Toti Soler aka El Gat Blanc, Idem (Edigsa, 1973)

1973Barcelone fut l’un des grands épicentres de la révolution rock ibérique. Après la vague beat des années 60, les groupes underground trouvèrent, dans la décennie suivante, une communauté active et dynamique dans la capitale catalane. Toti Soler fut de toutes ces aventures. Né à Vilasar de Salt, pas loin de Mataró, à une vingtaine de kilomètres de la ville de Gaudí, en 1949, le jeune guitariste suit un cursus classique. Cela l’amène au conservatoire de Barcelone ou au Spanish Guitar Center de Londres. En parallèle il joue dans des groupes pop catalans. D’abord, il obtient énormément de succès avec Pic-Nic, formation internationale (des Vénézuéliens, une Anglaise des locaux) qui connaît un gros succès national avec le classique Cállate niña en 1967. Cette chanson folk-rock délicate lance la carrière de Jeanette mais aussi celle de Toti Soler et son camarade Jordi Sabatés.

Toti Soler / Photo : DR
Toti Soler / Photo : DR

Les deux musiciens montent dans la foulée Om, un groupe progressif ambitieux et culte. En plus d’un album en nom propre (Om en 1971), la formation participe à une œuvre majeure de la Nova Cançó: Dioptria I (1969) avec Pau Riba. La richesse de la carrière de Toti Soler au début de la décennie impressionne. Au-delà du métier, c’est aussi grâce à l’apparente diversité des propositions (folk-rock, progressif, nouvelle chanson, etc.). Apparente seulement, car Toti Soler se construit déjà sa propre trajectoire. À pas feutrés, il développe ses obsessions et un son. Son album de 1973, intitulé simplement Toti Soler ou parfois El Gat Blanc (à cause de la pochette et d’un morceau) en témoigne passionnément. En neuf morceaux et une trentaine de minutes, le guitariste catalan explore un nouveau terrain de jeu : la musique flamenco.

S’il s’écarte de ce tropisme et embrasse le jazz-rock de Frank Zappa avec Sevilla, c’est pour mieux s’approprier In a Silent Way de Miles Davis (écrite par Joe Zawinul, futur Weather Report). Là, il rend hommage au bluesman Taj Mahal qu’il accompagnait (Taj Mahal), ici, il fusionne Andalousie et Catalogne (Sardana Flamenca). Tout cela ne rend finalement que peu compte de l’esprit unique d’El Gat Blanc. La simplicité et la rusticité des arrangements (quelques notes de percussions, batterie, principalement de la guitare acoustique) offre un écrin superbe au talent de Toti Soler. Instrumental, ce n’est pas un album de folk, pourtant ce chat blanc possède un air de famille avec l’œuvre de Nick Drake ou La Question (1971) de Françoise Hardy. Fil rouge de l’album, la guitare sèche est magnifiée par le jeu subtil et délicat du Catalan. Toti Soler créé ainsi des climats propices à la contemplation et au songe. Très différent esthétiquement (j’insiste), El Gat Blanc trouve aussi sa place à la table des E2-E4 (Manuel Göttsching, 1984) et autre Phaedra (Tangerine Dream, 1974) dans son usage élégant de l’abstraction. Comme les Allemands, le Catalan propose une musique de support dans laquelle se perdre et se retrouver. Typique des années 70, El Gat Blanc l’est certainement, pourtant, sa beauté et sa limpidité touche à l’universel. Toti Soler écrit ici une page unique de la musique espagnole, un album singulier, magnifique et d’une intimité rare.


L’album éponyme de Toti Soler est sorti en 1973 chez Edigsa et a été réédité par Munster Records en 2021

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