Attablés à la terrasse d’un bistrot, les Uni Boys au quasi-complet – Reza Matin, co-leader et guitariste, a du prématurément abandonner ses camarades pour rejoindre en tournée The Lemon Twigs dont il est également le batteur et le bassiste – semblent goûter sans réserve aux plaisirs estivaux de leur escapade parisienne. La prononciation est encore un peu hésitante à l’heure de commander une tournée de « Kir Royal » mais la descente est impeccable. Noah Nash (guitariste et chanteur), Michael Cipolletti (basse) et Artie Fitch (batterie) paraissent avoir oublié pour quelques jours leur Los Angeles natal ainsi que les corvées attenantes aux jobs alimentaires qu’ils ont encore contraints d’occuper. Manifestement, le fait d’avoir enregistré coup sur coup deux des albums de rock mélodique et densément électrifié les plus remarquables et les plus rafraichissants de la décennie en cours ne garantit même plus à ces jeunes aussi talentueux que passionnés de pouvoir vivre décemment de leur art. Dont acte. Il n’en demeure pas moins que ces dignes héritiers locaux des Nerves d’antan méritent amplement qu’on prête une oreille attentive à leurs tubes flamboyants. Et qu’on s’intéresse un peu à leur parcours – encore bref mais plein de promesses à tenir. Comme chantaient The Who, ces kids sont dac.
Comment le groupe est-il né ?
Noah Nash : Nous nous connaissons depuis très longtemps. Artie et moi étions à l’école maternelle ensemble. Nous habitions dans la même rue et nous étions copains quand nous avions deux ans. Nous avons démarré la musique à peu près au même moment : j’ai pris mes premiers cours de guitare à huit ou neuf ans et il a commencé la batterie à peu près au même moment. Nous jouions tous les deux chez ses parents, parce que sinon c’était trop compliqué de bouger sa batterie. Nous avons rencontré Reza un peu plus tard, au lycée. A ce moment-là, vers quinze-seize ans, nous avions tous envie de monter notre groupe de punk rock pour faire comme tous les mecs cools des environs. Reza s’est donc mis à la basse et nous avons joué en trio, en amateurs complets, pendant six ans. Nous avons quand-même joué pas mal de concerts à cette période, presque tous les weekends. Et puis les choses sont devenues un peu plus sérieuses il y a quatre ans.
Et vous avez commencé à composer vos propres chansons dès le départ ?
Noah Nash : Oui, mais le processus était assez différent. Au tout début, c’était vraiment de l’improvisation et de l’écriture collective. Des riffs de guitare assez basiques et collés ensuite les uns aux autres. Avec le recul, je suis finalement assez content que nous n’ayons pas conservé beaucoup de traces enregistrées de toute cette période de tâtonnements. Ce n’était pas très bon et, surtout, nous étions encore en train de chercher constamment une direction cohérente : nous sommes passés du punk au garage en passant par une phase plus psychédélique. C’était sans doute nécessaire d’explorer tous ces genres musicaux différents mais rien n’était complètement abouti. C’est quand Reza et moi avons commencé à écrire chacun de notre côté que les chansons sont devenues plus personnelles et donc meilleures.
Et à quel moment êtes-vous passés de cette phase bruitiste et improvisée à ces compositions pop très mélodiques et très classiques ?
Michael Cipoletti : Nous sommes passés par une phase de transition, vers 2019, au cours de laquelle nous avons joué beaucoup de chansons d’Alex Chilton. Tous les quatre, nous nous sommes pris de passion pour Big Star tout en essayant de conserver une partie de cette énergie rock des origines.
Noah Nash : J’ai écouté du rock en grandissant pendant toute mon enfance. A l’adolescence, assez logiquement, nous étions davantage à l’affut de la nouveauté. Nous essayions de suivre tous les groupes émergents et de nous intéresser à ce qui pouvait sembler neuf et donc excitant. Et puis, avec le temps, nous nous sommes aperçus que les disques que nous écoutions le plus souvent étaient pour la plupart très anciens. Ce sont ceux qui continuent de nous inspirer très largement : Chuck Berry, tous les classiques de la pop sixties.
Pour un groupe californien de votre génération, quel rôle a pu jouer Burger Records ?
Noah Nash : Un rôle absolument capital. Nous adorions la musique avant, bien sûr mais nous avons forgé une grande partie de notre culture rock en fréquentant la boutique et en discutant avec beaucoup de gens qui partageaient la même passion. Pour les gamins de treize ou quatorze ans que nous étions, c’était l’endroit idéal au moment idéal. C’était l’âge d’or de Burger : tous les groupes trainaient là-bas, il y avait des concerts tous les weekends.
Vous avez enregistré l’équivalent de quatre albums en à peine trois ans. C’est beaucoup non ?
Noah Nash : Notre rythme de travail s’est très nettement accéléré au moment de la pandémie. Nous avons été contraints d’abandonner nos jobs alimentaires pendant un moment – je travaille comme livreur de pizzas, Michael et Artie bossent dans un restaurant à Los Angeles. Nous avons très rapidement accumulé une trentaine de chansons assez différentes de celles que nous avions l’habitude de jouer en concert – tout simplement parce que les salles où nous nous produisions avant étaient fermées. Nous les avons enregistrées à la maison, sur un huit-pistes et nous en avons fait deux albums – Heavy Hearted (2020) et Rock’n’Roll Music (2020) – qui ne sont disponibles qu’en format numérique. Il était question que Burger les publient mais ça ne s’est jamais concrétisé parce qu’ils ont mis la clef sous la porte quelques semaines avant la date de sortie prévue. Mais ce sont eux qui nous ont conseillé d’entrer en contact avec Brent Rademaker qui nous a proposé de publier nos deux premiers véritables albums – Do It All Next Week (2022) et Buy This Now ! (2023) – sur son label, Curation. Nous avons eu beaucoup de chance, donc. Et nous avons aussi profité indirectement des retombées de la pandémie : quand les concerts ont repris, les gens étaient tellement en manque de sorties festives qu’ils sont venus nous écouter en live alors que, souvent, ils ne savaient pas vraiment qui nous étions.
