Sans avoir durablement marqué les esprits, Ulrika Spacek a sorti deux bons albums de pop DIY avant de disparaître des radars en 2018. J’ai appris leur retour en tout début d’année via la playlist des nouveautés Section 26. Écouté par curiosité plus qu’autre chose, The Sheer Drop m’a littéralement bluffé. Le son énorme, le chant unique, l’écriture aventureuse. Mais surtout, tout semblait être mis au service des guitares, comme une déclaration d’amour à un artisanat qui souhaite réhabiliter les grandes heures de la pop indépendante. Mais avec une volonté d’avancer, de casser les barrières. Les titres de ce niveau, Compact Trauma les enchaîne les uns après les autres avec ce qui semble être une facilité déconcertante. Notre rencontre avec Rhys Edwards et Syd Kemp nous apprend pourtant que tout n’a pas été aussi simple qu’on ne le pense, mais le groupe en est ressorti grandi, fier d’un disque qu’ils meurent d’envie de défendre auprès de leur public, qui avec Compact Trauma, a de fortes chances de s’agrandir.
Rhys, lors de la promotion de l’album précédent, tu as dit que tu voulais te mettre au travail sans attendre sur le troisième album car tu n’aimes pas trop l’idée de rester à ne rien faire. Il a pourtant fallu attendre cinq ans pour la suite. Que s’est-il passé ?
Rhys : Nous sommes entrés en studio en 2018, et nous avons travaillé dur. Et puis nous avons tout arrêté alors que l’album était quasiment terminé. Il y avait des problèmes à résoudre entre nous. Tout mettre en pause nous a paru être la meilleure solution. Un des membres du groupe voulait complètement arrêter de faire de la musique. C’est toujours le cas aujourd’hui. Nous l’avons attendu par respect, jusqu’à un certain stade.
Syd : La pandémie ne nous a pas aidé.
Rhys : Par contre, elle nous a permis de prendre du recul sur ce que nous voulions apporter comme modifications à l’album.
Étiez-vous globalement satisfaits des premières sessions ?
Rhys : Oui dans l’ensemble. Le processus pour finir l’album a été plus simple que de repartir de zéro. Apporter quelques modifications à des chansons que nous aimions déjà n’a pas été traumatique. La pression du cycle habituel studio, promo, tournée peut être intense et te pousser à tout faire vite, le nez dans le guidon. Le management et la maison de disque veulent généralement surfer sur une popularité montante. Cette absence de deadline s’entend sur le résultat final. Nos deux premiers albums forment un bloc. Nous voulions que le troisième se démarque. Grâce à ce break, nous avons réalisé un pas en avant et je pense que ça s’entend.
N’aviez-vous pas peur de vous sentir en décalage par rapport à l’évolution de la scène indie en sortant un disque commencé il y a plusieurs années ?
Rhys : Non, car je trouve que notre album vient combler un trou qui, je pense, devient béant. A savoir qu’il y a de moins en moins de groupes à guitare de qualité. J’espère que Compact Trauma va apporter un peu de fraîcheur à un style qui en a vraiment besoin. Il sonne moderne pour nous, même si la majorité du disque était déjà sur bande il y a plusieurs années. Quelque part, il n’y a pas meilleur moment pour nous pour effectuer notre retour.
Pourquoi ne pas avoir enregistré dans votre studio habituel, le KEN ?
Syd : C’était plus une maison qu’un studio, même si nous avons enregistré dans presque toutes les pièces. A un moment nous avions des incertitudes sur le fait de pouvoir continuer à habiter dans ce lieu. On nous a finalement demandé de partir, ce qui a été un traumatisme, d’où le nom de l’album. Nous ne savions plus trop quoi faire. Et puis nous avons commencé à travailler dans un véritable studio d’enregistrement. L’objectif était de parvenir au juste équilibre entre un son de meilleure qualité et notre son habituel, plus lo-fi. Ce nouveau studio est vite devenu familier car j’y travaillais et j’y habitais. Nous nous le sommes appropriés.
Par le passé vous construisiez vos chansons de façon artisanale, par collage successifs. Est-ce toujours le cas aujourd’hui ?
Rhys : Oui, je trouve ça plutôt pratique car on peut toujours changer des parties d’une chanson si on change d’avis. On s’enregistre, parfois en jam, et puis nous prenons des extraits que l’on tente d’assembler. Généralement, le premier morceau finalisé donne sa direction à l’album.
Syd : Nous n’habitons plus ensemble. Ce qui veut dire que l’on peut être à l’autre bout du monde, écouter les pistes enregistrées au calme et ajouter un instrument. Nos chansons se construisent de cette façon, pas en enregistrant la rythmique en premier pour qu’elle devienne la colonne vertébrale du titre.
Rhys : Je trouve ça mieux d’apporter une touche personnelle sur des pistes qui durent 30 secondes. Ça m’aide à me focaliser.
Syd : L’inverse fonctionne aussi. Des fois, nous pensons que nous n’avons pas besoin d’ajouter quoi que ce soit. C’est comme ça qu’on se retrouve avec des passages où je ne joue pas de basse.
Syd : Nous n’avons jamais répété une chanson pour l’enregistrer dans la foulée.
Mais qui apporte les premières idées ?
Rhys : Moi, généralement. Que ce soit une mélodie avec quelques notes ou juste une ligne vocale. Et puis nous y allons par étape. Ce qui est génial dans ce groupe, c’est que tous les membres n’apportent pas leurs idées en même temps. L’âge et l’expérience font que nous avons appris à savoir quand il est nécessaire de contribuer ou pas.
