S’il m’a fallu du temps pour aborder cette compilation disponible via bandcamp, c’est qu’il y une raison, enfin, plusieurs. Plusieurs pièces d’un puzzle que mon cerveau a mis du temps à assembler, le temps que plusieurs planètes s’alignent. Je vous raconte : d’un côté, une amie me demande quel groupe je ferais jouer dans un grand raout organisé par l’institution pour laquelle elle travaille dans ma ville européenne. Elle me demande si Sinaïve serait ok, je lui dis, en bon crypto impresario qui prendrait un pourcentage au passage (je plaisante, hein), que bien sûr. Mon amie insiste sur le fait que le groupe remplisse des critères de jeunesse et slash ou que ses membres soient inscrits à l’université. Je réfléchis ensuite des heures, des nuits, à quel autre groupe pourrait bien faire l’affaire si jamais le néo trio ne pouvait assurer la date. Panne plus ou moins sèche. Parallèlement, j’échange avec un ami qui s’occupe de la programmation d’une salle de bonne taille dans notre même ville. C’est le privilège de l’âge, pas mal d’amis sont aux commandes, c’est amusant. On échange sur une première partie possible (importante, dont on reparlera) et il me dit, tiens, pour Groupie, tu devrais écrire quelque chose sur Beatrice Melissa, un duo électro pop.
En passant, les deux jeunes femmes sont signées sur Midnight Special avec quelque chose de prévu en 2022. En attendant, on peut écouter leur pop abstraite sur UN morceau, Waiting On My Blood (un peu MBV sans bruit de guitares, avec de la bass music à la place). Il ajoute que Beatrice est DJ, qu’elle est ultra affutée, que ce qu’elle produit tabasse grave. Des boules de loto tournent dans ma tête, et je fais le lien : je visite rapidement la page de Beatrice, je me dis mince, mais je connais ce visage. Spontanément, je crois, j’ai dû le croiser à la grande médiathèque où je travaille. On y voit beaucoup de monde quotidiennement, surtout en ce moment où les gens reviennent après deux ans de vaches maigres. Re-boules de loto dans ma tête. Mais oui ! J’envoie un mél à mon collègue qui avait invité un collectif de DJ à venir jouer lors d’un événement à cette même médiathèque, comment s’appelait-il déjà, ils avaient joué des mini set de 20 minutes pendant une nocturne, il y a quelques semaines ? « Bienvenue au club« , me répond-il, carré. Je vous le donne en mille, c’est là que je l’ai vue : Beatrice était parmi le collectif, c’était même la « cheffe » comme ajoute mon collègue, poète à ses heures. D’ailleurs, pendant ses balances, je me rappelle avoir shazamé les passages qui m’intriguaient. Sans résultat. Normal, plus tard, mon collègue l’interrogeait : plusieurs pistes étaient mélangées, triturées, impossible de reconnaître le secret de la mixture magique qui faisait secouer la tête et agiter les jambes. Ni une ni deux, j’écris à mon amie qui organise ce truc à la rentrée (vous suivez toujours ?) : « Tu l’as ton collectif qui va mettre le feu, prends les petits jeunes électro et avec Sinaïve en mode hypnotique bruit, tu as ta paire de rois et reines gagnants ! » Bonus : en écoutant l’émission matinale de Tsugi qui l’invitait Beatrice évoque Roméo Poirier et son Plage arrière (son disque de 2016 avant Hotel Nota, en 2020, chroniqué chez nous ici), non mais là, c’est un signe, ou bien…
Pas mal non ?
Après investigation Google, donc, voici la compilation numéro 1 de Bienvenue au Club. Alors en plus de prendre du temps dans mon cheminement vers eux, il faut dire que je sors aussi clairement de ma zone de confort : pas de mélodies, pas de chants, pas de lo-fi intimiste, de variété flamboyante, de rap horrifique ni de rock concassé. Il s’agit ici de lire entre les beats, et de nager en eaux sombres, dans les nappes phréatiques synthétiques délimitées par les différents musiciens du club. Alors bien sûr, ils ne sont pas chiens avec les gens comme moi, ils mettent des indices dans la bio : il s’agit de breaks, hardcore, dubstep, bass, trance, avec une idée marrante derrière tout ça, l’idée de déconstruire la musique de club. La Hacienda must be built, sans aucun doute, mais lui exploser les murs et le toit avec une boule de démolition, c’est bien aussi. Un autre ami, plus ou moins connaisseur, m’écrit : « c’est une vision un peu arty expé de la musique électronique, avec des repères très actuels, notamment sur les derniers morceaux qui flirtent avec une forme de mauvais goût nineties très à la mode en ce moment. » OK, moi je me dis surtout que c’est presque dommage d’écouter cette musique au casque, que c’est évidemment dans des salles ou des lieux avec une sonorisation maligne que ça doit s’apprécier. Mais la musique est beaucoup une histoire d’imagination.
Alors, on imagine aisément Beatrice & Jetpacc retourner une salle de festival avec leur Cage, Spraelle éclater la cale comble d’une péniche avec Reclaim, Geisa & Merco faire peur dans des décors mal éclairés de vieilles friches industrielles avec leur Scopitone rampant et possédé, Laura Trance accompagner le lever du soleil sur une petite foule ondulante sur une colline verdoyante et retirée avec son – Breaking My Heart Will Not Break My L0ve… Et comme, je ne suis jamais au courant de rien (ou alors après), je me doute que tout cela s’est déjà produit, pas très loin de chez moi, en plus. Comptez sur moi pour ne pas manquer le prochain épisode. À suivre, et au fait : bienvenue au club.