Michael Cipoletti : La grande différence, c’est que, sur les deux premiers albums, presque toutes les chansons sont exclusivement celles de Noah. Reza n’avait pas encore commencé à se mettre sérieusement à l’écriture. Sur les deux albums suivants, le partage est presque équitable : moitié Noah, moitié Reza.
Vous connaissiez la musique des Rademaker avant de signer chez Curation ?
Noah Nash : Oui, bien sûr. Au lycée, nous étions fans de Further, le groupe qu’il avait créé avec son frère Darren avant Beachwood Sparks. C’est toujours réconfortant d’avoir l’appréciation et le soutien de ces figures musicales que nous admirons énormément. Nous sommes devenus assez proches de Ian Svenonius. Il nous a invité à participer à un de ses projets récents – une espèce de show télévisé consacré aux jeunes groupes de la scène californienne. Je ne sais pas exactement ce qu’il compte en faire mais c’était un plaisir et un immense honneur de le rencontrer et de pouvoir discuter avec lui.
Sur Long Time No See, l’une des chansons de Do It All Next Week, vous avez utilisé un extrait de dialogue…
Noah Nash : … tiré d’un film de Série B qui s’intitule Beach House (1982) et dans lequel joue Jonathan Paley des Paley Brothers. Et Adam Roth aussi. C’est un film musical de Série B dont l’action se déroule dans le New Jersey : une confrontation amusante entre un gang de rockers et une bande de jeunes étudiants très propres sur eux. C’est Reza qui l’a découvert et qui a eu l’idée d’en utiliser un extrait.
Buy This Now ! a été produit par les frères D’Addario (The Lemon Twigs). Comment avez-vous pris contact avec eux ?
Noah Nash : Nous avons commencé à échanger quelques messages avec Michael en ligne. Et puis nous nous sommes rencontrés plus longuement quand ils sont venus jouer en concert à Los Angeles. Les choses se sont ensuite déroulées assez naturellement. Ce sont eux qui nous ont proposé de venir à New-York, dans leur studio, pour enregistrer l’album. Nous avons immédiatement saisi cette opportunité fabuleuse : ils sont cools, ils ont du super matériel. Nous avons enregistré toutes les chansons en onze jours seulement, pendant les vacances de Noël. Et, quelques semaines plus tard, ils ont rappelé Reza pour lui proposer de jouer sur scène avec eux.
Michael Cipoletti : Ce n’est pas que leur matériel de studio et leurs instruments. Ils savent parfaitement utiliser tous cet équipement. Et puis, ils ont vraiment, tous les deux, une oreille musicale d’une qualité exceptionnelle. Nous avons à peu près le même âge et il n’y avait donc pas de rapport d’autorité comme il peut sans doute y en avoir avec des producteurs plus expérimentés. Ils ne nous ont jamais ordonnée de refaire une prise ou de retravailler tel passage de tel morceau. Mais, de façon très spontanée et bienveillante, ils nous ont tout de même donné, de temps en temps, leur avis ou leurs suggestions, notamment pour ce qui concerne les harmonies vocales.
Noah Nash : Brian, l’aîné, a joué des claviers sur la moitié des titres environ. Michael, le plus jeune, est sans doute celui des deux qui s’intéresse le plus aux aspects techniques et à la qualité du son. Sachant que nous n’avions que onze jours de studio pour tout boucler, nous étions forcément sous une certaine pression : une journée pour toutes les batteries, une autre pour les parties de basse. Ils ont été extrêmement disponibles pour répondre à nos questions et nous aider à gérer ce temps limité de la façon la plus efficace possible. Il y a tellement d’aspects assez basiques et évidents du songwriting que je ne maîtrise pas encore et qu’ils connaissent sur le bout des doigts…
Dans un genre aussi balisé que peut l’être la power pop, comment peut-on apporter quelque chose d’original ?
Noah Nash : C’est une lutte permanente. Sincèrement, je ne sais pas très bien quoi répondre. Je ne sais pas s’il s’agit toujours d’apporter une touche originale. Parfois, j’ai l’impression que j’essaie simplement d’écrire une chanson qui me plait et que c’est suffisamment difficile pour ne pas chercher, en plus, la nouveauté ou la bizarrerie à tout prix. Reza a tendance à composer des mélodies plus complexes ou plus originales que moi, je crois. Il utilise plus d’accords différents dont certains me semblent assez étranges. En tous cas, j’essaie de ne pas trop me référer à la power pop comme à un modèle dont il faudrait respecter scrupuleusement les règles. Nous adorons beaucoup de groupes de cet âge d’or du genre – entre 1975 et 1985 – mais nous sommes aussi très directement influencés par des choses plus anciennes, qui viennent directement des 1960’s ou par le Bubblegum. C’est une étiquette qui a aussi tendance à rebuter certaines personnes. Disons que je veux bien l’adopter à condition de considérer que Chuck Berry faisait aussi de la power pop – il composait des suites d’accord limpides et c’est peu dire qu’il ne manquait pas de puissance. Ou les Beatles.