Ce qui frappe d’emblée, c’est le développement du son, plus ample et plus lourd. Était-ce voulu dès le départ ?
Rhys : Nous avons voulu tout mettre à fond, les instruments et la voix (rire). Bénéficier d’un véritable studio d’enregistrement nous a permis d’avoir plus de jouets pour nous amuser. Si certaines guitares étaient enregistrées de façon lo-fi dans une chambre, on pouvait les passer à travers une console en studio et ajouter des effets.
Syd : Nous n’en avons pas abusé, seul le minimum a été gardé dans la version finale.
Rhys : J’espère que notre nouveau son va prendre les gens par surprise. J’aime l’idée que les fans pensaient que le groupe n’existait plus alors que ce n’était pas le cas. Nous allons peut-être créer une surprise.
Vos goûts musicaux ont eu le temps d’évoluer pendant la pause entre les deux sessions d’enregistrement. Quels sont les groupes qui mettent tout les membres d’Ulrika Spacek ?
Rhys : Nos goûts musicaux ne sont pas identiques. On écoute beaucoup d’artistes différents. Je dirais que nous avons tous Helvetia, Stereolab, Broadcast, Tortoise et Yo La Tengo en passion commune. Ce qui est appréciable lorsque l’on enregistre son troisième album, on a réussi à développer un son. On devient sa propre référence, on vit dans un monde qui est le nôtre. Nous avons emprunté quelques idées dans le passé, mais pas pour Compact Trauma.
Rhys, avec du recul, ton album solo sous le nom d’Astrel K était un bon indicateur de ce à quoi Compact Trauma allait ressembler. Flickering I en est un peu une version lo-fi. Les deux albums ont-ils été composés au même moment ?
Rhys : Flickering I a pourtant été enregistré après. Mais je me suis inspiré de quelques idées utilisées pendant la conception de Compact Trauma. Je suis content d’avoir enregistré ce disque solo. Ça veut dire que je vais pouvoir passer à autre chose avec Ulrika Spacek.
Syd : Avouons tout de même que tu as été la force motrice du son de Compact Trauma. Tu as élaboré seul les lignes mélodiques du chant. Ton style est devenu unique et ça apporte beaucoup. C’est probablement pour ça que l’on peut faire un parallèle avec ton album solo.
Rhys : Heureusement que Flickering I est sorti avant, sinon les gens auraient cru que je me moquais d’eux après une telle différence de qualité sonore (rire). Nous avons travaillé dur pour obtenir le son du nouvel album. C’est dû au simple fait qu’il a été enregistré dans nouveau studio. Nous avons dû apprendre à le maîtriser. C’est étrange car suite à des expériences avec nos groupes précédents, nous ne voulions plus entendre parler des studios professionnels. On en ressortait toujours frustrés, avec des enregistrements que nous n’aimions pas. C’est pour ça que, jusqu’à récemment, nous avons tenu à tout enregistrer à la maison, histoire de se faire la main.
Vous avez tous d’autres projets en parallèle. Pourquoi ne pas vous consacrer à 100% à Ulrika Spacek ?
Syd : Nous mettons un point d’honneur à mener d’autres projets. Je suis producteur, c’est mon métier. Calum Brown, le batteur a sorti un album auquel nous avons tous contribué, Joseph Stone fait partie du HaHa Sounds Collective avec moi. Rhys enregistre des groupes. Nous sommes tous obsédés par le son. Nous cherchons toujours quelque chose de nouveau. Si nous devions nous concentrer uniquement sur Ulrika Spacek, ça n’aurait de sens pour personne, et encore moins pour les auditeurs. Il faut pouvoir s’exprimer comme on le souhaite, et ça passe souvent par d’autres projets. De mon côté, je vois ça comme un tout. Ces projets sont des extensions d’Ulrika Spacek.
Après cette absence, n’avez-vous pas peur d’avoir perdu une partie de vos fans ?
Rhys : Étrangement, nous avons plus de fans aujourd’hui que lorsque nous nous sommes mis en pause. Une sorte de bouche à oreille a dû fonctionner. C’est plutôt bon signe pour le futur. C’est difficile à croire, mais depuis quelque temps des gens que je ne connais pas m’abordent et me parlent d’Ulrika Spacek.
Syd : On le sent également à travers les gens de l’industrie du disque. Certains parlent de nous. C’est comme si l’on avait laissé le temps aux gens de digérer notre musique. Ne pas sortir de nouveauté et ne plus donner de concerts à peut-être joué en notre faveur.
Après avoir enchaîné deux albums studio et donné un grand nombre de concerts, vous aviez atteint un stade de fatigue important avant d’entrer en studio en 2018 pour enregistrer Compact Trauma. Allez-vous cette fois veiller à ne pas retomber dans les mêmes travers qui ont failli détruire le groupe ?
Rhys : Je pense. Le voyage a été tellement long pour arriver à terminer ce disque que nous voulons juste profiter de sa sortie sans faire de plans pour le futur. Nous mourrons d’envie de le défendre sur scène. Cette expérience nous a manqués, car c’est le moment où nous sommes le plus soudés musicalement. Cela nous donnera peut-être des pistes pour la suite. Nous ne voulons plus attendre cinq ans pour sortir un nouveau disque (rire).
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