfouies : la country et Lucinda Williams, son idole de toujours.
Sur le disque, ces trois titres-phares s’enchaînent, sans pour autant déséquilibrer l’ensemble, qui réserve bien d’autres moments d’émotion. St. Cloud, piano-voix tout en nuances, aurait merveilleusement complété la collection de singles, tandis que la ballade Arkadelphia se détache par ses motifs de guitare entêtants, “à la” Real Estate. C’est d’ailleurs sans surprise que l’on découvre, dans le backing band de la chanteuse, deux membres de Bonny Doon, chouchous de l’écurie Woodsist. Des musiciens qui, avec intelligence, se sont fait cette fois-ci tout petits pour laisser enfin à cette voix la place de s’épanouir. Saint Cloud est sans nul doute le meilleur album de Waxahatchee à ce jour ; le plus proche de la femme que Katie Crutchfield est devenue.